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B.2 Des activités culturelles en général

B.2.3 Au sujet de l’approche écononique des activités culturelles

I.3.4 De la pauvreté et de la corruption au Kufo

4.1 Au sujet de la «pauvreté»

4.1.1 L’approche notionnelle de la «pauvreté»

Si les mots "pauvre" et "pauvreté" sont ambivalents et ambigus, le terme pauvreté recouvre néanmoins une notion exprimant simultanément une vertu et une abjection et désigne, par ailleurs, des réalités sociales nuancées. Voilà ce que nous apprend MOLLAT DU JOURDIN (2002: 392-394) pour qui, « par pauvre, il faut entendre des types sociaux fort divers». Pour cet auteur, le terme comporte de nombreux équivalents répartis selon les critères bien diversifiés: «Historiquement, géographiquement et socialement, affirme-t-il, la condition du pauvre, essentiellement relative, comporte des degrés séparés par des seuils économiques, biologiques, sociaux» qui ne rendent pas aisée son analyse. A cette difficulté, constate l’auteur, s’ajoute celle de la documentation: «Les pauvres sont les muets de l’histoire, affirme-t-il; leur passé s’inscrit en contrepoint de celui des autres couches sociales et constitue, en quelque sorte, l’envers du tableau». Plus concrètement et plus généralement, MOLLAT Du JOURDIN définit les pauvres comme suit:

«Les pauvres sont ceux qui, par eux-mêmes sont incapables d’assumer pleinement et librement leur condition d’homme dans le milieu où ils vivent. Quels que soient l’époque, la région, le type de société, dénuement, dépendance, faiblesse, humiliation accompagnent la condition des pauvres; en outre ceux-ci sont dépourvus de tout (argent, vigueur physique, capacité intellectuelle, qualification technique, science, honorabilité de la naissance, relations, influence, pouvoir, liberté et dignité personnelles). La précarité, sinon la déchéance, sont leur partage. Ils sont anonymes, isolés même dans la masse; ils n’ont aucune chance de se maintenir ou de se relever sans l’aide d’autrui. Vivant au jour le jour, et dans l’attente perpétuelle de lendemains meilleurs, ils sont aussi accessibles à toutes les espérances, à toutes les illusions, à tous les mythes, que prompts au désespoir et à la révolte».

Si l’auteur constate que cette «définition» est applicable à tous les types de société, il affirme en revanche qu’elle «inclut tous les frustrés, tous les laissés-pour-compte, tous les marginaux, tous les asociaux, à côté des chômeurs, des mal payés, des infirmes et des ratés. Cette définition n’exclut pas non plus, conclut l’auteur, ceux qui, par idéal ascétique, mystique et charitable, ont voulu délibérément vivre pauvres parmi les pauvres»131.

Au plan de la culture ajatado, la pauvreté est évoquée dans des termes synonymes:

131 En fait, MOLLAT DU JOURDIN (2002: 392-394) traite de la notion de pauvreté sous le rapport de

quatre moments déterminants de l’histoire du monde occidental: il distingue les pauvres dans les sociétés à prédominance rurale, les pauvres de la ville, les pauvres de l’état mercantiliste et enfin, les pauvres au temps de la révolution industrielle, montrant ainsi que l’histoire des pauvres n’appartient pas au passé.

• "ejian": besoin, manque, privation;

• "akwi", "aya": deux termes qui servent à désigner la souffrance relative au manque et à la privation. Les termes "akwitonon" et "ayatonon" sont interchangeables et désignent celui qui souffre en raison d’un état de dénuement prononcé;

• "wamènon" est, enfin, le troisième terme servant à désigner un sujet en situation de pauvreté.

