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Chapitre II : Résoudre un problème en groupe : la nécessité de communiquer

2. Raisonner collectivement : du groupe aux interactions

2.3. La Collaboration : un processus collectif de production de représentations représentations

2.3.1. Réunir le groupe : l'origine des interactions

Nous avons jusquʹici, utilisé le terme dʹinteraction sans véritablement le  définir. Or nous découvrons au fur et à mesure de lʹavancée de nos travaux  que celui‐ci prend une place très particulière et relativement centrale de part  la situation que nous avons choisie et définie. En effet, nous avons choisi de  concentrer nos travaux sur une situation qui requiert la présence physique des 

individus pour la tâche qui leur est demandée. Ainsi toutes les actions qui  vont concourir au cheminement vers la solution repose sur les échanges entre  les  participants.  Ces  échanges  de  toutes  natures  peuvent  justement  être  regroupés sous le terme dʹinteractions. 

En effet, les interactions peuvent être de nature très diverses si lʹon en  juge par les champs disciplinaires qui sʹen préoccupent. Pour la linguistique il  sʹagit  ʺdʹinteractions  langagièresʺ, pour la psychologie du développement  ʺdʹinteractions précocesʺ, pour lʹanthropologie ʺdʹinteraction socialesʺ, pour la  psychologie sociales  ʺdʹinteractions humainesʺ etc . . . Cʹest la raison pour  laquelle, dans la situation qui est la nôtre, le terme dʹinteraction ne se limitera  pas aux échanges entre participants mais sʹélargit à tous les échanges dans  lʹenvironnement que constitue cette situation. 

Dʹautre part, lʹinteraction est à distinguer de la relation ou du lien qui unit  les individus et que nous avons déjà rencontrée dans ce chapitre lorsque nous  nous sommes interrogé sur la taille du groupe. Goffman (1974), pour sa part,  propose de réserver lʹinteraction à la classe dʹévénements qui ont lieu lors  dʹune présence conjointe. La relation ou le lien perdurent en effet après la  séparation effective des individus. Ainsi, avec cette distinction nous pensons  que la notion dʹinteraction est particulièrement adaptée à notre situation que  nous avons particularisée à la rencontre effective des participants. 

Dans cette circonstance, lʹinteraction peut prendre la forme simple que  décrit  Maisonneuve  (1973)  lorsquʹil  explique  que  lʹinteraction  apparaît  lorsquʹun sujet agit comme stimulus dʹune réponse chez un autre sujet. Mais  elle  peut  prendre  une  forme  beaucoup  plus  complexe  que  cette  simple  causalité linéaire lorsque la cybernétique nous propose dʹintroduire le concept  de feed‐back. Le sujet qui agit comme stimulus nʹest plus simple émetteur, il  devient le récepteur de ce que son comportement a engendré comme réponse  chez lʹautre sujet dans un processus de causalité circulaire. Ainsi, il y a bien  action mutuelle des individus entre eux pour une inter‐action.  

Pour la situation de conception, telle que nous lʹavons définie, les individus  vont donc se rencontrer et interagir. Lorsquʹils rejoignent le groupe et participent à  lʹactivité de ce groupe, deux phénomènes vont concourir à leur intégration : la  personnalisation et lʹindividuation (Blanchet et Trognon, 1994). 

2.3.2. La personnalisation

Bruner (1991) nous explique que la personnalisation est le processus par  lequel un système socioculturel façonne lʹesprit de ses membres. Pour notre  situation, il sʹagit du groupe restreint des concepteurs fortement structuré par  son but et le rôle présumé de chacun pour lʹatteinte de ce but. Ici les rôles sont  clairement identifiés et correspondent aux métiers respectifs des participants. 

Cependant, comme le fait remarquer à juste titre Guillevic (2002), on peut  distinguer trois grands types de rôle pour un même individu suivant le  niveau auquel on se place : le rôle prescrit, qui est assigné au sujet par les  autres (son supérieur, ses pairs, ses subordonnés), le rôle perçu cʹest‐à‐dire la  représentation quʹa le sujet lui‐même du rôle quʹil doit jouer et enfin le rôle  réel, qui est la traduction comportementale du rôle, cʹest‐à‐dire ce que fait  réellement le sujet.  

