Chapitre III : Une modalité d'interaction spécifique : La gestuelle des mains pour
3. La communication : du modèle princeps de Shannon vers une multicannalité
3.4. Quels gestes pour nos travaux
3.4.3. Percevoir le geste
Le rôle principal du système nerveux est de permettre à lʹindividu dʹavoir un comportement adapté aux diverses situations auxquelles il peut être confronté. Pour cela, il doit pouvoir renseigner sur différents paramètres physiques et chimiques du milieu, intégrer les informations recueillies et les comparer à lʹexpérience passée, et enfin programmer un ensemble de mouvements qui permettront une réaction adaptée. Et sa singularité, par rapport au système endocrinien, cʹest quʹil dispose de tout ce quʹil faut pour réaliser cela de manière optimale. En effet, il est en mesure de moduler les réponses, de cibler les réponses et surtout dʹapporter des réponses rapides grâce à la nature électrique des messages dont il se sert.
Les systèmes sensoriels qui analysent les informations provenant du monde extérieur ou intérieur constituent le préalable à toute activité, consciente ou inconsciente, de lʹorganisme (Perilleux, Anselme et Richard, 1995).
Ainsi la perception visuelle du geste, et la conscience quʹa lʹinterlocuteur de celui‐ci résulte de lʹinterprétation, en référence à lʹexpérience personnelle de lʹindividu, dʹune somme dʹimpressions sensorielles différentes captées par lʹoeil. Les phénomènes perceptifs sont alors subjectifs, et chaque individu interprète personnellement chaque sensation particulière.
Lʹinformation sensorielle prend naissance au niveau de lʹœil lorsquʹun stimulus traverse le champ visuel. Les récepteurs sensoriels vont alors assurer le codage de cette stimulation en un message interprétable par les niveaux supérieurs du système nerveux. Le message est transmis le long des voies sensorielles avant dʹêtre interprété au niveau du système nerveux central (Perilleux et al, 1995). Ainsi, en suivant la voie visuelle rétino‐geniculo‐
corticale, le champ visuel gauche se projette dans lʹaire visuelle primaire droite et vice versa (Bear, Connors et Paradiso, 2002). Le cortex visuel étant situé au niveau du lobe occipital.
Jannerod (1998) qui sʹintéresse à la reconnaissance dʹobjet puis à la saisie par la main, nous détaille les mécanismes qui mènent de la vision à lʹaction.
Ce point est important pour nos travaux car lʹaction qui résulte de la vision relève nécessairement de la compréhension et lʹinterprétation de lʹindividu pour lui permettre de choisir le comportement adapté comme nous lʹavons mentionné ci‐dessus. Ainsi, comme lʹillustre la figure 7, cet auteur nous apprend quʹil existe deux modalités de la vision : deux voies cérébrales visuelles parallèles, qui traitent différentes informations extraites du même objet.
La voie inférieure ou ventrale, relative au lobe temporal, semble spécialisée pour identifier et reconnaître lʹobjet alors que la seconde, la voie supérieure ou dorsale, liée au lobe pariétal, semble spécialisée dans la réalisation dʹactions dirigées vers lʹobjet. Ce qui fait dire à Jacob (1998) que la voie ventrale permettrait de répondre à la question : quel est lʹobjet ? Et la voie dorsale de répondre à la question : où est lʹobjet ?
Figure 7 : Voie ventrale : reconnaissance, identification des objets. Voie dorsale : traitement des informations, actions.
(La recherche, n°309)
Toutefois, Jannerod (1998) nous demande dʹêtre prudent sur le rôle attribué à ces deux voies et met en garde contre une réduction rapide pour une dichotomie ʺvision pour la perceptionʺ ou système ʺsémantiqueʺ et
ʺvision pour lʹactionʺ ou système ʺpragmatiqueʺ. En effet, il apparaît que des
malades, victimes de lésions au niveau de la voie dorsale, montrent un déficit visuo‐moteur mais perdent également une forme particulière de perception spatiale. Ils ne peuvent en effet, plus identifier ou décrire certaines propriétés spatiales des objets, comme leur orientation ou leur taille, ils peuvent même éprouver des difficultés à reconnaître un objet photographié sous un angle inhabituel. Il propose alors de regarder les deux voies visuelles sous lʹangle dʹune collaboration. Et lʹauteur illustre cette collaboration par une observation courante en faisant remarquer que lʹon ne tient pas de la même manière un crayon et un bâton de taille similaire, ʺce qui indique bien que lʹaction tient compte de la sémantique de lʹobjetʺ (Jeannerod, 1998, p.56).
Cette démonstration est importante, à la fois pour le locuteur mais aussi pour lʹinterlocuteur, car elle montre que les neurosciences vont dans le sens de lʹhypothèse de McNeill qui nous montrait que le geste iconique est activé dans une synchronie sémantique avec le discours.
On notera enfin que Jacob (1998) nous fait remarquer que la voie ventrale, avec ses propriétés dʹanalyse ʺsémantiqueʺ produit des ʺreprésentations perceptuellesʺ conscientes de lʹobjet et que la voie dorsale, avec ses propriétés dʹanalyse ʺpragmatiqueʺ produit des représentations motrices dʹobjets. Les représentations perceptuelles conscientes sont alors mises à la disposition de processus cognitifs supérieurs de conceptualisation.
Ainsi, lʹinterlocuteur qui perçoit le geste non verbal iconique, en mettant en œuvre les mécanismes de la perception que nous venons de décrire
brièvement, va aussi mettre en œuvre des processus cognitifs supérieurs pour conceptualiser et sʹapproprier lʹobjet de sa perception.
Sur ce point, McNeill (2002) nous avait indiqué que le geste iconique permet de donner une forme, visuellement accessible, au contenu sémantique du discours. Nous venons de voir que la perception du geste donne sens à lʹobjet de la perception, via des représentations perceptuelles conscientes qui sont mises à disposition de processus cognitifs supérieurs. Sur ce point, la neuropsychologie récente, confirme les travaux sur les représentations mentales imagées et nous révèle que les deux grandes voies que nous venons dʹévoquer sont aussi valables pour les images mentales, cʹest‐à‐dire pour un contenus visuo‐spatial, en présence mais aussi en lʹabsence de stimulus visuel (Mellet, Tzourio, Crivello, Jolliot et Denis, 1998).
Il semble donc que si la communication non verbale, par le geste de la main, contribue au raisonnement que vont mettre en œuvre les concepteurs pour résoudre leur problème, cʹest par lʹélaboration et lʹutilisation dʹun contenu spatialisé.
Le second chapitre a été lʹoccasion dʹéclairer le processus collectif de résolution en mettant en avant les nécessaires interactions pour lʹélaboration, entre autre, du référentiel commun. Ce chapitre sʹest donc donné pour objectif dʹéclairer le concept de communication en tant que support de ces interactions.
Ainsi nous venons de voir que la communication pouvait sʹenvisager sous lʹangle dʹune multi modalité. Et parmi toutes les formes que peut revêtir cette communication, nous avons choisi de centrer notre attention sur le canal non verbal.
Un canal dont nous avons montré quʹil était souvent étudié pour sa capacité à transmettre de lʹinformation émotionnelle. Sans remettre en cause cette position, nous avons proposé dʹemprunter une autre voie pour envisager une participation plus cognitive à notre situation de résolution de problème. Pour cela nous avons choisi de concentrer notre problématique sur la gestuelle des mains et plus précisément sur les gestes que les différents référentiels disponibles qualifient dʹiconiques. Avec la perception visuelle de ce geste nous avons introduit le point dʹentrée de nos investigations du caractère cognitif du rôle de ce geste dans la résolution de problème.