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capacité d’innovation

4.2.3 Stratégie et Théories Évolutionnistes

Parallèlement au développement de la TRC, d’autres travaux se sont attachés à pallier les limites des approches classiques de l’économie industrielle et l’approche Porterienne du management stratégique. C’est en particulier le cas des théories évolutionnistes développées à partir des années 1980, à l’initiative de Nelson et Winter (1982), à travers leur ouvrage fondateur intitulé An Evolutionary Theory

of Economic Change.

Le point de départ de cet ouvrage transdisciplinaire qui se trouve à l’intersec-tion des sciences économiques et des sciences de gesl’intersec-tion, se situe au niveau de

1. The companie’s collective knowledge about how to coordinate diverse production skills and technologies

4.2. Stratégie et capacité d’innovation

la modélisation des comportements individuels des agents, et en premier lieu, le comportement des firmes. Les auteurs soulignent en effet les problèmes que pose le fait de modéliser les comportements des firmes comme résultant d’une ratio-nalité forte. Sous une hypothèse de ratioratio-nalité forte – largement majoritaire dans l’analyse économique traditionnelle, qu’ils qualifient d’ « orthodoxe » – à chaque instant, les agents sélectionnent parmi un ensemble de possibles, le choix leur permettant d’optimiser leur variable d’objectif (utilité, profit). Ainsi, la théorie standard ne se soucie pas de ce qu’il se passe dans une firme. Celle-ci est considé-rée comme une simple « boite noire » à l’intérieur de laquelle des inputs entrent et des outputs sortent, et dont la quantité d’output produite dépend simplement d’une fonction de production basée sur la maximisation du profit. R. Nelson et S. Winter ne prétendent pas intégrer une réelle analyse organisationnelle à leur modèle qui, comme celui de la théorie standard, s’intéresse plutôt à des secteurs industriels, des marchés et des économies globales. Cependant ils apportent une nuance importante en proposant une modélisation des comportements des firmes qui repose en particulier sur la notion de « routines organisationnelles ».

Un parallèle est fait entre les compétences individuelles des êtres humains qui conditionnent en grande partie le comportement général de ceux-ci, et les routines organisationnelles des firmes, qui correspondent à leurs compétences globales et qui conditionnent, dans une encore plus grande mesure, leur comportement général (Nelson et Winter, 1982, chap. 4).

Par « compétences », les auteurs entendent « la capacité à effectuer une séquence de comportements coordonnés, généralement efficace pour l’atteinte d’un objectif donné, compte tenu du contexte dans lequel elle se déroule normalement.» (Nel-son et Winter, 1982, p.73 ; traduction de l’auteur). Les routines organisationnelles d’une firme correspondent donc à des agencements de telles séquences de comporte-ments coordonnés, mettant en jeu de multiples agents individuels, et qui disposent eux-mêmes, de leurs propres compétences et comportements.

Pour les auteurs, de nombreuses tâches accomplies dans une entreprise relèvent d’une telle définition. C’est le cas des tâches opérationnelles, mais également de différentes tâches managériales de prise de décision. En effet, pour les innombrables choix quotidiens qu’ils ont à effectuer, les managers et dirigeants d’entreprise ne pratiquent pas l’optimisation à chaque instant. Ils ont plutôt recours à des compé-tences décisionnelles, (acquises par apprentissage, par transmission, ou encore par expérience) qui leur fournissent des grilles de lectures et des schémas de fonction-nement au caractère routinier. C’est ce mode de fonctionfonction-nement qui leur permet d’accélérer le rythme des prises de décision, et ainsi, de gérer le flux incessant de décisions auxquelles ils font face.

Par ailleurs, même s’ils disposaient d’un temps de réflexion plus important2, les décideurs seraient néanmoins limités dans leur recherche d’optimalité par d’autres facteurs : l’accès aux informations, les capacités cognitives permettant de traiter et d’utiliser ces informations, les choix difficilement réversibles effectués précédem-ment (ex : choix d’une technologie particulière, choix d’un lieu d’implantation, etc.). Ces limites impliquent que le processus de décision ne peut pas être modé-lisé comme une optimisation instantanée pour laquelle les agents ont accès à tous les choix possibles.

Malgré cela, les agents ne sont pas pour autant dénués de toute rationalité. Leurs choix sont le résultat d’un comportement de satisficing : ils choisissent l’option qui leur parait la plus satisfaisante compte tenu des limites auxquelles ils sont confrontés, de par leur histoire, leurs facultés respectives, etc. C’est ce que H. Simon a appelé la rationalité limitée (Simon, 1955).

Cette modélisation des comportements a plusieurs conséquences importantes sur le reste de l’analyse. Elle implique d’une part, que le chemin suivi par la firme a une importance. C’est ce que les auteurs appelle la dépendance de sentier. L’analyse doit donc se focaliser sur les évolutions des variables plutôt que sur des équilibres statiques de variables à un moment donné du temps. Elle implique d’autre part, que les firmes possèdent des routines qui leur sont propres et donc des capacités et rigidités spécifiques. De ce fait, une population de firmes est caractérisée par une certaine hétérogénéité, et on ne peut plus considérer comme dans la théorie économique classique, qu’une économie ou une industrie peut être modélisée par l’agrégation de comportements individuels suivant celui d’une firme représentative.

Ainsi, comme dans l’approche par les ressources et compétences qu’elle a en partie inspirée, l’approche de R. Nelson et S. Winter propose que les firmes disposent de capacités distinctives. Et pour ces auteurs, les routines organisationnelles sont à l’origine de ces dernières. Ce sont elles qui permettent à une firme d’être plus ou moins performante. Ce sont elles également qui permettent de créer une «

trêve » entre des individus aux intérêts divergents au sein de l’organisation, et de

coordonner leurs comportements et objectifs.

Mais au-delà de ces aspects stabilisateurs des routines, paradoxalement, les rou-tines jouent également un rôle dans le changement organisationnel, et donc dans l’innovation. En effet, ce sont elles qui permettent à une firme de conserver une mémoire organisationnelle, notamment de ses échecs et succès, et ce faisant, qui

2. Comme cela peut être le cas par exemple pour certaines décisions stratégiques importantes, moins quotidiennes, pour lesquelles un grand nombre de ressources financières, humaines et temporelles sont mobilisées.

4.2. Stratégie et capacité d’innovation

sont porteuses de ses mécanismes d’apprentissage. Ce sont elles également qui per-mettent de repérer des opportunités d’innovation : il est fréquemment noté que l’aspect le plus difficile d’un processus de recherche est de trouver la bonne ques-tion à se poser. Or les quesques-tions les plus pertinentes émanent souvent de problèmes et d’anomalies des pratiques habituelles, ou autrement dit des routines organisa-tionnelles.

Ainsi, à partir de cette théorie de la firme basée sur le concept de routines or-ganisationnelles, Nelson et Winter expliquent à la fois l’origine de l’hétérogénéité

des firmes, l’existence d’une dépendance de sentier des firmes quant aux choix

qu’elles peuvent effectuer, mais aussi la manière dont les firmes évoluent. Selon cette approche, les routines organisationnelles sont donc au cœur des processus

d’innovation des firmes.