1. Résolution de problèmes : de l’individuel au collectif
1.2. Les stratégies, heuristiques et algorithmes
1.2.2. La démarche ascendante
Figure 1 : démarche descendante
La figure 1 illustre la démarche descendante. Le point de départ est situé au niveau de lʹobjectif général à atteindre. Ensuite le sujet définit les sous‐buts dans un sens descendant jusquʹaux actions à réaliser. Sur le schéma de la figure 1 on peut voir que le sous but 6 est une précondition du sous‐but 4 car dans lʹordonnancement, le sous‐but 4 ne peut être envisagé tant que la précondition, cʹest‐à‐dire le sous‐but 6 nʹest pas satisfait.
Notons enfin que la particularisation qui amène à lʹaction à réaliser est une manière de spécifier les conditions dans lesquelles le but pourra être atteint et non dʹindiquer les opérations précises liées à ces conditions.
1.2.2. La démarche ascendante
Il sʹagit cette fois, on le conçoit aisément de procéder de manière inverse.
Cʹest‐à‐dire à remonter, lʹespace problème du bas vers le haut, des données vers le but général. Présenté différemment, il sʹagit de formaliser le plan au fur et à mesure de sa mise en œuvre dans la situation. Sur ce point, Richard nous explique que ʺle plan est construit par corrections successives à partir des informations obtenues au cours de sa mise en œuvreʺ (Richard, 2002, p.261).
Cette démarche ascendante respecte trois processus : lʹévocation dʹun plan, lʹabstraction dʹun plan et la remise en question des plans.
Lorsque le sujet agit sur la base dʹindices qui le renvoient à dʹautres situations quʹil reconnaît comme similaires ou à des schémas dʹactions quʹil a élaborés au cours de ses expériences, il y a recours au processus dʹévocation dʹun plan qui consiste à adapter ce plan aux particularités de la situation
actuelle. A la lecture de cette explication on peut se demander ce quʹil advient de lʹadaptation lorsque la découverte dʹanalogie est malaisée. Si le sujet possède des plans insuffisamment précis, lʹanalogie nʹest pas suffisamment manifeste pour apparaître. Et sʹil possède des plans trop précis, au contraire, la comparaison fait apparaître des différences qui peuvent être à lʹorigine du rejet de lʹanalogie.
Dans ce cas, lorsquʹil nʹest pas possible dʹévoquer un plan à partir dʹindices ou par analogie, le processus dʹabstraction de plan entre en œuvre. Il sʹagit de construire le plan sur la base de lʹexplicitation de procédures au cours même de lʹélaboration. De la sorte, le plan se construit en même temps que la solution.
Enfin, il arrive que la mise en œuvre du plan, construit en même temps que la solution, amène à un constat dʹinadéquation de ce plan. Il faut alors pouvoir le remettre en question et envisager dʹautres formes pour le plan.
Ainsi, dans la démarche ascendante, les trois processus se combinent pour cheminer de proche en proche vers la solution tout en élaborant le plan.
Notons enfin que ces deux démarches descendante et ascendante ne sont pas exclusives lʹune de lʹautre. En effet Hoc (1987) reconnaît quʹelles peuvent être présentes au cours de la même tâche.
Que cette démarche soit descendante, ascendante ou même quʹelle combine les deux, le parcours est jalonné dʹétapes que lʹindividu franchit au prix dʹune décision.
Toutes ces étapes ne sont pas nécessairement conscientes et posées comme telles par lʹindividu, néanmoins la progression dans le cheminement est marquée par ces instants de franchissement qui valident, de son point de vue, le chemin parcouru jusque là et lʹengage dans une nouvelle étape.
1.2.3. La décision
Comme nous lʹexplique Costermans (1998), le processus de décision ne préoccupe pas que la psychologie. Blaise Pascal, par exemple, avec un regard proche des mathématiques, sʹest intéressé à lʹensemble des situations de choix afin de décrire les stratégies possibles. Il sʹagit donc, pour lui, dʹenvisager comment les décisions peuvent être prises. Les théories normatives, quant à elles, souhaitent indiquer la meilleure stratégie pour des conditions données et donc envisager comment les décisions doivent être prises pour être les plus efficientes.
La particularité de lʹapproche proposée par la psychologie cognitive, en matière de prise décision, est de sʹintéresser à celle qui est effectivement choisie par lʹindividu. Cʹest à dire, de lʹensemble des décisions possibles
décrites par les mathématiques, dʹidentifier les facteurs qui guident lʹindividu vers une décision qui sʹécarte peu ou prou de la décision optimale de la théorie normative. De la sorte, plus lʹécart est important et plus la décision apparaît décalée, voire déraisonnable.
Costermans (1998), dans une perspective qui nous semble relativement rationnelle, envisage la décision comme un processus pour lequel lʹindividu pèse les avantages et inconvénients des choix possibles pour leur attribuer une note dʹutilité. Il va ensuite pondérer cette note dʹutilité en fonction du contexte de la décision, cʹest à dire quʹun même choix nʹa pas la même utilité suivant le contexte dans lequel il se trouve. Et enfin, lʹindividu décide du choix le plus adéquat, celui qui a la plus forte utilité, en fonction dʹun critère donné.
