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1. Résolution de problèmes : de l’individuel au collectif

1.4. Les sujets face à leur tâche : concevoir à plusieurs

Lʹingénierie  concourante  suscite  les  rencontres  entre  les  différents  acteurs de la conception pour optimiser les échanges dʹinformation et se  diriger vers la construction dʹun sens commun. Or, si le processus nʹest plus  séquentiel comme dans lʹapproche traditionnelle de la conception, il nʹen  demeure pas moins que chaque acteur conserve sa spécificité, son rôle et son  expertise. Cʹest‐à‐dire que chacun possède un objectif qui lui est propre. Le  bureau dʹétude a pour objectif de définir au mieux le besoin à remplir par le  produit en fonction de la définition du problème par le client ou lʹutilisateur. 

Le bureau des méthodes doit choisir les composants qui, réunis, pouront  conférer à la structure les meilleures performances. Quant au service de  fabrication, il doit optimiser le potentiel des machines de lʹatelier pour la  réalisation du produit (Charpentier et al, 1995). 

On le voit, dans cette approche distribuée des rôles de chaque acteur  pour la conception, ces derniers ont des objectifs locaux. Et reliés entre eux, ils  forment un système doté dʹun objectif global : la conception du produit qui  correspond à la demande formulée par la commande du client. Cette méthode  de conception suppose donc que les acteurs sʹacheminent vers lʹobjectif global,  différent de leurs objectifs respectifs au fur et à mesure des échanges qui  prennent place dans lʹinteraction. 

Cette  présentation  de  la  situation  de  conception  laisse  entrevoir   quelques spécificités de la situation de résolution de problème de conception  que nous avons retenue. En effet, outre la dimension collective, il sʹagit de  réunir des acteurs aux compétences diverses. Néanmoins, nous ne sommes  pas dans le paradigme  ʺexpert/noviceʺ, car il ne sʹagit pas de compétences  différentes  en  termes  de  niveau  de  maîtrise,  mais  bien  de  compétences  différentes en terme de complémentarité pour lʹatteinte de lʹobjectif global. 

Cette distinction nous semble importante car elle reflète, non pas un niveau  dʹexpertise différent mais des compétences dʹexperts différents. 

La  présence  de  connaissances  différentes  au  sein  dʹun  collectif  qui  interagit introduit la notion de mise en commun de ces connaissances dans  lʹobjectif de concevoir un objet. Pour concourir à la réussite de lʹobjectif global,  cʹest‐à‐dire la conception de cet objet, chaque acteur va devoir exposer et faire 

comprendre  ses  points  de  vue,  mais  il  devra  également  comprendre  et  prendre en compte les connaissances des autres acteurs (Brassac et al, 1997). 

Tel que nous venons de la présenter, la conception distribuée a pour principale  caractéristique de percuter le déroulé habituellement séquentiel pour laisser la place à  un modèle plus ʺtourbillonnaireʺ (Midler, 1996, p. 68). Dans cette circonstance, on  peut se demander ce que devient la planification de la résolution de problème que nous  avons envisagée plus avant. 

1.4.1. La planification dans le processus de conception distribuée

Bien souvent, et cʹest le cas si lʹon se réfère à lʹindustrie automobile, les  problèmes de conception sont de dimension si grande quʹils obligent les  concepteurs à structurer le problème en buts et sous‐buts. Nous retrouvons ici  la démarche de planification de la résolution de problème que nous avons  évoquée un peu plus haut. De la sorte, les concepteurs identifient des sous‐

systèmes quasi autonomes. Par exemple, en conception automobile, le train  avant et le moteur seront traités indépendamment par des sous‐groupes de  concepteurs.  

Cette  structuration  du  processus  de  conception  correspond  à  la  démarche descendante que nous avons présentée plus avant. Dans le cas de la  conception, la démarche descendante consiste, à partir de lʹexpression de la  demande du client ou de lʹutilisateur, à décomposer cet objectif global en  sous‐buts associés dans un processus descendant. 

Or, on sait que les sous‐buts interfèrent entre eux du fait des contraintes  qui lient les différents objets techniques. Cʹest le moteur et le train avant, deux  sous‐buts distincts dans notre exemple qui sont interdépendants par la liaison  technique qui les relient physiquement. 

Mais  toutes  les  contraintes  ne  sont  pas  identifiées  au  cours  de  la  planification descendante du processus de conception. En effet, dʹautres vont  émerger au cours du processus lui‐même puisque lʹingénierie concourante  parie sur lʹinteraction des différentes compétences pour identifier, négocier et  intégrer ces contraintes pour les dépasser. 

