• Aucun résultat trouvé

B.2 Des activités culturelles en général

B.2.3 Au sujet de l’approche écononique des activités culturelles

3.3 De la gestion des groupements féminins du Kufo

3.3.3 Les obstacles à l’organisation et à la gestion des groupements

Au plan des groupements féminins et, en général, des organisations féminines du Kufo, nous avons identifié trois types d’obstacles.

121 Cette incapacité des femmes à dénoncer les abus que leur causaient les hommes au plan de la gestion

des groupements féminins, pouvait s’expliquer par les menaces qui leur provenaient de ces hommes; elle pouvait tout aussi bien s’expliquer par la peur que leurs partenaires bailleurs cessent de leur allouer des fonds. En raison de cette sorte de sanction, expliquaient nos informateurs, les femmes organisées en groupement préféraient présenter des rapports positifs et donc exempts de toute irrégularité tenant aux maladresses des hommes agrégés aux groupements féminins. Ce sont pareils rapports qui, en un sens réel, expliquent également l’arriération de la gestion des groupements féminins dans le Kufo.

A Les obstacles techniques

Ces obstacles étaient au nombre de trois.

D’abord la faible capacité de gestion des groupements féminins. Cette faiblesse était telle que les femmes avaient besoin de recourir à un ou deux hommes comme secrétaires ou auxiliaires de tous genres. Ainsi que nous l’avons remarqué plus haut, l’émergence des hommes apparaissait comme le glas des groupements féminins. Au Kufo, en tout cas, c’était l’action de ces hommes dépensiers et, somme toute, budgétivores qui expliquait la faillite des groupements féminins. Nous avions cité plus haut une recherche conjointement menée par le Ministère du Plan et de la Statistique de la République du Bénin et par l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’Enfance). Cette recherche qui datait d’avril 1990, semblait ignorer la participation masculine au plan des groupements féminins: "Bien que marginale, affirme en effet ce document, on observe une participation masculine à la vie de certains groupements féminins dans les provinces de l’Ouémé, de l’Atlantique et du Zou". L’exclusion dont le Kufo était l’objet ne se justifie point de nos jours. Le document continue cependant à nous interpeller, quand il remet sérieusement en cause ce que nous insinuons par "faible capacité de gestion des groupements féminins". Pour les auteurs dudit document, cette façon d’expliquer la présence des hommes dans les groupements féminins, n’est qu’une "tendance": "la tendance de minimiser la capacité des femmes à s’organiser seules". Ces auteurs affirment en revanche que la raison de la participation masculine réside plutôt dans "l’apport physique des hommes pour l’exécution des tâches difficiles et la recherche d’une couverture sociale"122. A vrai dire, cette explication ne nous satisfait point

totalement, parce qu’elle ne fait que nous retenir dans la prétendue supériorité de l’homme par rapport à la femme; elle ouvre par conséquent la porte qui donne sur un rapport de domination et de subordination où la femme continue toujours à être maintenue en situation d’infériorité. Ces mêmes auteurs soulignent un inconvénient tenant à ladite participation masculine: "Même quand elle ne se compose que d’un seul homme, écrivent-ils, la participation masculine réduit l’influence des personnes extérieures sur le groupement" ( Ministère du Plan et de la Statistique de la République du Bénin et UNICEF (1990: 17).

Cette constatation nous paraît plutôt réaliste et même pertinente. Elle est en effet révélatrice de l’obstacle technique que constitue ladite participation masculine.

Le deuxième obstacle technique s’apprécie à l’aune du faible niveau de maîtrise des techniques de transformation chez les femmes. Point n’est besoin d’insister outre mesure sur ce type d’obstacle. Nous l’avions en effet largement décrit plus haut123.

122 La couverture sociale dont il est question ici n’est nulle autre que celle-là même qui, au plan de

l’imaginaire, fait de l’homme la carapace qui entoure la femme en la protégeant. Du reste, le document dont nous nous inspirons ici est celui du Ministère du Plan et de la Statistique de la République du Bénin et UNICEF (1990: 16-17).