Weil‐Barais (2001), pour sa part, nous explique que la décision est subordonnée au jugement. Cʹest à dire que le choix sʹappuie sur un ensemble de critères pondérés de valeur objective mais aussi subjective. Ce point de vue nous semble intéressant car il laisse apparaître le rôle dʹévaluateur de lʹindividu. En effet, présenté de la sorte, lʹindividu devient un évaluateur en regard de critères quʹil sʹest appropriés, pour choisir dans les alternatives qui sʹoffrent à lui, celle qui lui semble la plus adaptée et la plus conforme à son mode de raisonnement. Ainsi, cette possibilité dʹévaluation, à travers le jugement qui lui est propre, au moment de décider de ses comportements dʹaction, contribue à sa liberté dʹagir.
Au‐delà de ces deux approches, il est un courant de pensée qui a proposé une conception tout à fait originale de cette décision. Il nous importe de le rapporter ici car, par ailleurs, nous aurons lʹoccasion de rencontrer les travaux de ce courant de pensée à plusieurs reprises tout au long de notre problématique.
Les gestaltistes ont en effet mis en évidence un phénomène tout à fait particulier lié à cette prise de décision qui va intéresser nos travaux sur plusieurs points. Le problème de Dunker (1945) est une illustration tout à fait efficace du phénomène de décision mise en évidence par les psychologues de ce courant théorique : il sʹagit de donner au sujet des bougies, des allumettes, des punaises, des petites boîtes puis de lui demander de faire tenir les bougies le long dʹune porte. Le nombre de manipulations que peut faire le sujet de tous les objets est important mais lʹon observe que le sujet sʹest construit une représentation de lʹutilisation de chaque objet et il ne peut trouver la solution sans modifier cette représentation. En effet, cette solution, relativement simple consiste à vider les boîtes des punaises et des allumettes quʹelles contiennent pour les faire tenir sur la porte en les punaisant. Il suffit alors de poser la bougie sur cette boîte devenue support. Lʹinstant précis où le sujet ne se représente plus les boîtes comme contenant mais comme pouvant servir de
support entraîne une prise de décision rapide qui amène à la solution qui peut apparaître soudaine. Les Gestaltistes parlent alors dʹʺinsightʺ. Pour décrire ce phénomène, Weil‐Barais (2001) parle de période de tâtonnement variable, suivi dʹune phase courte dʹinactivité puis dʹune vision quasi instantanée de la solution.
Il nous semble que le terme vision nʹest pas choisi au hasard. En effet, comme lʹexplique Costermans (1998), lʹinsight apparaît de manière soudaine, semble échapper au contrôle du sujet lui‐même et débouche sur une sorte de restructuration des données du problème. Les gestaltistes, particulièrement attentifs aux processus perceptifs parlent dʹorganisation particulière du champ visuel répondant à des critères de ʺbonne formeʺ. Ainsi, la perception du carré qui est une ʺbonne formeʺ, empêche de résoudre le problème des neufs points de la figure 2 ci‐dessous.
Lʹinsight nʹapparaît que lorsque le sujet découvre quʹil peut déborder de la forme carrée. Ici, ce processus est important pour notre recherche car il apparaît quʹil est porteur, dʹune partie au moins, de la décision. En effet, la restructuration, cʹest à dire la modification de la représentation des données, doit être accompagnée de la décision dʹaccepter cette nouvelle donne pour permettre à lʹinsight de fonctionner à plein rendement et guider vers la solution.
Et comme nous lʹavons indiqué ci‐dessus, ce phénomène est intéressant sur dʹautres points également. En effet, nous découvrons ici que la vision, et notamment la représentation des données du problème élaborée à partir de la perception visuelle est en mesure de jouer un rôle non négligeable dans la résolution.
On donne au sujet 9 points disposés en carré comme dans la figure ci-dessous:
Question : comment réunir les points par quatre lignes droites, sans lever le crayon ?
Figure 2 : problème des 9 points
Notons enfin que Max Wertheimer a montré que lʹinsight caractérisait la pensée créatrice. Cette pensée créatrice est au centre de la résolution de problème et vraisemblablement plus encore dans la situation que nous allons proposer au sujet, comme nous allons le découvrir maintenant.
A ce point de notre développement, nous avons vu que, si lʹhomme dispose dʹun langage verbal sophistiqué quʹil a élaboré et sur lequel il sʹappuie pour ses raisonnements, il reste que dʹautres formes dʹinformation sont disponibles. Dʹautres formes dʹinformation quʹil sait traiter et utiliser dans ses mêmes raisonnements. En effet, nous avons vu que lʹinformation visuelle, par exemple, était en mesure dʹalimenter les processus cognitifs et , avec les gestaltistes, quʹelle pouvait jouer un rôle tout à fait particulier pour une résolution de problème. Tous ces traitements peuvent alors être à lʹorigine des différences entre individus, faisant quʹune situation sera problématique pour certains, alors quʹelle ne le sera pas pour dʹautres. Cʹest ce qui nous a conduit à détailler les caractéristiques mobilisables du sujet pour la résolution de la tâche qui lui est proposée. Il nous faut maintenant porter notre attention sur la seconde composante de la situation, la tâche.