Ainsi, la mise en évidence au cours du processus de conception du  produit, de nouvelles données qui nʹavaient pas été envisagées jusque là, va  obliger à restructurer le processus, ou une partie du processus, en partant de  ces nouvelles données. Et lʹon est alors dans ce que nous avons défini de la  démarche ascendante.  

On le voit, la conception distribuée fait apparaître une démarche de  résolution  de  problème  dont  la  planification,  dʹabord  descendante,  se  réorganise et sʹajuste au fur et à mesure de lʹavancée vers lʹobjectif global. 

Cette troisième voie, qui mêle démarche descendante et ascendante, reflète le  caractère non exclusif des deux démarches que nous avons déjà envisagé. 

Mais si Hoc (1987) se contente de souligner cette éventualité, dʹautres auteurs  ont identifié cette troisième démarche et proposent le terme de démarche  ʺopportunisteʺ (Richard, 2002 ; Beguin et Darses, 1998). 

Nous avons vu, lors de la présentation de la démarche ascendante que le  plan dʹaction pouvait être remis en cause si sa mise en œuvre conduisait à une  impasse. Dans le cas de la conception, la notion de contraintes prend ici tout  son sens. En effet, les contraintes liées au produit à concevoir jalonnent toute  la démarche, que nous venons de découvrir opportuniste, et peuvent être  envisagées comme les éléments clé dans une démarche ascendante (Darses et  Falzon, 1996). En fait, les contraintes vont restreindre lʹespace de recherche en  balisant lʹensemble des solutions possibles. 

1.4.2. Place des contraintes dans la conception distribuée Nous avons vu que les problèmes de conception sont des problèmes mal  définis et ouverts. Et Hoc (1987) nous précisait que le sujet doit se représenter  la tâche comme lʹélaboration dʹune représentation détaillée du but à atteindre. 

De la sorte, les concepteurs ne disposent, au départ, que dʹune représentation  mentale  incomplète  et  imprécise.  Il  leur  faudra  donc  préciser  leur  représentation et, vraisemblablement, compléter le cahier des charges. En cela  les concepteurs vont introduire et générer de nouvelles contraintes (Darses,  1994). 

Ce processus est important car il introduit la notion de différences dans  la méthode de résolution du problème et explique, au moins en partie, la  diversité des solutions possibles.  

Ainsi des concepteurs confrontés à une même tâche parviendront à des  solutions très différentes les unes des autres (Chevalier et Bonnardel, 2003). En  ce sens, Richard et Zamani (1996) nous précisent que ʺrésoudre un problème  cʹest rechercher le meilleur compromis entre un ensemble de contraintesʺ  (Richard, Zamani, 1996, p. 79). Dans notre situation les contraintes sont liées  aux concepteurs et donc aux individus, tel que nous lʹavons exposé au début  de ce chapitre. Et cela rejoint la pensée de Chevalier et Bonnardel lorsquʹelles  expliquent que ʺla construction et la précision de la représentation mentale du  concepteur reposent en partie sur les contraintes quʹil mobilise.ʺ (Chevalier,  Bonnardel, 2003, p. 36).  

Par  ailleurs,  nous  avons  découvert  que  la  situation  de  conception  autrefois linéaire, qui pouvait être analysée sous lʹangle dʹune somme de  contribution individuelle,  est  devenue  collective.  Lʹindividu  qui  résolvait  isolément pouvait mobiliser et appliquer ses contraintes à sa guise. Il est lui  demandé aujourdʹhui dʹexposer son point de vue, de le partager et surtout de  négocier avec les autres concepteurs. On comprend alors quʹil leur faudra  mutualiser les contraintes pour converger et concourir vers la solution. Sur ce  point, Beguin et Darses (1998) nous précise que la mise en confrontation des  points de vue de plusieurs participants qui sont chacun porteur de logiques  différentes et dʹexpertise variées devient le point crucial de cette situation de  résolution de problème.  

 

Ce premier chapitre pose le contexte global de notre problématique. En effet,  nous posons que lʹhomme est partie prenante dʹun environnement dans lequel il  évolue et avec lequel il interagit. Au cours de ces interactions, il rencontre des  situations qui lui posent problème. Il doit donc mettre en œuvre ce que nous avons  défini de la résolution de problème. Pour cela il dispose de connaissances, de facultés  de raisonnement, de stratégies. Puis, nous avons choisi de diriger notre recherche vers  un type de situation qui sollicite son environnement social. En effet, nous avons défini  lʹingénierie  concourante  comme  une  situation  de  conception  qui  présente  la  particularité dʹêtre collective. Il doit donc mettre ses capacités de raisonnement au  service dʹune coopération avec dʹautres individus pour résoudre un problème qui leur  est commun.  

Il nous faut à présent éclairer cette particularité collective de la résolution de  problème. Cʹest ce que propose le chapitre suivant. 

 

Chapitre II : Résoudre un problème en