Il y a cependant un troisième obstacle technique tout aussi important: c’est le caractère peu productif de l’équipement et du matériel dont les groupements féminins et, en général, les organisations féminines se servent au plan de leurs activités. Celles-ci ne sauraient jamais prospérer, tant que les outils pour les réaliser continuent à être rudimentaires et inefficaces en raison de leur inadéquation.

B Les obstacles économiques et financiers

Ceux-ci constituaient en effet le deuxième type d’obstacles dont les aspects suivants se sont avérés révélateurs.

Il s’agissait en tout premier lieu de la précarité de l’auto-emploi. Les travaux que se donnaient les groupements féminins n’étaient pas durables; c’étaient des travaux ponctuels et de courte durée. Ces groupements ne sauraient par conséquent réunir une masse horaire qui puisse donner satisfaction à leurs membres. Ceux-ci se trouvaient ainsi dans la dure obligation de se référer à des activités parallèles afin de s’en sortir financièrement.

Le deuxième type d’obstacles économiques et financiers se situait à trois niveaux différents et complémentaires où des lacunes étaient observées. Il s’agissait non seulement du faible niveau de la production, mais aussi du faible niveau du revenu ainsi que du faible niveau d’épargne. Quels que fussent leurs efforts, les groupements féminins du Kufo parvenaient pour la plupart à de faibles résultats au plan de la production, du revenu et de l’épargne. Il importe ici de mentionner le rapport interactionnel intrinsèque qui existe entre ces trois dimensions dont on sait qu’elles influent les unes sur les autres: en effet, les lacunes au plan de la production ne peuvent que déteindre sur le revenu et sur l’épargne.

Nous avons identifié un troisième type d’obstacles économiques et financiers: il réside dans l’inadaptation des sources de financement que sont les multiples institutions bancaires au Bénin en général et, en particulier, dans le Kufo. Prenons un exemple: celui de la CLCAM (Caisse Locale de Crédit Agricole Mutuel). A l’heure où nous achevons ces travaux de recherche, le taux d’intérêt de cette institution est de 24 %, avec une épargne de 20 % qui doit être quotidiennement assurée par un administrateur de l’institution; ce qui est lourd de conséquences pour les femmes et leurs groupements; car c’est à ces occasions que la transparence peut faire défaut. Les femmes elles-mêmes affirmaient qu’en pareilles situations, leurs époux et les parents de ceux-ci les soupçonnaient la plupart du temps de liaisons illicites avec d’autres hommes, ce qui, au plan matrimonial, était un obstacle grave pour le développement.

Enfin, il y avait un quatrième type d’obstacles économiques et financiers qui surgissait, lorsque les femmes parvenaient à obtenir des crédits à répartir au plan individuel et / ou au plan groupal. Ces obstacles tenaient à l’incapacité des sujets à gérer les fonds de

123 Se référer, plus haut, au paragraphe traitant des obstacles aux activités économiques des femmes du

crédit. La difficulté à ce niveau, était d’une gravité extrême, car les frustrations pouvaient être ressenties, dès lors que les dividendes individuelles ou groupales étaient galvaudées ou pouvaient disparaître parfois sans trace.

Parfois, ce genre de difficulté, d’origine purement matrimoniale, s’expliquait par le fait de conjoints avides d’argent, qui talonnaient et harcelaient leurs femmes pour peu que celles-ci disposaient de fonds. Des membres de groupements féminins ont pu témoigner que c’étaient les femmes elles-mêmes qui, parfois, donnaient à leurs époux des habitudes les empêchant plus tard de disposer de leurs propres fonds. Elles expliquaient en effet que des femmes n’hésitaient pas à verser aux mains de leurs maris la totalité des tontines qui leur revenaient; et dans ce cas, ceux-ci les utilisaient comme ils le voulaient124.

