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B.2 Des activités culturelles en général

B.2.3 Au sujet de l’approche écononique des activités culturelles

I.3.4 De la pauvreté et de la corruption au Kufo

4.2 Au sujet de la «corruption»

4.2.1 L’approche notionnelle de la «corruption»

Nous distinguons, sous le rapport de la notion de "corruption", quatre acceptions. En tout premier lieu, nous notons l'altération d'une substance par décomposition, pourriture, putréfaction. Dans un deuxième temps, il s’agit de l’altération du jugement, du goût, du langage. Dans un troisième temps, nous retenons le fait de corrompre moralement; il s'agit de l'état de ce qui est corrompu, au sens d’avilissement, de perversion, de souillure, de dérèglement. Enfin, la corruption, ce sont les moyens que l’on emploie pour faire agir quelqu’un contre son devoir, sa conscience. Pour ce qui est de la notion de "corruption" au sens ethnologique où nous l’entendons ici, c’est seulement à partir du troisième et du quatrième sens que nous commençons à l’approcher. Car le phénomène social dont il est question ici, ne se laisse percevoir qu’à partir de ses formes, de ses processus et de ses légitimations du point de vue des acteurs qui en font l’expérience. Ceux-ci, unanimement d’ailleurs, le stigmatisent comme un phénomène à la fois a- moral et anti-moral. Aussi le désignent-ils par une terminologie qui, évitant de le

132 On pourrait tout au moins, sous le présent rapport, citer Raphaël Keller FANTODJI, Mawuna et Pierre

SEWA et, enfin, Kehounde AMOUZOUN qui, en dépit de leur situation d’analphabètes, ont réussi à se faire identifier dans la commune d’Aplahoué comme des "riches", parce qu’ils ont su combattre la pauvreté à leur manière. Ces acteurs sociaux n’hésitent pas cependant à souligner les difficultés qu’ils ont rencontrées sur leurs parcours; au nombre de celles-ci, ils citent notamment la gestion hasardeuse de leurs entreprises et la déperdition des énergies qu'ils auraient dû investir autrement.

nommer vraiment, s’obstine au contraire à le faire accepter, à l’ancrer dans l’imaginaire social, parce qu’elle le généralise et le banalise. Ainsi en va-t-il des trois termes suivants:

"Afu" sert à désigner ce qui est apparu gratuitement, ce qui se donne sans effort et dont il faut jouir pleinement, sans qu’il y ait besoin d’un contrôle quelconque.

« Enubobo » , le deuxième terme retenu, s’inscrit dans la même compréhension que le terme "afu"; car il désigne également ce qui est apparu gratuitement et même abondamment; c’est précisément cette abondance que traduit, selon diverses nuances, le terme "bo"; on dira par exemple d’une denrée: "e bo", dans la mesure où elle est surabondante et donc disponible; on peut se servir ou s’en servir à volonté. "E bo" se dit, enfin, de la chose publique; il s’agit bien évidemment de celle-là qui, n’appartenant à personne, se veut disponible à tout venant; l’expression s’applique notamment non pas aux biens de la communauté locale et endogène, mais à ceux de l’Etat perçu comme une entité étrangère aux structures traditionnelles de l’aire culturelle ajatado133.

Enfin, le troisième terme retenu pour rendre compte de la notion de "corruption" dans l’aire culturelle de référence est "dudu". Ce terme peut traduire le fait de "manger", car c’est bien d’une telle acception qu’il est d’abord question dans la notion de "dudu": mâcher, avaler un aliment pour se nourrir, absorber, dévorer une proie. "Dudu" traduit également le fait de "gagner" à des jeux de hasard, telle la loterie. Enfin, "dudu" signifie le fait de manger gloutonnement et le fait de disposer abusivement d’une chose; c’est dans une telle acception que les acteurs sociaux traduisent "dudu" par "bouffer". Cet infinitif s’avère assez évocateur dans les contextes de corruption. Au nombre de ces contextes nous citons en particulier les responsabilités nationales (que ce soit au plan du gouvernement, de l’assemblée nationale, des communes ou des arrondissements) et les responsabilités au plan des projets de développement. En d’autres termes, ces contextes sont associés avec des fonctions étatiques, para-étatiques et bureaucratiques. En effet, lorsque les acteurs sociaux impliqués dans ces divers contextes en viennent à faire usage du terme "dudu", c’est pour signifier non seulement la corruption au sens strict du terme, mais, comme l’explique Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN, "le complexe de corruption", au sens large, qui inclut tout un ensemble de pratiques illicites techniquement distinctes de la corruption, mais qui ont toutes en commun avec la corruption d’être en contradiction avec l’éthique officielle du ‘bien public’ ou du ‘service public’, de permettre des formes inégales d’enrichissement, et d’user à cet effet des positions de pouvoir (OLIVIER de SARDAN, 1996: 97-116). L’expression "dudu va’xwé" (littéralement: "la bouffe est venue à la maison") rend convenablement compte de ce phénomène ainsi que du contexte communautaire qui, dans l’aire culturelle ajatado, permet de le comprendre. Le terme "xwé" (qui est une abréviation de "axwé": maison) traduit en effet non seulement la communauté des hommes, mais aussi la

133 Il convient, en effet, de bien élucider la différence qui, dans l’imaginaire social, existe entre la

communauté locale, considérée comme un groupe d’acteurs sociaux naturellement reliés entre eux, et l’Etat perçu comme une entité exogène, provenant d’ailleurs, en l’occurrence du "pays des Blancs".

famille qui, pour une large part, contiennent les acteurs auxquels profite le "complexe de corruption", à savoir, outre la corruption au sens strict et rigoureux, le népotisme, les abus de pouvoir, le délit d’ingérence, les détournements des fonds publics et malversations diverses, le trafic d’influence, la prévarication, les délits d’initié , les abus de biens sociaux, etc… (OLIVIER de SARDAN, 1996: 97-116).