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B.2 Des activités culturelles en général

B.2.3 Au sujet de l’approche écononique des activités culturelles

I.3.4 De la pauvreté et de la corruption au Kufo

4.2 Au sujet de la «corruption»

4.2.2 Au sujet de la corruption au Bénin

BIO TCHANE (2000) est l’un des plus récents auteurs à traiter de la corruption au Bénin. D’une part, BIO TCHANE (2000 : 27-60) se veut explicite sur les principaux lieux de la corruption. Il cite en particulier les domaines des transactions internationales, des opérations assurant les recettes de l’Etat et de la gestion des finances publiques. En effet, il montre combien qu’il importe d’intervenir avec efficacité sur ces lieux, si l’on veut renforcer l’équilibre économique et financier de l’Etat. Il indique également l’administration, le patrimoine de l’Etat, la passation des marchés, la gestion des infrastructures routières et les biens sociaux dans le secteur des entreprises publiques et privées comme des lieux où il convient de lutter pour l’efficacité du développement économique. BIO TCHANE (2000 : 61-120) ne se contente pas de dénoncer ces lieux, il aborde aussi les moyens de la lutte contre la corruption au Bénin, en stigmatisant l’impératif du réarmement politique, institutionnel et éthique. Sous ce rapport, il distingue d’abord les moyens institutionnels au sein du gouvernement. Deux structures se trouvent ici indiquées : la Cellule de moralisation de la vie publique et la Commission d’enquête sur les cas de malversations. Trois organes de contrôle des finances publiques sont par ailleurs retenus : le contrôle administratif, le contrôle juridictionnel et le contrôle parlementaire. BIO TCHANE distingue par ailleurs l’engagement de la société civile béninoise avec son impact au plan de l’action de « Transparency International », du « Front des Organisations Nationales contre la Corruption » et du rôle des médias dans la lutte contre la corruption. Cet auteur distingue enfin la coopération régionale et internationale avec le Bénin ; il s’agit notamment de la coopération avec la Banque Mondiale, le PNUD dans le domaine de la bonne gouvernance et l’UEMOA dans le domaine de la gestion des finances publiques. Que ce soit en général au Bénin ou en particulier dans le Kufo, les acteurs engagés dans le complexe de corruption partent tous d’une communauté et d’une famille; ils retournent tous également à cette communauté et à cette famille qui les attendent pour en avoir la jouissance. Et pourtant, le moins qu’on puisse dire, c’est que la corruption n’apparaît dans aucune déclaration ni dans aucun discours, comme un bien. Tous ceux qui interviennent à son sujet sont unanimes pour reconnaître qu’elle est un mal à proscrire. OLIVIER de SARDAN (1996: 100), dans sa troisième thèse sur la corruption en Afrique, écrit en effet: "La stigmatisation de la corruption et les récriminations à son encontre sont un élément central de tous les discours, publics comme privés, à tous les niveaux de la société, et ont scandé toutes les étapes politiques depuis l’indépendance".

Par ailleurs, les Evêques du Bénin, dans leur Lettre pastorale du carême de l’an 1989, n’ont pas voulu "désigner du doigt et livrer en vindicte populaire des boucs émissaires". Ils n’ont pas hésité non plus à aborder sans déguisement le phénomène de la corruption qui arrière leur pays. Ils affirment en effet:

"L’opinion publique, choquée par l’enrichissement sans justification, évident et scandaleux de certains dignitaires, n’hésite pas à rejeter toute la responsabilité de notre malheur sur ceux qui détiennent le pouvoir politique et administratif… Il est vrai, poursuivent les Evêques, les agissements de certains laissent croire que l’ardeur réformatrice et édificatrice du bonheur national si souvent proclamé n’est qu’une mystification, une couverture, une diversion, pour satisfaire leur volonté de pouvoir, de l’avoir et de l’exclusivité du savoir, tellement ils font preuve d’une insatiabilité illimitée et spoliatrice des autres et de l’Etat ! Sous prétexte de défendre et de servir le peuple, n’est-ce pas, bien souvent, soi-même qu’on sert et de quelle manière?… Ceux qui sont en poste de responsabilité, au contraire, continuent à s’expliquer les Evêques, cherchent à culpabiliser diverses catégories de citoyens: bon nombre de cadres pour raison d’incompétence, de malhonnêteté, d’absentéisme, de malversation et de corruption; les opérateurs économiques, à cause de leur peu de nationalisme ou même de leur manque de dynamisme envers la chose publique, puisqu’ils exportent leurs capitaux et se font les champions de la fraude fiscale; les étudiants et les syndicalistes, à cause de leurs comportements d’allure déstabilisatrice; le peuple, à cause de son apathie ou plutôt de son découragement. Bref, les administrés accusent les hommes politiques qui nous gouvernent: ceux-ci leur rendent la pareille. Il n’est pas de notre intention de trancher ce débat en donnant entièrement raison aux uns et aux autres. Car, affirment-ils, nous sommes tous acteurs, donc tous responsables, à différents niveaux, de la situation; tous, sans exception aucune" (cf. Lettre pastorale des Evêques du Bénin, 1989: 3)134.

Ainsi que nous le constatons, cette Lettre pastorale qui présente la configuration éthique du Bénin, n’est pas sans nous dire ce qu’il en est de la corruption dans l’aire culturelle ajatado et, encore plus particulièrement, dans le Kufo des années 1989. Le document montre surtout que s’il y a "corruption", c’est par rapport à "la chose publique"; il montre également que les acteurs sociaux, quels qu’ils soient et quels que soient leurs niveaux, entourent cette "chose publique" d’une incurie notoire.

En 1992, au lendemain de la "Conférence Nationale" (Conférence Nationale du Bénin, 1990), ces mêmes évêques produisirent une autre Lettre pastorale sur les exigences de la démocratie (cf. Lettre Pastorale des Evêques du Bénin, 1992). Dans ce document, le message comportait deux moments. Il s’agissait, d’une part, du moment des précautions à prendre afin de conjurer les facteurs susceptibles de favoriser la corruption. Ces précautions étaient les suivantes: la vigilance dans l’exercice de la démocratie, la

134 Il importe de noter que ladite Lettre fut signée par tous les évêques du Bénin dont en particulier celui

de Lokossa, Robert SASTRE, auquel revenait la responsabilité pastorale du Kufo. L’année 1989, dite "année de grâce", était en fait une année de grande crise économique, caractérisée par des maux sociaux dont le non-paiement des salaires aux fonctionnaires, la disette et la dépravation des mœurs.

connaissance des droits et des devoirs de chaque citoyen, l’éducation des consciences aux exigences de la vraie démocratie, la volonté générale de recherche du bien de tous et de chacun, la soumission des pouvoirs publics à un contrôle permanent, exigeant, lucide et objectif, dûment géré par différents groupes sociaux, en l’occurrence les groupes parlementaires et, enfin, la garantie de la transparence dans la gestion des affaires de la Nation et celle de la justice sociale entre les citoyens (Lettre Pastorale des Evêques du Bénin, 1992: 6-7). Il s’agissait, d’autre part, du moment des remèdes contre la corruption. Le premier de ces remèdes avait pour nom "la moralisation de la vie publique". C'était en fait une exhortation et, au demeurant, une exigence morale et disciplinaire à laquelle étaient soumis tous les acteurs sociaux. Le document de la conférence épiscopale du Bénin affirmait que cette exigence impliquait non seulement la dimension du dire, mais aussi et surtout celle de l’agir: "Moralisons la vie publique! Il ne suffit pas de le dire et de le répéter. Il faut passer aux actes, changer et améliorer ses modes de travail ou de service; utiliser, par exemple, tout le temps réglementaire pour le travail auquel on est affecté et pour lequel on est rémunéré; offrir ses services de façon intègre et sans recherche de pourboires; créer un rapport sain et stimulant pour le travail entre les membres d’une même unité de production" (Lettre pastorale des Evêques du Bénin, 1992: 8). Tous ces principes prendront de la valeur à partir du moment où les acteurs sociaux les traduiront dans des actes concrets.

Le second remède avait pour nom "le respect du bien commun". D’après ladite lettre pastorale, ce bien était l’"ensemble des conditions économiques et sociales qui permettent à la personne humaine d’atteindre plus facilement son plein épanouissement… Chacun doit veiller à sa promotion. Y travailler, c’est sauvegarder son propre intérêt. La fonction des gouvernements n’a de sens qu’en vue du bien commun. Les dispositions qu’ils sont amenés à prendre doivent en respecter la nature d’une part et, d’autre part, tenir compte de la situation concrète du pays… Quant aux citoyens et aux corps intermédiaires, précise le document des évêques, ils ont eux aussi le devoir de concourir, chacun dans son domaine, au bien de l’ensemble. En harmonie avec ce bien commun, ils poursuivront leurs propres intérêts en suivant, dans leurs apports, les orientations fixées par les pouvoirs publics, en conformité avec la justice, dans les limites de leur compétence" (Lettre pastorale des Evêques du Bénin, 1992: 8- 9). La règle consiste donc à observer la différence entre le bien commun et les biens individuels. Car on retombera, hélas, dans l’engrenage de la corruption, dès lors qu’on se permettra de confondre le bien commun avec ses propres intérêts.

En réalité, le but de la Lettre pastorale des Evêques du Bénin était de lutter contre la corruption. Il importe donc de l’insérer dans le cadre de la campagne de lutte contre la corruption. Or, une telle campagne déboucherait sur l’activisme et se solderait par l’échec, si l’on ne prend auparavant la peine de connaître et de comprendre en profondeur les ressorts du fonctionnement de la corruption en Afrique. Aussi OLIVIER de SARDAN (1996: 100-109) s’applique-t-il à montrer combien l’"enchassement" culturel du complexe de la corruption est fonction de six types de logiques: la logique

de la négociation, la logique du courtage, la logique du cadeau, la logique du devoir d’entraide de réseau, la logique de l’accumulation redistributrice, et la logique de l’autorité prédatrice.

Outre ces logiques, OLIVIER de SARDAN (1996:109-110) stigmatise deux facteurs favorables au complexe de corruption; l’auteur les désigne du nom de "facilitateurs": c’est, d’une part, la "sur-monétarisation". L’auteur se fonde sur ce qu’il constate dans les sociétés africaines contemporaines: premièrement, il remarque que l’inflation des prestations relatives aux cérémonies familiales et à d’autres célébrations sociales est un véritable "problème de société", donnant lieu à une mécanique infernale que tous déplorent, alors même qu’ils sont incapables de l’interrompre. Deuxièmement, il constate que la monétarisation des formes quotidiennes de la sociabilité se fait sous une forte pression sociale. Car, par-delà la logique du cadeau, c’est la sur-monétarisation de la vie courante qui oblige chacun à une quête incessante de moyens et brouille les pistes entre les moyens juridiquement admissibles et les moyens juridiquement condamnables. "En Afrique, conclut l’auteur, il n’est … aucun domaine (même les rapports conjugaux) où l’argent n’intervienne en permanence", et ceci par opposition à l’Occident où "des secteurs entiers de la vie sociale fonctionnent en minimisant ou en réprouvant la circulation d’argent". L’aire culturelle ajatado semble faire exception par rapport à l’affirmation de l’auteur, car dans le domaine de l’hospitalité, ce sont la religiosité ainsi que les relations, et non d’abord l’argent, qui passent avant tout.

D’autre part, le facteur favorable au complexe de corruption est la "honte". Dans un tout premier temps, OLIVIER de SARDAN reconnaît ce qu’elle est: "La ‘honte’ est dans la plupart des cultures africaines un puissant régulateur et moyen de contrôle social. Tout comportement qui porte atteinte à la bienséance, qui suscite l’opprobre, qui engendre l’humiliation, qui témoigne de mauvaise éducation, qui bafoue les valeurs morales locales, est générateur de honte, et celle-ci doit être autant que possible, voire à tout prix, évitée. La honte, conclut-il, est une morale sociale, une morale du regard des autres, et non une morale de l’examen de conscience individuel". Outre cette approche notionnelle, c’est sur un véritable paradoxe que s’appesantit OLIVIER de SARDAN (1996 : 110-111): "On pourrait s’attendre à ce que le sentiment de ‘honte’ soit un frein aux pratiques de corruption. C’est, remarque-t-il, en fait plutôt l’inverse". En effet, il constate que l’enracinement de la corruption dans les habitudes sociales a ceci de remarquable qu’elle déplace la barrière de la honte. L’auteur s’exprime en ces termes: "Une attitude intransigeante vis-à-vis de toute forme de corruption marginaliserait son auteur au nom de la honte qu'immanquablement ferait rejaillir sur lui et les siens ce qui ne pourrait être interprété que comme son orgueil, son mépris d’autrui, son absence de compassion, son rejet de la famille ou des amis, son hostilité envers les convenances"135.

Ainsi, ce n’est plus une honte que d’user de corruption. Car le fait de la corruption est

135 S’agissant du phénomène de la corruption en Afrique, on pourrait, afin de ne pas s’enfermer dans la

problématique ni dans la logique d’un seul auteur, se référer par exemple, entre autres auteurs, à BLUNDO (1996).

perçu dans l’imaginaire social comme un phénomène banal; et l’impunité dont jouissent les acteurs sociaux accusés de corruption, n’est que la conséquence de cette banalisation.

Cependant, notre terrain de recherche n’a pas toujours réflété cette banalisation. Cela était-il dû au caractère informel et rétif de l’objet d’étude et à la peur que cela inspirait aux acteurs sociaux ? En tout cas, en raison de ces deux paramètres, les informateurs pouvant en principe nous aider à aller au-delà de la «dénonciation», faisaient l’impasse sur les éléments de compréhension des mécanismes profonds, l’identification des acteurs impliqués, l’estimation des conditions d’émergence et des conséquences éventuelles. Peut-être l’ « Observatoire de Lutte contre la Corruption » aidera-t-il à élucider ces aspects. Cette structure datant du 21 avril 2004, comporte, en affet, treize membres : ce sont les représentants du ministère de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme, du ministère des Finances et de l’Economie, du ministère de l’Intérieur, de la Sécurité et de la Décentralisation, du Corps des Inspecteurs des Finances, de la Cellule de la Moralisation de la Vie Publique, des Auditeurs, Comptables et Assimilés, des Journalistes spécialisés dans les investigations de faits de corruption, des Organisations non gouvernementales (associations du secteur privé et de la société civile), des Organisations syndicales et de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin (cf. LOUMEDJINOU, 2004 : 14). On a beau rallonger la liste de ces membres, l’efficacité de cette structure dépendra néanmoins non seulement de la volonté collective de vaincre l’obstacle de premier plan que constitue la corruption, mais aussi de la détermination des personnes physiques commises à des tâches spécifiques au sein de ladite structure.

Notre effort aura participé de l’impérieux besoin de clarification conceptuelle. Mais il y a bien d’autres concepts qui recouvrent des réalités apparaissant, par rapport à la pauvreté et à la corruption, comme des effets pervers; il en va ainsi du régionalisme, de la gabégie et de la paresse. Tous ces concepts désignent des maux qui non seulement rendent douloureuse la vie et, en l’occurrence, celle des femmes, mais constituent également un terreau favorable au sous-développement. Et comme le dit BOURDIEU (1993: 1453), porter ces maux à la conscience, ce n’est pas les neutraliser; les porter au jour, ce n’est pas non plus les résoudre… Nous ne continuerons pas à insister sur la pauvreté qui, somme toute, n’est que l’apanage du sous-développement. Car la corruption qui s’accompagne inéluctablement d’un phénomène bien plus redoutable - celui de la criminalité -, n’est pas propre au Kufo ni au Bénin.

I.3.5 La corruption en tant que phénomène mondial