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B.2 Des activités culturelles en général

B.2.3 Au sujet de l’approche écononique des activités culturelles

I.3.5 La corruption en tant que phénomène mondial

5.3 Les principales responsabilités et le combat contre la corruption et la

Il est une inclination en raison de laquelle l’on porte le regard ailleurs, quand on s’applique à établir les responsabilités d’un fléau qui sévit chez soi. C’est la tendance à trouver un bouc émissaire. Nous n’y céderons pas. Car pour ce qui est de l’Afrique, les auteurs relèvent notamment soit l’univers du communautarisme, soit celui de la confusion totale entre bien public et bien privé (cf. BLUNDO, 2000: 18). Ils proposent, par ailleurs, qu’au lieu de confondre, de distinguer analytiquement entre corruption (non respect de la distinction entre public et privé) et patrimonialisme (ignorance de la distinction entre public et privé). Mais ici se pose une question d’ordre méthodologique. Car en ce domaine des responsabilités, le risque est grand d’alléguer, presque spontanément, le déterminisme culturel et de sombrer dans des généralisations hâtives. C’est contre ce risque que, «pour dépasser le niveau des généralités, il faudra donc explorer les modes réels de gestion des ressources collectives et publiques – dans des contextes fréquemment caractérisés par le pluralisme juridique et un décalage souvent important entre la légalité d’une norme et sa légitimité – et essayer de déterminer les logiques qui les sous-entendent, dans une perspective comparative» (BLUNDO, 2000: 18). Les auteurs n’omettent pas cependant les responsabilités au plan exogène par rapport à l’Afrique et au plan mondial: «Les programmes d’ajustement structurel, notamment en Afrique, ont concouru, selon certains observateurs, à l’amplification des réseaux mafieux et de la corruption. Qui plus est, la réduction des effectifs de la fonction publique a surtout intéressé le bas de l’échelle et a permis l’émergence et la consolidation d’une catégorie de courtiers administratifs, qui exercent la double fonction de pallier les difficultés d’accès aux institutions bureaucratiques tout en pouvant servir de courroie de transmission des transactions corruptives» (BLUNDO,

2000: 17). Et pour ce faire, ils ne séparent pas la problématique de la corruption de celle de la criminalité. Car, disent-ils, certaines formes de corruption ont été transformées en une véritable criminalité mondiale aux dimensions alarmantes pour l’ensemble de la communauté internationale. Toutes deux, affirment-ils d’ailleurs, constituent des fléaux aux dimensions transnationales (DJALILI, 2000: 87-98). Les auteurs retiennent, sans doute à titre provisoire, cinq critères permettant de situer les principales responsabilités de la corruption et de la criminalité.

Le premier critère tient à des phénomènes représentant en quelque sorte la face cachée de la mondialisation: «La dérégulation des économies, l’accroissement des moyens de communication, de transport et d’échanges, l’amenuisement du contrôle des Etats sur les flux de marchandises, des services et des finances sont à l’origine de nouvelles vulnérabilités et laissent le champ libre au développement de nouvelles formes de corruption et de criminalité» (DJALILI, 2000: 90).

Le deuxième critère met en cause le mouvement de mondialisation-dérégulation qu’accompagne une tendance à la «communautarisation»; celle-ci consiste en des réseaux de solidarité portant sur l’identité. Ce mouvement peut déboucher sur la résurgence du nationalisme ou sur la résurgence du régionalisme, du localisme et de la retribalisation, selon qu’on l’élargisse au plan national ou qu’on le ramène au plan «ethnique». En somme, c’est une sorte d’intégration communautaire qui se réactive dans les milieux où les systèmes étatiques sont en crise; elle peut cependant se grever de pratiques illicites générant des structures criminelles. Selon les chercheurs, ces structures engendrent de nouvelles organisations apparaissant comme des structures claniques à triple fonction. Il s’agit, premièrement, d’un noyau central qui protège les membres du groupe; deuxièmement, ce noyau central vit aux dépens de l’espace qu’il domine et le ruine en commettant des prédations sur le groupe; troisièmement, enfin, le noyau organise une économie criminelle à partir du sanctuaire que constitue pour ses activités l’espace qu’il domine, c’est-à-dire un espace social occupé par des personnes physiques en situation (DJALILI, 2000: 90)138.

