Chapitre IV : une représentation analogique, la représentation imagée
4. Du traitement de l'information à la représentation mentale imagée
4.3. Représentation visuo-spatiale
4.3.2. Représentation visuo-spatiale et différences individuelles individuelles
Medina, Gerson et Sorby (1998) se sont intéressés aux différences individuelles dans la capacité de représentation visuo‐spatiale dans un contexte connexe à nos travaux. En effet, ces auteurs, par ailleurs professionnels de la formation dʹingénieur, rapportent lʹimportance de lʹhabileté de visualisation spatiale en 3‐dimensions pour acquérir correctement les compétences du futur ingénieur. Ainsi, ils expliquent avoir identifié un groupe dʹétudiants dont la capacité de visualisation spatiale reste insuffisante après une année de formation au dessin technique. Pour cette recherche, les étudiants ont passé quatre tests qui ont évalué chacun un aspect particulier de la représentation visuo‐spatiale. Les résultats montrent alors une différence statistiquement significative entre les hommes et les femmes sur lʹensemble des quatre épreuves. Ces résultats vont dans le sens de ce que rapportaient déjà Linn et Petersen (1985) dans leur méta analyse sur les différences dans lʹhabileté visuo‐spatiale entre les genres.
On notera toutefois que dans cette méta analyse, les auteurs nʹont pas relevé de différences statistiquement significatives pour tous les aspects de la représentation visuo‐spatiale. En effet, sʹil apparaît bien des différences entre les hommes et les femmes pour les tâches de perception spatiale et de rotation mentale avec des scores plus élevés chez les hommes, en revanche, les tâches de visualisation spatiale semblent de difficulté égale pour les hommes et les femmes (Linn et Petersen, 1985). Par visualisation spatiale, les auteurs
regroupent les tâches qui sollicitent des manipulations complexes, perception spatiale et rotation mentale combinées par exemple, et en plusieurs étapes dʹinformation présentée spatialement (Linn et Petersen, 1985). Notons ici que ces différents aspects de la représentation visuo‐spatiale font aujourdʹhui lʹobjet dʹune classification dans le projet de théorie Cattell‐Horn‐Carroll CHC (Gf‐Gc) (McGrew, 2005) de développement de la taxonomie des capacités cognitives humaines que nous aurons lʹoccasion de présenter dans la seconde partie.
Vederhus et Kreling (1996) rapportent des résultats similaires chez des enfants, garçons et filles, de 9 ans. En effet, dans cette recherche, quatre‐vingt quatorze garçons et quatre‐vingt dix neufs filles ont passé quatre épreuves qui recouvrent les trois catégories dʹhabiletés visuo‐spatiale de Linn et Petersen décrites ci‐dessus. Les résultats vont dans le sens de ce quʹavaient constaté Linn et Petersen (1985) dans leur méta analyse, cʹest‐à‐dire que les enfants de neuf ans montrent des différences de performances statistiquement significatives entre les garçons et les filles pour les tâches de perception spatiale et de rotation mentale mais pas pour la visualisation spatiale (Vederhus et Krekling, 1996).
On le voit, le genre semble bien être une source de différences dans la capacité à mobiliser les représentations visuo‐spatiales. Moffat, Hampson et Hatzipantelis (1998) vont même plus loin en affirmant que la différence qui apparaît entre les sexes, favorisant les hommes, pour la performance dans lʹutilisation de lʹhabileté spatiale est une des plus fiable de toutes les différences cognitives entre sexe chez lʹHomme. Une affirmation quʹil nous semble important de nuancer si lʹon en juge par les résultats que nous avons mentionnés ci‐dessus et qui tendent à montrer que cette différence sʹestompe, voire disparaît, pour certaines dimensions de cette habileté spatiale.
On peut donc sʹinterroger sur lʹorigine de cette différence et se demander si des facteurs liés à lʹéducation, par exemple, ne pourraient pas contribuer pour une part à cette variation.
En souhaitant identifier des facteurs qui pourraient prédire la réussite au cursus dʹingénieur, liés à lʹhabileté visuo‐spatiale, il nous semble que Medina et ses collaborateurs (1998) ont contribué à apporter des informations en ce sens. En effet, en plus de la batterie de tests visuo‐spatiale que nous avons présentée ci‐dessus, les étudiants étaient invités à remplir un questionnaire portant sur le genre, lʹâge, la dominance manuelle, le type dʹactivité ludique dans lʹenfance, la formation en géométrie, lʹexpérience professionnelle, la pratique sportive, la formation technique des parents, la pratique des jeux vidéo, la formation technique antérieure et lʹexpérience antérieure avec le dessin (Medina et al, 1998).
Les facteurs qui apparaissent statistiquement significatifs pour la prédiction
de réussite à lʹensemble des quatre subtests de la batterie dʹévaluation de lʹhabileté visuo‐spatiale sont, le genre, la formation en géométrie et lʹexpérience avec le dessin. Et dans une moindre mesure, parce que la significativité statistique nʹapparaît que pour une partie des subtests, la formation technique, lʹexpérience professionnelle et la formation technique des parents participent à la prédiction de la performance de lʹétudiant sur certains des subtests spatiaux de la batterie (Medina et al, 1998).
Ainsi, en souhaitant identifier des facteurs susceptibles de prédire la réussite à la batterie dʹévaluation spatiale, les auteurs ont identifié des sources de variation possibles de cette capacité de représentation visuo‐spatiale. En effet, on découvre que la pratique du dessin, par exemple, explique de façon significative une part de la variation des résultats aux tests. On peut donc légitimement se demander ce que deviendraient les résultats que nous avons présentés ci‐dessus si toutes les recherches qui souhaitent évaluer les différences dans la capacité de représentation visuo‐spatiale avaient tenu compte de la présence ou de lʹabsence de formation en dessin chez les hommes et les femmes. On peut faire lʹhypothèse, par exemple, que lʹorientation scolaire et professionnelle ayant tendance à inciter les hommes à sʹorienter vers le secteur technique et les femmes vers le secteur tertiaire, les premiers soient plus exposés à une formation au dessin technique que les secondes. Ainsi, un échantillon de la population qui se veut aléatoire pourrait être, en réalité, biaisé par une surreprésentation des hommes formés au dessin technique. Nous aurons lʹoccasion de voir, plus loin dans nos travaux, lʹinfluence de cette dimension, formation au dessin technique, sur lʹévaluation des capacités de représentation visuo‐spatiale.
Nous avons vu que la communication pouvait être multi‐modale et nous avons choisi de focaliser notre attention sur son versant non‐verbal et en particulier la gestuelle des mains. Nous avons alors montré comment la modalité visuelle de la perception était sollicitée.
Ce quatrième chapitre était donc lʹoccasion de répondre à la question du devenir de lʹinformation perçue par les individus en interaction. Ainsi les différents courants théoriques que nous avons présentés apportent leur contribution et cʹest avec les représentations de type visuo‐spatial que nous proposons dʹétablir le lien entre la gestuelle des mains et la cognition. En effet, nous venons de voir quʹavec ce type de représentation, les concepteurs ont à leur disposition cognitive de quoi se représenter visuellement lʹobjet de leur raisonnement. Les propriétés de cette représentation visuo‐spatiale leur permet également dʹagir sur cet objet en opérant des mouvements, des balayages visuels, des transformations et des assemblages. Ce sont précisément toutes les opérations dont les concepteurs ont besoin pour se représenter lʹobjet de la conception, tel que nous lʹavons envisagé au cours du second chapitre lorsque nous avons présenté la synchronisation cognitive.