C Les obstacles socio-culturels

Ainsi que nous l’avons affirmé plus haut, le tout premier des ces obstacles résidait dans le taux élevé d’analphabètes et de non-scolarisées. Une telle situation ne pouvait qu’entraver l’organisation et la gestion des groupements féminins du Kufo. Nous n’insisterons pas davantage sur cet aspect.

L’extraversion, c’est-à-dire le fait d’être tourné vers l’extérieur - lequel extérieur est identifié comme un ailleurs que chez soi - était le deuxième type d’obstacles socio- culturels portant atteinte à l’organisation et à la gestion des groupements féminins. Que l’on perçoive cet obstacle comme le refus ou la négation de la culture endogène, ou qu’on le considère comme la valorisation excessive d’un fait de culture aux dépens du sien propre, c’était une attitude qui situait le sujet loin de sa propre réalité125. Une telle attitude se laissait aisément constater chez les membres des

groupements féminins. Au double plan des activités agro-économiques et culturelles, elle consistait à importer et à consommer tout ce qui provenait de l’extérieur, mais aussi à s’oublier soi-même et à valoriser cet oubli de soi: de fait, l’extraversion culturelle est, pensons-nous, la plus dangereuse qui soit. Car c’est en elle qu’en un

124 C’était parfois avec ces fonds qui parvenaient fortuitement entre leurs mains que les hommes

entretenaient des concubines ou se remariaient à d’autres femmes. De toutes les façons, ces fonds qui auraient dû servir à œuvrer dans le sens de l’épanouissement de celles qui les ont réunis, se trouvaient en fin de compte mal utilisés par des maris dissipateurs de trésor.

125 C’est principalement dans ce sens qu’abondent les auteurs du Dictionnaire Général des Sciences

Humaines; ils montrent, en effet, que l’extraversion est de l’ordre psychologique. Ces auteurs aident par ailleurs à élucider la notion d’"extraversion", quand ils annoncent qu’il s’agit d’une "attitude générale, non acquise et caractériologique qui, selon JUNG, oriente certains individus ( les extravertis) vers la réalité extérieure physique ou sociale et vers l’action sur cette réalité. Pour l’extraverti, précisent davantage les auteurs, l’accent se trouve plutôt mis sur la continuité des rapports avec l’objet et avec autrui, et moins sur l’idée du Moi. "Les influences venues de l’extérieur, concluent les auteurs, dominent le souci de l’accord intérieur et de logique avec soi-même" (cf. article: "Extraversion", in THINES et LEMPEREUR, 1975: 378).

sens réel, les obstacles au développement prennent leur source126. Le théâtre où

l’extraversion et bien d’autres réalités socio-culturelles ont libre cours, est de toute évidence l’imaginaire127.

De fait, l’imaginaire social ajatado peut être perçu comme un troisième type d’obstacle à l’organisation et à la gestion des groupements féminins. C’est même, dirions-nous, le type d’obstacle le plus déterminant et le plus prégnant. Que constatons-nous en réalité, au plan de cet imaginaire social?

D’abord le poids des coutumes et de la tradition, comme pour attester, certifier et garantir cet imaginaire où la trilogie "voju-ebo-aze" est présente d’une façon permanente; et ceci, afin de pervertir les conflits de tous ordres. En raison de cette trilogie, les conflits qui, au plan des groupements féminins, devraient être transcendés, se transposent au plan matrimonial où ils se transforment parfois en instrument de mort ; cela porte atteinte non seulement au développement physiologique, mais aussi au développement biologique des femmes de l’aire culturelle ajatado128.

