Chapitre V : Un outil d'évaluation de la capacité de représentation visuo-spatiale
5. EXPERIENCE 1 : évaluer l'aptitude spatiale
5.1. Les différents types d'évaluation de l'aptitude spatiale
5.1.4. La nature de la tâche
Figure 23 : Item dʹexemple du Spatial Apperception Test de lʹU.S. Navy (Egan, 1981)
Lʹavantage de ce type dʹépreuve, dites objectives dans toutes leurs déclinaisons, est de comporter les deux critères que nous cherchons à respecter : la nature de la tâche peut être définie par lʹexpérimentateur et la mesure ne repose pas sur une auto‐évaluation par le sujet mais bien sur une évaluation pour laquelle il existe une réponse correcte attendue.
Notre évaluation sʹappuiera donc sur un outil de type épreuve objective dont il nous reste à définir la nature de la tâche.
5.1.4. La nature de la tâche
Huteau et Lautrey (1999), lorsquʹils présentent la structure hiérarchique des capacités cognitives dʹaprès Carroll (1993) répertorient, pour le facteur de second ordre ʺReprésentation visuo‐spatialeʺ, quatre facteurs de premier ordre. Ces quatre facteurs, Visualisation (VZ), Relations spatiales (SR), Vitesse de closure (CS) et Flexibilité de structuration (CF), sont présentés comme étant les plus significatifs car les auteurs reconnaissent que la structure hiérarchique en compte d’autres (Huteau, Lautrey, 1999). La révision actuelle, disponible sur Internet, du projet Cattell‐Horn‐Carroll CHC (Gf‐Gc) Theory (McGrew, 2005) de développement de la taxonomie des capacités cognitives humaines, indique onze habiletés pour le facteur GV Représentation Visuo‐Spatial (Gv).
Aux quatre habiletés présentées ci‐dessus, viennent s’ajouter Mémoire Visuelle (MV), Balayage Spatial (SS), Intégration Perceptuelle Séquentielle (PI), Estimation de longueur (LE), Illusion perceptive (IL), Alternances Perceptuelles (PN) et Imagerie (IM). Ces onze dimensions traduisent, pour notre recherche, ʺlʹespaceʺ des épreuves susceptibles de solliciter lʹimagerie mentale du sujet pour leur résolution.
La tâche que nous souhaitons mettre en œuvre doit sʹapprocher, aussi près que possible, de lʹactivité du sujet qui sera, ensuite, placé dans une situation de conception. Par ʺapprocherʺ nous entendons : proposer une tâche dont lʹobjet, ainsi que le traitement appliqué à cet objet, est similaire aux objets et traitements utilisés pendant la phase de conception. Elle doit activer des ʺleviersʺ cognitifs analogues à ceux qui seront sollicités en situation ultérieure de conception. Nous avons vu au cours du chapitre II quʹil sʹagissait dʹune
situation de conception mise en œuvre en contexte industriel. Si la conception peut concerner sur un matériel abstrait, tel par exemple quʹune nouvelle procédure dans une démarche qualité ou bien encore une fonction dʹun logiciel informatique, notre situation relève, quant à elle, de la conception dʹun objet concret, physiquement matérialisable comme par exemple une table dans le domaine de la menuiserie ou un combiné téléphonique pour le design.
Nous souhaitons ainsi mettre en œuvre un outil dʹévaluation qui sʹappuie sur des stimuli proches des objets réels et pour une tâche qui demande de manipuler et dʹappliquer des opérations de transformation à ces stimuli. En effet, nous avons vu au cours des chapitres précédents que les concepteurs vont devoir se représenter lʹobjet en cours de conception mais également appliquer à cet objet les transformations proposées par le groupe de travail et véhiculées par les interactions.
Ainsi, par exemple, les tests qui saturent les facteurs de flexibilité de clôture (CF) nous semblent éloignés de ces caractéristiques. En effet, ce sont des outils pour lesquels il sʹagit de mesurer la facilité avec laquelle le sujet parvient à déstructurer une forme perceptive pour en percevoir une autre. Ici, il nous semble que lʹobjet sur lequel porte la tâche, résulte dʹune construction de lʹesprit pour les besoins de lʹoutil dʹévaluation et lʹobjet de la représentation visuo‐spatiale se retrouve éloigné dʹun objet usuel.
Si les onze dimensions que nous avons présentées ci‐dessus contribuent au facteur Gv de représentation visuo‐spatial, il nous semble que les tests saturés par le facteur relations spatiales (SR) soient les plus à même de correspondre aux caractéristiques que nous avons définies. Il sʹagit en général dʹappliquer des opérations de rotation, de pliages, dépliages, enroulements, etc.… sur des objets. Une des principales caractéristiques des outils dʹévaluation de ce type est de ne requérir quʹune seule opération de transformation. Ainsi Lohman (1988) explique que ce nʹest pas la rapidité de lʹopération de transformation qui est importante mais plutôt la qualité de la représentation imagée sur laquelle elle porte. La tâche que le sujet doit effectuer a donc dʹautant plus de chance dʹaboutir à une réponse correcte que la représentation imagée quʹil aura utilisée sera de bonne qualité. Il sʹagit ici des deux caractéristiques qui nous semblent les plus importantes pour notre mesure : appliquer une transformation à un objet issu de lʹenvironnement du sujet et la qualité de la représentation imagée comme facteur de réussite de la tâche.
Pour beaucoup, les outils dʹévaluation répondant à ces caractéristiques et disponibles actuellement ont, de notre point de vue, deux inconvénients majeurs à lʹégard de la démarche qui est la nôtre. Tout dʹabord ce sont des outils, dans leur grande majorité, subtests dans une batterie dʹévaluation plus
globale. Ce type de subtest nʹest pas prévu pour être extrait de lʹensemble et pour être utilisé isolément. Ou éventuellement, si telle est la démarche de lʹutilisateur, celui‐ci doit, à minima, inclure une phase de validation de ce subtest dans les conditions dʹutilisation devenues différentes de celles préconisées par le constructeur de la batterie de tests.
Par ailleurs, le matériel exploité dans ces subtests sʹappuie le plus souvent sur des représentations dessinées des objets qui sont présentées au sujet. Ces dessins, souvent sur fond blanc, utilisent un tracé simulant les trois dimensions par un graphisme de type perspective filaire noire.
Ce mode de représentation sʹappuie sur les conventions du dessin technique pour reproduire, sur une surface à deux dimensions, un objet en trois dimensions. De la sorte, il est légitime de penser que le sujet doit tout dʹabord interpréter la perspective filaire pour ʺassimilerʺ la représentation qui lui est présentée avant dʹappliquer la transformation. Cette situation est très proche de celle que nous avons rencontrée dans une expérience professionnelle dʹinfographiste en cabinet dʹarchitectes.
Dans un contexte de conception de bâtiment industriel, lʹarchitecte est conduit à collaborer avec dʹautres techniciens du bâtiment mais également avec des clients, donneurs dʹordres, qui nʹont quʹune connaissance limitée du dessin technique (figure 24 a). Cette différence de niveau de compétences se traduit par de grandes approximations dans le partage des représentations véhiculées par le langage de lʹarchitecte, les perspectives filaires, et celui de son client. Comme dans le cadre de la conception industrielle qui nous intéresse, la réalisation matérielle et concrète de lʹobjet de la représentation serait la solution optimale pour ce partage de représentation mais, comme nous lʹavons déjà montré, elle nʹest évidemment pas envisageable. Il faut donc, pour le professionnel, trouver le moyen de partager efficacement sa représentation dans lʹobjectif de présenter à son client sa proposition de solution. Ce moyen est à rechercher dans un espace balisé par la représentation filaire, très simple à mettre en œuvre car issue des outils de travail du professionnel mais inefficace, et lʹobjet lui‐même, dont lʹefficacité ne fait aucun doute mais irréalisable.
La solution optimale, la plus souvent adaptée, semble être la maquette.
En effet, il sʹagit de lʹobjet lui‐même, mais matérialisé à une échelle réduite dont on comprend aisément que la mise en œuvre sera, certes, plus complexe que le graphique filaire mais en tout état de cause beaucoup plus rapide que lʹobjet lui‐même. Le client accède alors a une matérialisation de lʹobjet qui se présente à sa perception visuelle comme se présentera lʹobjet lui‐même, à un rapport de proportion près.
Toutefois, cette maquette nʹest pas sans présenter dʹinconvénients dans une phase de négociation portant sur des solutions esthétiques. En effet, cette maquette permet un partage des représentations suffisamment efficace pour que le client et lʹarchitecte soient en mesure dʹajuster les choix esthétiques.
Ainsi la maquette doit être modifiée pour refléter ces modifications. Or, si une gomme et quelques coups de crayons suffisent pour ajuster un graphisme filaire, lʹajustement dʹune maquette requièrt beaucoup plus dʹénergie et de compétences. Cette solution est donc réservée, soit aux chantiers dont lʹampleur rend raisonnable le temps consacré à la maquette, soit aux phases ultimes dʹun chantier, cʹest à dire lorsque lʹarchitecte estime quʹil nʹy aura plus de modifications majeures.
Une autre forme de représentation, plus efficace que le dessin filaire et plus simple à mettre en œuvre que la maquette est aujourdʹhui proposée par les outils informatiques graphiques. En effet, lʹimage de synthèse (figure 24 b) reprend le concept du dessin filaire de lʹarchitecte mais lui ajoute toutes les propriétés de texture et de reflet de la lumière des matériaux pour produire une image de lʹobjet qui simule la future photographie de celui‐ci, comme si il était matérialisé. Pour avoir travaillé, pendant quelques années consécutives, sur la création dʹimages de synthèse de bâtiments industriels, à partir de plans architecturaux, nous avons pu constater tous les avantages de cette forme de représentation pour le partage des représentations entre le professionnel architecte et son client.
(a) plan architectural (b) image de synthèse Figure 24 : plan architectural (gauche), image de synthèse (droite)
Cʹest en partant de ce principe que nous souhaitons construire un outil dʹévaluation des représentations visuo‐spatiales dont la validité écologique sera améliorée par rapport à ceux que nous avons rencontré jusquʹà présent.
Au vu de ce qui vient dʹêtre dit, nous proposerons une tâche qui consistera en lʹapplication dʹune transformation sur un objet. Cette transformation vise à modifier lʹobjet de telle sorte que le sujet doit mobiliser sa capacité de représentation visuo‐
spatiale pour prévoir le résultat. Plusieurs solutions lui seront proposées et il devra indiquer celle qui correspond à sa prévision. Par ailleurs, la conception dʹun nouvel outil dépassant le cadre de nos travaux, nous proposons de nous appuyer sur un outil existant pour lequel nous retravaillerons les items avec la technique dʹimage de synthèse.
5.2. Vers l'amélioration d'un outil existant