On le constate, les participants vont se structurer en groupe restreint  autour  de  la  tâche  qui  leur  est  confiée  :  la  résolution du  problème  de  conception. Et, chacun à la hauteur de ses compétences et du rôle qui lui est  assigné pour cette tâche, va contribuer au fonctionnement du groupe auquel il  appartient par les interactions quʹil va mettre en œuvre pour lʹatteinte de leur  but commun (Oberlé, 1995).  

Ainsi pour le groupe qui nous intéresse, la dynamique des interactions  qui  va  engendrer  le  cheminement  vers  la  résolution  du  problème  de  conception sʹappuie sur une distribution des rôles définis formellement par  lʹorganisation. Et nous découvrons que la représentation collective de ce jeu  des rôles interdépendants pour lʹoccasion va dépendre, en grande partie, du  consensus établi  autour du  caractère prescrit, perçu et réel des  rôles de  chacun. 

Ainsi  on  devine,  en  introduisant  un  critère  différentiateur  des  participants,  en  lʹoccurrence  le  rôle,  que  chaque  participant  va,  tout  en  appartenant  au  groupe,  se  distinguer  des  autres  membres.  Cette  différenciation va dans le sens du deuxième phénomène : lʹindividuation.  

2.3.3. L'individuation

Codol (1984) nous explique que lʹindividuation est en œuvre lorsque la  personne cherche à se situer par rapport à son groupe dʹappartenance. Nous  venons de voir que les concepteurs se retrouvent autour de leur but commun  et  forme  un  groupe  qui  se  différencie  du  reste  des  individus.  Ils  se  reconnaissent donc comme groupe animé dʹune même intention et partagent  une activité commune. Mais, lorsque la référence nʹest plus externe et quʹils  nʹenvisagent que leur propre groupe, alors le processus dʹindividuation nous  apprend que les participants souhaitent se différencier des autres membres de  leur groupe dʹappartenance du moment.  

Les travaux de Codol (1984) avancent deux stratégies mises en œuvre  par les membres du groupe pour parvenir à cette individuation. Il sʹagit tout  dʹabord de lʹaccentuation des différences soi‐autrui au sein du groupe, cʹest‐à‐

dire que chaque individu aura tendance à se considérer comme un élément de  différenciation mais dans le même temps comme le centre de similitude. Ainsi 

la personne a le sentiment de beaucoup moins ressembler aux autres, que les  autres ne lui ressemblent.  

Codol (1984) parle de conformité supérieure de soi pour la seconde  stratégie. Ici, chaque membre recherche lʹindividuation en ayant le sentiment  de plus contribuer à la norme du groupe que les autres membres. 

Nous avons vu que lʹingénierie concourante se proposait de réunir  autour dʹun même problème de    conception, les différents acteurs de la  résolution. Et que tous les acteurs ne sont pas équivalents du point de vue de  leur rôle suivant quʹil sʹagit du client, du bureau des méthodes ou du service  fabrication comme nous lʹavons découvert au cours du premier chapitre. 

Ainsi, on  peut sʹattendre  à ce que les concepteurs  cherchent    à  se  distinguer   des autres concepteurs du groupe en sʹappuyant dʹune part sur  leurs connaissances et compétences spécifiques pour la tâche commune.  

Et dʹautre part sur le sentiment quʹa chacun de plus participer à la norme  du groupe, cʹest‐à‐dire ce pour quoi ils sont réunis, la résolution du problème  de conception. 

Le groupe restreint des concepteurs que nous venons de définir va alors  se  réunir  et  interagir pour cheminer  vers  la  résolution  du problème de  conception qui lui est proposé. En sʹappuyant sur les interactions de ses  différents acteurs, le groupe va produire le parcours vers la solution dans une  forme  dʹintelligence  collective  différente  de  la  somme  des  intelligences  individuelles. Cette différence est à rechercher dans la collaboration, et donc  dans les processus dʹinteraction, dans lʹarticulation des activités individuelles  pour une action collective mais aussi dans les régulations collectives. 

Dés lors, les variables liées aux acteurs, que nous avons découvertes au  premier chapitre, vont déterminer lʹactivité collective et auront un impact sur  la performance du groupe lui‐même.