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B.2 Les modalités du remariage des veuves et leur statut

B.2.1 Le mariage léviratique en milieu ajatado

Le mariage léviratique se définit comme l’union d’une veuve avec un parent du mari défunt. La veuve qui décide de se remarier à l’intérieur du clan de son époux, aura à faire son choix après le conseil de famille, et sur l’autorisation de ce même conseil. Mais ce choix est bien limité pour la femme. Chez les Ajatado, la veuve peut se remarier aux personnes du sexe masculin ci-après: les frères, les cousins, les neveux, en un mot, les parents directs ou collatéraux par rapport au mari défunt. Tous ces parents sont épousables à condition qu’ils soient moins âgés que le mari défunt.

Par ailleurs, la veuve détient la latitude d’épouser le fils aîné de son mari, à condition toutefois que celui-ci soit né d’un autre lit. C’est cette disposition que traduit le code Coutumier du Dahomey. Les peuples du Dahomey méridional qui s'y trouvent cités sont notamment les Gun, les Mina et les Fon. En effet, ledit code ne fait aucune allusion aux Aja, mais il les assimile tacitement aux peuples ci-dessus cités. "Chez ces peuples, affirme le code en son article 165, "la veuve est héritée par le fils aîné sauf s’il est son propre fils. Dans ce cas par un des fils, issu d’une autre femme, enfin à défaut, par un des frères cadets du défunt" (cf. Gouvernement Général de l'Afrique Occidentale Française, 1933, 2004: 38). La réalité de notre terrain de recherche indique qu’une telle union se contracte à condition que le veuillent la veuve et le nouveau conjoint qui, de toutes les façons, est l’héritage naturel de son mari défunt. Il est important de noter ce paramètre. Remarquons

également que la restriction qui exclut l’éventualité d’une union avec les parents plus âgés que le mari défunt, est bel et bien prise en compte par le Coutumier du Dahomey; ladite restriction apparaît en effet à l'article 162 qui dit: "La femme, après la mort de son mari est généralement héritée. Elle épouse l’héritier naturel de son mari, sauf le frère aîné (pour toutes les coutumes côtières), dès que les secondes funérailles sont faites. Jusqu’à ce moment, précise le texte, elle est censée, en effet, être l’épouse du défunt" (cf. Gouvernement Général de l'Afrique Occidentale Française 1933, 2004: 38). De fait, la loi oblige en quelque sorte la veuve à ne contracter que le mariage léviratique. On considère que les enfants qui naîtront de cette union prendront en principe le nom du mari défunt, au lieu de porter celui du mari actuel. Car le mari défunt est leur père; le nouveau mari est leur géniteur.

Somme toute, ce n’est pas l’aire culturelle ajatado qui a initié le système léviratique. On pourrait citer la Bible selon laquelle ce système existait déjà dans le judaïsme. Le Deutéronome affirme en effet:

"Si des frères demeurent ensemble et que l’un d’eux vienne à mourir sans enfant, la femme du défunt ne se remariera pas au dehors avec un homme d’une autre famille étrangère. Son ‘lévir’, c’est-à-dire son beau-frère, viendra à elle. Il exercera son lévirat en la prenant pour épouse et le premier-né qu’elle enfantera relèvera le nom de son frère défunt, dont ainsi le nom ne sera pas effacé…." (La Sainte Bible, 1961: 200).

Le contraire du lévirat, c’est le sororat; il se pratique dans des sociétés pour pourvoir au remplacement de la femme, lorsque l’homme perd son épouse. Les Ajatado ont rarement recours à cette solution.

Quant au statut de la veuve remariée, on pourrait certes l’apprécier sous plusieurs rapports dont nous retenons le suivant: celui de sa position dans la nouvelle famille où elle se trouve insérée par le fait du remariage. Pour désigner ce fait, ce n’est d’ailleurs plus le terme "nyo nlu dede" que l’on utilise. Dans le contexte du remariage d’une veuve, on fait usage du terme: "ekposo so" , c’est-à-dire le fait de prendre pour épouse la femme d’un parent décédé. Ainsi, l’homme qui a hérité d’une veuve indiquera celle-ci de la manière suivante:

"Anyi kposuè ké": "voici la veuve que j’ai héritée". Par contre, de sa propre femme, il dira:

"Anyi sexwemen shi ké": "voici ma femme originelle".

Ainsi une discrimination s’observe entre la veuve et la femme n’ayant jamais perdu son époux; une telle discrimination, très nette d’ailleurs, s’observe aussi bien dans le langage que dans les faits. Elle est surtout de nature à montrer que la veuve n’est jamais qu’une "femme-déjà-utilisée" (zankpo to ) d’un premier époux. La veuve elle-

même ne manque pas de l’exprimer soit à l’occasion des détresses et des situations contrariantes, soit pour formuler des vœux à ses enfants et pour elle-même, comme c’est le cas dans les expressions suivantes:

"Asunyen kuvito nto ya de hlo n no n un!"

"C’est mon mari défunt lui-même qui me vengera!" "Miwo da kuvito ya kpo miji!"

"C’est votre père défunt qui veillera sur vous!"

Ainsi, ni la position sponsale, ni la paternité qui étaient attribuées au mari, pendant qu’il vivait, ne sont aucunement niées par la veuve, même remariée. Bien au contraire, elle les réaffirme en dépit du remariage.