Il s’agit bien évidemment de la pauvreté dans le milieu ajatado contemporain et, en l’occurrence, dans le Kufo de nos jours; et ceci, malgré la configuration d’une certaine croissance économique dont témoignent le Bénin, le Togo et les pays sur lesquels s’étend l’aire culturelle ajatado. Ce paradoxe n’est pourtant pas nouveau. C’est cela que les auteurs de l’Encyclopaedia Universalis France nous aident à découvrir au plan de l’Occident: «La croissance économique sans précédent des nations occidentales après la Seconde Guerre mondiale, affirment-ils, a pu faire croire un moment que le problème de la pauvreté dans les pays riches était en voie de règlement. Il a fallu déchanter… Ce fléau est ressenti de plus en plus comme un paradoxe, voire une contradiction: la pauvreté au milieu de l’abondance» (GABORIAU et GOUGUET, 2002). C’est de cette sorte de pauvreté que les acteurs sociaux du Kufo ne cessent de faire l’expérience. La configuration générale était apparemment celle d’une relative abondance démontrée à maintes occasions dont les funérailles, les célébrations rituelles marquant les moments forts de l’existence et les fêtes traditionnelles saisonnières ne représentent que des exemples. En effet, des efforts se réalisaient pour que, dans le Kufo, les acteurs sociaux ne fussent terrassés par la pauvreté: il s’agissait des politiques d’assistance généreuses et à caractère intégratif ; il s’agissait également des politiques d’intégration à travers une rationalisation des systèmes d’aide, une rééducation par le travail, l’apprentissage d’un métier et l’éducation des enfants. S’agissant par exemple de l’aumône faite au pauvre, elle fut contestée, parce qu’elle pouvait encourager l’oisiveté; les acteurs sociaux ont donc préféré le prêt sans intérêt, plus stimulant et plus digne de l’homme. Tout compte fait, ces efforts naguère réalisés au plan endogène des groupes sociaux, se trouvent aujourd’hui fortement contrebalancés dans la dynamique des nouvelles mutations aussi bien au plan de l’imaginaire qu’au plan de la praxis sociale. Progressivement, l’avènement de la rationalité productiviste, le culte de la performance économique ainsi que l’hégémonie de l’économique sur la vie sociale se sont instaurés et ont bouleversé de fond en comble la vision endogène portée sur les pauvres de l’aire culturelle ajatado et, en l’occurrence, sur ceux du Kufo.

4.1.2 Les ressorts de la pauvreté

A y voir de près, les ressorts de la pauvreté dans le Kufo pourraient bien se rattacher à l’éveil des acteurs sociaux par rapport aux intérêts ainsi qu’à l’individualisme. Or de la collision des intérêts individuels peuvent naître d’innombrables souffrances et même

des inégalités entre les acteurs sociaux (BOURDIEU, 1993: 15). Il n’est pas non plus aisé qu’en contexte d’individualisme effréné, la prise en charge ou l’auto-prise en charge des pauvres s’accomplisse harmonieusement. D’où les écarts entre les diverses couches sociales, notamment entre les couches instruites et entre les couches analphabètes, ces dernières apparaissant, à bien des égards, comme l’une des expressions de la pauvreté. Toutefois, dans le Kufo des années 1970 à nos jours, un phénomène est apparu: c’est celui des acteurs sociaux analphabètes qui, parvenus au sommet de l’enrichissement par le biais des activités commerciales, ont pu montrer que l’on pouvait ainsi s’arracher à la pauvreté132. Même si la jeunesse montante en venait à

percevoir ce phénomène comme un "modèle", on ne saurait, pour cela, encourager l’analphabétisme qui demeure l’une des sources incontestables de la pauvreté. Il faut d’ailleurs identifier l’analphabétisme à la grande misère qui «offre les conditions favorables à un développement sans précédent de toutes les formes de la petite misère» (BOURDIEU, 1993: 16). Celle-ci s’illustre par la mendicité, le vagabondage, le chômage, le "clochardage" et bien d’autres situations qui, d’une part, apparaissent, selon l’expression de BOUDON (1977b), comme des effets pervers de la pauvreté et, d’autre part, constituent l’expression d’une redoutable exclusion sociale.