• Aucun résultat trouvé

VI. DISSERTATION

I.2 PREMIERE PARTIE:

I.2.1 Les diverses formes de mariage en milieu ajatado

1.1 Le mariage par rapt ou « nyonlu xo so »

Cette forme de mariage n’est assurément pas la plus difficile à réaliser. Elle n’est pourtant plus la forme la plus fréquente dans l’aire culturelle ajatado, et ceci en raison de la violence qui la caractérise d’une part et 41, d’autre part, parce qu’elle

exclut bon nombre de formalités protocolaires. Nous distinguons deux sortes de mariage par rapt, à savoir le rapt simulé et le rapt pur et simple.

1.1.1 Le rapt simulé

Ce type de rapt se produit surtout lorsqu’une jeune fille a déjà une idée du jeune homme qu’elle se propose d’épouser. S’il arrivait à ses parents de décider brusquement de la donner en mariage à quelqu’un d’autre, la jeune fille qui ne veut pas de ce dernier, s’enfuit avec son séducteur. La rumeur se répand, les membres de la famille du séducteur se présentent à la famille de la fille pour déclarer que celle-ci a décidé d’épouser leur fils, et qu’effectivement elle se trouve chez eux. La famille du jeune homme concède alors la réparation des dommages causés à la famille de la jeune fille. Parfois, cette dernière refuse toute concession et s’obstine à récupérer sa fille. Au cas où les "rapteurs" s’entêtent à la garder, ses parents se taisent; mais le silence ainsi créé est, dans bien des cas, lourd de conséquences. Nous disons de ce rapt qu’il est "simulé" en raison du consentement de la conjointe: en tout cas, elle aura été d’accord! Mieux, on pourrait même dire d’une telle conjointe qu’elle aura collaboré à la réussite du rapt.

1.1.2 Le rapt pur et simple

C’est surtout de ce type de rapt que les jeunes filles du Kufo sont victimes, notamment dans les milieux ruraux restés attachés à la tradition. Le rapt pur et simple est une stratégie qu’adopte le jeune homme qui n’a pas de succès auprès de la jeune fille de son choix. Il mobilise ses camarades en vue de la "voler", contre son

41 La violence qui caractérise le rapt est telle que, dans l’aire culturelle ajatado, l’autre expression pour

désigner celui-ci est "nyonlun so-kon" : ( littéralement: "nyonlun", femme; "so", couper, marquer; "kon", forme abrégée de "ekon", coup de poing ), c’est-à-dire: "femme conquise à coups de poing". L’expression souligne ainsi le contexte de violence où est pratiqué le rapt.

gré!42. Cet enlèvement a souvent lieu à la tombée de la nuit, lorsque la fille revient

du marché, du marigot, des grands rassemblements folkloriques, en tout cas, lorsque celle-ci se trouve isolée des regards indiscrets. C’est vraiment un "vol", c’est-à-dire le fait de s’emparer du bien d’autrui, par la force ou à son insu; c’est-à-dire également l’action qui consiste à soustraire frauduleusement ce bien. Ainsi, le rapt comporte nécessairement l’effet de surprise qui est une caractéristique du vol. Voilà pourquoi les jeunes qui le perpètrent, prennent le soin de se cacher sur le chemin ou à l’endroit que doit emprunter la jeune fille convoitée; et dès qu’ils la voient venir, ils sautent sur elle et l’emportent, avec le moyen de transport dont ils disposent, vers une destination inconnue. Ainsi que l’explique MAIR (1971: 100), "la véritable lutte commence après l’enlèvement"; et ceci, quelle que soit l’attitude des parents de la jeune fille. Ce n’est que quelques jours plus tard43, que la famille du « rapteur »

envoie en mission, vers les parents de la jeune fille, une délégation composée d’hommes habiles en matière de négociation. Le but de la mission est d’annoncer que la fille enlevée n’est pas perdue, mais qu’elle se trouve dans leur clan et, bien plus précisément, dans telle famille.

Au plan de l’aire culturelle ajatado, une telle « nouvelle » n’est cependant jamais annoncée directement au père de la future épouse; c’est toujours par l’intermédiaire d’un « oncle » plus ou moins âgé que le père de la future épouse, qu’elle est proclamée44. Cette démarche que l’on engage en vue de trouver un terrain d’entente ,

peut toutefois être rejetée par les parents de la jeune fille. En parcourant les communes d’Aplahoué, Djakotomè, Toviklin, Lalo, Klwikanmè et de Dogbo, nous avons réussi à interroger 150 (cent cinquante) parents de jeunes filles victimes de « rapt pur et simple ». 142 (cent quarante-deux), soient plus des 90 % d’entre eux, ont affirmé qu’ils avaient rejeté la procédure de négociation a posteriori, parce que, expliquaient-ils, cette procédure dénotait l’incapacité des ravisseurs à faire face aux exigences régulières du mariage, d’une part, et une certaine forme de provocation vis-à-vis de la famille de la jeune fille, d’autre part. Soulignons par ailleurs que cette forme de rapt a toujours suscité une vive opposition de la part des parents de la fille nubile.

42 Cette définition ne diffère d’ailleurs pas de celle de CORNU (1987 : 667) qui affirme ceci: "De la part

d’un homme, enlèvement d’une femme ( même majeure ) contre le gré de celle-ci".

43 On ne devra pas laisser le suspens se prolonger davantage au plan de la famille de la jeune fille victime

du rapt: en principe un à deux jours, et pas plus; et ceci, afin d’éviter qu’éclate à ce sujet un conflit qui n’arrangerait rien entre les familles ou les clans impliqués dans le mariage ainsi mis en perspective.

44L’oncle, frère aîné du père, est dit "Togan" , c’est-à-dire "père grand"; l’oncle cadet, jeune frère du père,

est dit "todi", c’est-à-dire "père petit" … Par l’un ou l’autre se notifie, à l’endroit du père, les nouvelles coordonnées de sa fille enlevée de force.