Le troisième critère tient au nouveau contexte de «criminalité mondialisée» dû notamment aux facteurs ci-après: l’effondrement du bloc soviétique, la réintroduction du capitalisme en Chine, la dégradation de la situation économique d’un certain nombre de pays du Sud, accompagnés d’une déliquescence de plus en plus grande de quelques Etats. A ces facteurs qui ont tous contribué à l’essor mondial des mafias de tout genre, DJALILI (2000 : 90-91) ajoute l’implosion des structures d’autorité et de légitimité qui caractérise les «Etats effondrés» (collapsed States ou failed States), le chaos juridique, la porosité des frontières et la généralisation des pratiques frauduleuses.

138 Il ne nous semble pas exclu d’observer cette triple fonction propre aux structures criminelles dans des

Le quatrième critère tient aux effets pervers de la mondialisation. En effet, DJALILI (2000 : 91-92) montre que, selon le schéma des spécialistes de la question, la mondialisation est fondée sur des réseaux quasi unilatéraux de communication et d’échanges de biens, de services et de libre circulation des personnes dans des régions données, c’est-à-dire dans des pays riches, développés et plutôt stables. Au service de ceux-ci, il y a les pays du Sud, dominés, maintenus dans une situation de tutelle et même de vassalité; mais ces pays sont d’autant plus utiles qu’ils fournissent énergies, matières premières et marchés à la production des pays `mondialisés`. Ces pays sont par ailleurs contigus à des zones dites floues, non ou mal contrôlées; ce sont des zones de non-droit, des zones dites grises, ne coïncidant pas nécessairement avec l’espace d’un Etat, chevauchant sur plusieurs frontières et devenant des sortes de chaudrons de la criminalité où prospèrent tous les trafics et toutes les formes de corruption139. Ce phénomène n’est cependant pas l’apanage

exclusif des pays du Sud. Car il réapparaît à l’intérieur même des zones de stabilité et des pays développés, c’est-à-dire au Nord, sous forme de zones d’exclusion situées soit dans des banlieues, soit dans des bidonvilles de mégapoles.

Enfin, le cinquième critère tient aux entités auxquelles profitent la criminalité et la corruption internationales. Car il faut bien un lieu où cacher, fructifier, investir et même blanchir les revenus colossaux que celles-ci génèrent à la criminalité et à la corruption. D’où l’utilité des paradis fiscaux. Ce sont des places financières qui servent à la réalisation des opérations fiscales. Les recherches actuelles révèlent qu’il existe cinquante-cinq paradis fiscaux répartis dans les principales régions du monde. Afin de comprendre le rôle de ces places financières, il importe, par exemple de se référer aux îles Caïmans qui, tout en constituant le cinquième centre bancaire mondial, comptent plus de banques et de sociétés enregistrées que d’habitants (cf. DJALILI, 2000 : 92). Selon les observateurs, ces paradis fiscaux sont des micro-Etats et des micro-territoires; ce sont par ailleurs des îles et enclaves devenues, en contexte de corruption et de criminalité, des «trous noirs» financiers, suractifs mais insaisissables, par où s’engouffrent les nouveaux flux mondiaux. Les .observateurs affirment par ailleurs que ces paradis fiscaux s’avèrent sur leurs terrains bien plus fonctionnels que les Etats- nations, offrant à la corruption et à la criminalité des relais à la fois discrets et accueillants.

C’est au moyen de la typologie et des critères ci-dessus examinés que nous saisissons non seulement le contexte, mais aussi les principales responsabilités au plan de la réalité et de l’expansion de la corruption et de la criminalité dans le monde contemporain. La lutte contre la corruption est, quant à elle, le thème central de la rhétorique qui s’insurge contre un fléau devenu la cible des responsables et des gouvernants de tous ordres et de toutes appartenances. Sous ce rapport, les titres de journaux constituent à

139 Au nombre de ces zones floues et de non-droit, les auteurs citent le Triangle d’or, le Croissant d’or,

l’Afghanistan et ses prolongements en Asie centrale et au Nord-Pakistan, une partie de l’Amérique centrale, certaines régions d’Afrique, la mer de Chine, etc (cf. DJALILI, 2000 : 91).