A la trilogie ci-dessus évoquée, il faudra ajouter le fait de l’emprise totale des hommes sur les femmes. Cette emprise se trouve bel et bien ancrée dans l’imaginaire social ajatado. En raison de celui-ci, on conçoit aisément que l’homme puisse s’autoriser toutes les options du groupe social qui sont à son goût. La polygamie, par exemple, est perçue comme son apanage. Lui-même est par ailleurs exagérément valorisé par la femme129. Il est, par exemple, perçu comme le père et, à la limite,

comme le propriétaire de son épouse. D’où l’arbitraire qui, parfois préside à ses décisions vis-à-vis de sa femme. Cet arbitraire se trouve assez souvent d’ailleurs doublé d’une tendance à dévaloriser et même à ternir les initiatives féminines. Sur notre terrain de recherche, nous avons eu la latitude de constituer un échantillon de 100 (cent) hommes dont les épouses s’investissaient dans les groupements paysans, et de les interroger sur ce qu’ils pensaient de l’engagement de celles-ci. Environ 82

126 En tant que réalité d’ordre psychologique, l’extraversion est avant tout une attitude mentale. Les

actions de développement ne sauraient donc aboutir, si elles sont conçues dans une telle attitude.

127Nombre de sociologues et d'anthropologues se sont efforcés d’élucider la notion d’"imaginaire".

L’imaginaire collectif est, pour ces auteurs, l’ensemble des images symboliques et des représentations mythiques d’une société donnée. C’est par ces images et représentations qu’au moins à titre partiel commence à s’expliquer la culture de ladite société, sans que toutes les significations de ces images et représentations soient conscientes au même degré chez tous les membres du groupe. L’imaginaire, affirment ces auteurs, constitue un aspect aussi fondamental qu’ambivalent de toute dynamique sociale. Pour plus d’éclaircissements, se référer par exemple aux auteurs suivants: CAILLOIS (1974), DURAND (1963a, 1963b, 1964), SARTRE (1989).

128 Le développement biologique est le tout premier stade de développement: celui de la vie. Nier ce type

de développement, c’est nier le développement tout court. Car une telle négation renie par le fait même l’homme, c’est -à- dire le sujet du développement.

129 Pus haut, nous avons vu que c’était en raison de cette valorisation exagérée que les femmes des

groupements féminins ne pouvaient pas se passer des hommes qui, par ailleurs, étaient les vrais "fossoyeurs" des organisations paysannes. C’était, en effet, eux qui dilapidaient les fonds de crédit et s’octroyaient les privilèges les plus coûteux et donc les plus ruineux pour les groupements féminins; et ceci, la plupart du temps avec des menaces au moyen de la fameuse trilogie "voju-ebo-aze".

% de ces hommes avaient presqu’instantanément oublié le bien que leurs épouses pouvaient tirer de ces groupements qu’ils ont perçus comme des lieux de dépravation. Environ 8 % de ces hommes ont perçu les groupements féminins comme des lieux d’émancipation pour leurs épouses. Mais il y avait une attitude qu’ils n’ont pu cacher au cours de l’enquête: c’était la crainte que ces épouses leur échappent. Enfin, environ 10 % seulement de l’échantillon ont manifesté leur satisfaction vis-à-vis des prestations des femmes dans les groupements paysans. Cependant, l’expérience concrète du terrain de recherche montrait que chacun de ces hommes était, dans le même temps, prêt à affubler son épouse de charges familiales, au point de l’empêcher de vaquer aux tâches de son groupement d’appartenance. Il y avait bien d’autres droits dont les femmes étaient privées. Il s’agissait principalement du droit de propriété sur la terre. En milieu ajatado, les femmes sont privées de ce droit sur le foncier, du moins au plan de l’héritage. Elles peuvent toutefois acheter la terre sur laquelle elles exercent un droit de propriété absolu, alors que ce type de droit n’est en principe et d’ailleurs naturellement légué qu’aux hommes. C’est dire qu’en définitive, la minorisation du statut social des femmes est, dans l’imaginaire social, de l’évidence la plus totale. Au plan de ce même imaginaire prévalent deux maux qui ruinent les acteurs sociaux du Kufo. Efforçons-nous d’en découvrir l’ampleur.