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Chapitre IV : une représentation analogique, la représentation imagée

4. Du traitement de l'information à la représentation mentale imagée

4.1. La quête du lien gestuelle - cognition

4.1.1. Gestalt et reconnaissance de formes

Ce qui nous a mis sur la voix de la psychologie de la forme cʹest dʹune  part sa volonté de sʹopposer à lʹintrospection et dʹautre part son intérêt pour la  perception. Mais pas uniquement. En effet, nous avons vu au cours de nos  investigations  sur  la  communication  non  verbale,  quʹen  poussant  le  raisonnement à son extrême, lʹon pouvait aller chercher chez les animaux,  donc chez le vivant qui ne dispose pas dʹun langage verbal, des transmissions  de messages, et même des résolutions de problème qui sʹappuient sur de  lʹinformation issue de perceptions visuelles mais non disponibles au moment  de la résolution. Or, sʹil est bien un courant de pensée qui envisage une  cognition sans langage, cʹest bien la Gestalt Psychologie (Gapenne et Roviva,  1999). 

Le gestaltisme tire son nom de lʹécole psychologique fondée à Berlin  dans les années 1910‐1920 et dont la traduction française a donné ʺpsychologie  de  la  forme  (de  lʹallemand  Gestalt)ʺ.  Les  auteurs  de  cette  approche,  Wertheimer,  Koehler  et  Koffka  pour  les  plus  célèbres,  sʹintéressent  particulièrement à ce quʹils définissent  ʺformeʺ et donc aux mécanismes de  perception visuelle de ces formes. 

Nous pensons que la perception visuelle des formes occupe une place  importante dans le processus de résolution de problème de type conception  tel que nous lʹavons défini. En effet, les recherches actuelles dans ce domaine  sʹintéressent de près aux  ʺobjets intermédiairesʺ, cʹest‐à‐dire aux productions  qui ponctuent le processus de  conception et  permettent  aux concepteurs  dʹexternaliser des représentations : dessins, graphiques, schémas,  croquis,  maquettes,  prototypes  etc  .  .  .  La  bonne  compréhension  mutuelle  des  informations  véhiculées  par  ce  type  de  représentations  repose  alors  essentiellement sur la perception visuelle.  

Sur ce point, Suwa et Tversky (1997) expliquent que ces représentations  externes ne sont pas de simples aide‐mémoire mais bien des facilitateurs de la  résolution du problème en guidant les inférences. Ce rôle facilitateur repose  sur lʹexistence de la représentation externe mais plus encore sur son rôle dans  les processus cognitif dʹinterprétation (Suwa & Tversky, 1997). Or, lorsque lʹon  parle  dessin,  graphiques,  schéma,  etc.,  il  nous  semble  que  ce  processus  cognitif dʹinterprétation passe par une nécessaire reconnaissance de forme  telle que les gestaltistes lʹont explorée. 

Même  si  nous  pensons,  comme  lʹexplique  Bonnet  (1989),  que  la  représentation  issue  de  la  perception  nʹest  pas  le  reflet  immédiat  de  la  structure du monde comme le présupposaient les Gestaltistes, il nous semble  judicieux  de  ne  pas  écarter  trop  rapidement  les  lois  de  lʹorganisation  perceptive. Cʹest en effet à travers ces lois quʹils définissent la Forme, cʹest‐à‐

dire une organisation qui est plus que la somme des éléments, de sorte quʹelle  possède en propre une qualité que lʹon ne trouve dans aucun des éléments la  constituant.  

Ainsi, la Forme pour les gestaltistes devient une structure, cʹest‐à‐dire  une structure unitaire qui présente une unité propre. Bonnet (1989) dénombre   114 lois de lʹorganisation perceptive. Nous allons reprendre quelques une de  ces lois. Il nous semble, en effet,  judicieux de les garder à lʹesprit car il y a fort  à  parier  quʹelles  ont  des  choses  à  nous  dire  par  rapport  aux  dessins,  graphiques, et autres  schémas que les concepteurs utilisent.  Nous allons  suivre  Reuchlin  (1993)  qui  illustre  les  cinq  (figure  8),  quʹil  considère  principales, de la manière suivante : 

     

Proximité 

 

Des  éléments  relativement  proches  sont  perçus  comme  appartenant à la même forme.On perçoit plus facilement, sur la  figure de gauche, trois colonnes étroites et un trait isolé à droite  que trois colonnes larges et un trait isolé à gauche, comme cela  serait également possible. 

Similarité 

Des éléments relativement  semblables sont perçus comme  appartenant à une même forme. Sur la figure de droite, on verra  plus facilement des alignements horizontaux (trois lignes de  cercle blanc et trois lignes de cercle noir) que des alignements  verticaux (huit colonnes de cercles alternés blanc noir). 

 

 

Continuité 

Des éléments orientés dans  la  même  direction tendent  à  sʹorganiser en une forme. 

Sur la figure de droite, on perçoit plus facilement la figure  supérieure comme la superposition des deux lignes de que  lʹassemblage des deux lignes de B (qui pourtant la reconstituent  plus restreint, elle désigne des contours  ʺsimplesʺ complets. 

Dans la figure on percevra deux formes, le rectangle et lʹellipse. 

On pourrait en percevoir trois, mais la petite surface centrale  introduirait des    ʺéchancruresʺ  dans  le  rectangle  et  dans  lʹellipse,  et  nos  mécanismes  perceptifs  évitent  autant  que  possible  les  interprétations  conduisant  à  des  tracés  ʺincompletsʺ. 

 

 

Figure 8 : les cinq lois de lʹorganisation perceptive illustrées par Reuchlin (1993) 

Ces lois gestaltistes rendent compte de la formation de groupements et  de  configurations.  Ce  sont  des  constats.  Pourtant  ces  constats  sont  des  relations répétables qui viennent impacter les représentations via les objets  intermédiaires lorsque les concepteurs vont avoir recours aux croquis pour  exprimer, externaliser, la représentation quʹils souhaitent partager. 

Prenons lʹexemple de la figure 9 où nous dessinons un losange vertical  (A), un losange horizontal (B) et un carré (C). 

B C 

  Figure 9 : un losange vertical (A), un losange horizontal (B) et un carré (C) 

Dessinés éloignés les uns des autres, ce sont trois figures géométriques  A, B, C. Il sʹagit de figures représentées à plat sur une feuille, ce que lʹon  appelle  communément  une  représentation  en  2  Dimensions.  Mais,  si  on  choisit de les rapprocher de manière à superposer certaines de leurs arrêtes,  lʹassemblage  engendre  une  figure  qui  véhicule  plus  dʹinformations  que  chacune des trois formes géométriques car, la représentation est maintenant  perçue comme un volume, cʹest‐à‐dire une représentation en 3 Dimensions  comme nous le montre la figure 10.  

 

 

A B

C

A B

C

Figure 10 : lʹassemblage devenant volume 

Ce phénomène est  important pour notre recherche, car  nous  avons  constaté que les tests papier crayon, utilisés pour lʹévaluation des capacités de  représentation  visuo‐spatiale,  sʹappuient  sur  des  représentations  de  type 

ʺdessin au traitʺ qui simulent la perception de la troisième dimension par ce 

procédé. On pensera, par exemple, au test de rotation mentale de Vandenberg  et Kuse (1978), lʹépreuve de pliage du cube de Shepard et Feng (1972) ou 

encore, le subtest ʺspatialʺ de la Batterie Générale dʹAptitude (Boss, Cardinet,  Maire et Muller, 1960).  

On le voit à travers cet exemple du cube, le stimulus, utilisé pour la  représentation graphique, respecte ce que les gestaltistes ont observé. Par  ailleurs, ces lois de lʹorganisation perceptive, par lʹexplication quʹelles tentent  de  donner  de  lʹinterprétation  de  lʹinformation,  nous  guident  vers  les  représentations mentales de type imagé. Et sur ce point, la seconde approche  structuraliste, celle de Piaget, constitue le début de nos investigations.