eux seuls des instruments de sensibilisation accrue: «La lutte contre la corruption doit s’ancrer dans la société civile» (Le Monde, 21 octobre 1997), «La lutte anticorruption devient un objectif international de premier plan» (Le Monde, 16 février 1999 : 6) et bien d’autres titres que l’on pourrait continuer de citer. Par ailleurs, les indignations ne cessent de transparaître à ce sujet dans les propos de hautes personnalités mondiales: «Il n’y a jamais eu autant de colère et d’impatience de l’opinion publique», déclarait Peter EIGEN, ancien directeur de la Banque mondiale (Libération, 15 février 1999). De toute part s’élèvent des voix qui déclarent vouloir livrer une guerre sans merci aux réseaux de corruption, aux mafias, aux trafiquants et aux structures de blanchiment de revenus illicites. La lutte ne s’est cependant pas arrêtée aux discours. Car une politique internationale de lutte contre la corruption implique, d’une part, la coopération interétatique et l’action conjuguée des organisations internationales et, d’autre part, la mobilisation des opinions publiques, les pressions internationales et les réformes gouvernementales. Des institutions et organisations internationales et régionales ont émis des recommandations allant dans le sens de la lutte: c’est le cas des Nations Unies, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, de l’Organisation Mondiale du Commerce, de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), du Conseil de l’Europe (CE) et de l’Union Européenne (UE), pour ne citer que celles-ci. On ne saurait non plus passer sous silence les efforts des entreprises, des organisations patronales et syndicales ainsi que des organisations non gouvernementales. Parmi celles-ci est citée Transparency International, créée à Berlin en 1993 par Peter EIGEN, pour que la lutte contre la corruption au-delà des Etats s’ancre dans la société civile. Dans cette lutte, les protagonistes sont allés aux mesures coercitives: sous les auspices de l’OCDE, par exemple, une convention anticorruption fut adoptée et mise en vigueur le 15 février 1999 dans 34 pays. L’objectif de la convention est de sanctionner la corruption ne serait-ce qu’à la source, c’est-à-dire à l’amont, en poursuivant le corrupteur qui commet un délit par le versement d’un pot-de- vin à un agent public à l’étranger. Il en est de même pour ce qui relève de la lutte contre la criminalité.

Cette lutte comporte pourtant des difficultés. Car, une toute première difficulté surviendrait - et la lutte elle-même serait entravée -, si jamais la société normale (légaliste) et la société criminelle, tout en cessant d’être des sociétés antagonistes, coexistaient non plus dans l’hostilité, mais dans une sorte de division du travail coopérative. Le magistrat Jean de MAILLARD qui a su focaliser ce cas de figure, affirme que dans une telle perspective, la société légale aura besoin de la société criminelle pour ses possibilités financières, ses réseaux de communication et ses pouvoirs, et qu’à l’inverse la société criminelle aura besoin de la société saine. En effet, ce que recherche la société criminelle auprès de la société légale, c’est que celle-ci lui permette de transgresser les règles et qu’elle lui offre les possibilités de légalisation et de justification, par exemple, pour le blanchiment de son argent. Ainsi, la «lutte» disparaîtra, puisque les deux sociétés se rendront utiles et indispensables l’une pour

l’autre. Cette première difficulté tient au fait que "la société légale ne pourrait pas plus se passer désormais de la société criminelle que celle-ci ne pourrait se passer de celle- là". La seconde difficulté tient au cas de figure où le monde économique, social et politique se laisse infiltrer par les milieux criminels, aboutissant ainsi à l’émergence d’Etats totalement assiégés et minés par la corruption (cf. MAILLARD, 1997: 99-130). En somme la communauté internationale ne saurait, tout en oeuvrant avec efficacité à l’avénement de la corruption et de la criminalité internationales, promouvoir contre elles, dans le même temps, la lutte qui les brisera.

Si cette étude présente l’avantage de nous faire comprendre les mécanismes de la corruption, de repérer les acteurs qui s’y trouvent impliqués, d’estimer ses principales conditions d’émergence et d’évaluer ses conséquences éventuelles, elle nous avertit également du contexte de corruption généralisée et de lutte contre la corruption où se déroule, dans les pays du Sud, le combat pour le développement. La problématique générale de cet essai permet plutôt de focaliser plus précisément le combat des femmes de l’aire culturelle ajatado pour le développement, compte tenu de leur situation au Kufo. Essayons d’oeuvrer, avec des analyses et des propositions, aux conditions d’aboutissement de ce combat.

I.4 TROISIEME PARTIE: