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4.3 L’observation d’un contrôle restreignant

4.3.1 Suivre une démarche de résolution par étapes

Des élèves font appel à une démarche par étapes lorsqu’ils résolvent un problème. À la question57 « Explique-

moi dans tes mots ce que tu as fait pour résoudre ce problème? », Renaud répond « J’ai suivi les étapes » à 5 occasions.

56 Pour offrir une analyse plus exhaustive, les résultats proviennent des 5 problèmes discutés lors des entretiens avec les élèves, les

problèmes Âge, Muffins, Punch, Fête, et Tartes.

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Figure 40: Traces de Renaud à la question « Explique-moi dans tes mots ce que tu as fait pour résoudre ce problème?

Lors des entretiens, nous demandons à Renaud d’expliciter comment il a fait pour résoudre le problème Punch. Il mentionne qu’il a suivi les étapes, qu’il énumère ensuite « Ben, les étapes, c'est que tu soulignes, après tu ...ben tu lis le texte, après tu soulignes les informations importantes, après, t'les écris là [montre l'espace pour résoudre], pis après, tu réponds, t'écris les calculs. ». Renaud semble centré sur des étapes précises qu’il devrait faire dans l’ordre. Il témoigne d’une démarche qu’il semble avoir apprise par cœur et qu’il colle à la résolution du problème. Il ajoute que suivre les étapes ne l'aide pas vraiment à résoudre le problème Punch car il reste bloqué et abandonne. D’ailleurs, les entretiens avec Renaud ne permettent pas d’identifier de quelle manière cette démarche pourrait l’aider et favoriser la résolution d’un problème ni pour quelle raison il suit une telle démarche. Toutefois, une discussion58 avec son enseignante nous offre une piste d’explication. Elle explicite

cette conduite, suivre la démarche, qu’elle propose en classe sous la forme de petites cartes.

« c'est sûr et certain, nous de la façon dont on fonctionne, on fonctionne avec des petites cartes, où il y a toutes les étapes de résolution de problèmes dessus...[…]...Je lis bien la consigne, je souligne les éléments qui sont importants, qu'est-ce que je sais, qu'est-ce que je cherche etc. […], c'est un aide-mémoire... […]Moi, je veux qu'ils apprennent à s'organiser, oui, je pense que c'est vraiment s'organiser au niveau des étapes à suivre» (Enseignante A)

De notre point de vue, certains élèves interprètent cette démarche comme étant simplement une liste d’étapes fixées qu’ils doivent suivre pour arriver au bout à une solution, c’est une démarche linéaire.

De son côté, Julien présente aussi ce type de démarche. Il mentionne, après une première lecture du problème

Punch et sans qu’il souligne les informations importantes, qu’il sait déjà comment résoudre ce problème. Il

explique les relations entre les nombres et il anticipe faire fois 3 à tous les ingrédients. Il mentionne du même coup qu’il a déjà résolu, sur le champ, dans sa tête, et qu’il connaît déjà les réponses « je peux même le faire de même sans calcul ». Il nomme toutes les réponses (600, 450, 900,…). Donc, nous constatons qu’à ce stade, avant même de souligner les données qu’il juge importantes, Julien semble avoir résolu la première question du problème, les quantités. Ensuite, Julien propose de « résoudre », c’est alors qu’il fait deux colonnes, Ce que

je sais et Ce que je cherche, qu’il distingue par deux couleurs59 différentes. Ensuite, Julien souligne dans le

texte des informations en utilisant le même code de couleurs. Souligner semble être associé à la démarche ce

58 Lors de cette étude, nous avons réalisé des entretiens avec les trois enseignants afin de discuter de la manière dont les élèves

résolvent des problèmes mathématiques en classe. D'un point de vue méthodologique, ces entretiens deviennent une source de données secondaires aux propos des élèves et qui offrent un éclairage complémentaire aux résultats obtenus chez les élèves.

59 Dans plusieurs classes du primaire, les enseignants proposent de souligner avec deux couleurs, l’une pour les données importantes

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que je sais et ce que je cherche « ben à cause que c'est pas la même affaire que je souligne […] ben c'est que

là, c'est qu'est-ce que je dois faire (en orange, ce que je cherche), là, c'est qu'est-ce que je sais (en mauve).

Figure 41: Traces de Julien pendant la résolution du problème Punch

À ce moment, Julien dit qu’il commence à résoudre. Nous observons alors que Julien exprime une certaine difficulté, celle de remplir les espaces de la démarche ce que je sais, ce que je cherche, alors qu’on lui rappelle au même moment qu’il peut résoudre à sa manière.

« Julien : Parfait. Bon fait que c'est ça, je vais commencer...je vais y aller numéro par numéro, pis après ça, je vais écrire...sauf que là...je sais pas comment je vais m'y prendre pour démontrer mes calculs. J'ai déjà la réponse dans ma tête, sauf que je sais pas comment je vais m'y prendre. Je serais capable d'écrire la réponse ici là [montre à droite de 200 ml de jus d'orange]...le nombre de personnes et le nombre de ml sauf que je sais pas comment l'écrire [pointe la section ce que

je sais].

CH: Tu peux le faire, si tu veux, tu peux les écrire les nombres à côté [à droite de 200 ml], tu fais à ta façon, si tu préfères l'écrire, tu peux le faire.

Julien: Ben, je le ferai pas [d’écrire ses calculs au bout de 200 ml de jus d'orange]... » (Julien,

Punch)

Nous formulons deux constats à partir de l'exemple de Julien. Le premier constat est que Julien ne fait pas appel aux étapes de la démarche ce que je sais, ce que je cherche pour trouver la solution. Le deuxième constat est qu’il tient à présenter ses calculs dans ce cadre précis, ce que je sais et ce que je cherche pour démontrer ses

calculs comme il le mentionne. Ses efforts se centrent sur le respect d’une démarche en particulier qu’il doit

faire, ce qui peut parfois être difficile à apprêter, selon ses propos.

« Dès le début, j'aurais pu écrire la réponse. Sauf que faut que j'apprête mon calcul, fait que faut que je l'écrive. Fait que moi, je me demande comment l'écrire, moi dans ma tête je la connais la

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réponse, sauf qu'il faut que je l'apprête, alors j'écris tout là. Fait que là, moi, je me pose des questions...comment je pourrais bien écrire ça... » (Julien, punch)

D’ailleurs, si nous observions uniquement les traces écrites laissées par Julien une fois la résolution complétée, nous pourrions croire que la démarche a été utile pour résoudre ce problème.

Figure 42: Traces de Julien à la fin de la résolution du problème Punch

Pourtant, les propos précédents de Julien exprimaient le contraire. D’ailleurs, cette démarche est privilégiée par Julien pour toutes les résolutions qu’il fait au cours de cette étude. Selon nous, il vise à respecter un cadre précis que nous associons à la manière de faire la résolution de problèmes en classe. À cet effet, les extraits suivants illustrent à quel point son enseignante accorde une grande importance à la démarche.

« quand on arrive dans la démarche, là je leur dis toujours, je les fais rire, parce que je leur dis je suis hyper têteuse…fait que là, moi, je décortique la démarche, de façon très très détaillée, même le calcul mental, je dois avoir les équations, ça ça prend du temps…

[… ] Ben je le fais comme si c’était moi qui avais à résoudre le problème, ben c’est sûr que je l'anime là, O.K. Qu’est-ce que je cherche…là, je leur demande de surligner qu’est-ce que je cherche d’une couleur et qu’est-ce que je sais d’une autre couleur. O.K. Maintenant, première étape…qu’est-ce qu’on doit faire? Pis là, on essaie de voir les différentes façons, on va au tableau, j’envoie des élèves au tableau, on le fait vraiment comme un modèle. »

[…] fait que j’en fais beaucoup en modeling en début d’année avec eux, après ça, je les laisse aller, je peux les ramasser, je les annote ou après ça, on le retravaille en grand groupe. Fait que progressivement, ça monte de niveau là du début de l’année jusqu’à la fin de l’année ». (Enseignante C)

Nous remarquons l’importance accordée par l’enseignante de Julien à la démarche, qui semble une démarche très constante « Je prends toujours pas mal cette même méthode-là, ce que je cherche, ce que je sais, numéroter mes étapes, écrire ce que je fais à chaque étape, ensuite de valider et d’écrire ma réponse avec une

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phrase complète ». Elle mentionne aussi qu’elle est stricte à ce sujet « je les oblige à le faire comme ça. […] C’est comme ça, c’est exactement ça qu’il faut faire […] pour la démarche, j’en fais beaucoup avec eux au début pis là, ben tranquillement quand ils m’apportent un travail qui n’est pas comme ça, je les retourne à leur bureau, va m’écrire ce que tu cherches, numérotes tes étapes ». Même que des élèves peuvent perdre des points si la démarche (sa communication de notre point de vue) ne respecte pas ce cadre précis.

« Elle fait ses démarches à moitié, elle perd plein de points. C’est drôle parce que dernièrement, elle a eu un résultat, elle avait la réponse là, la réponse, tout était bon, pis je sais qu’elle l'avait trouvé, mais elle a eu 74, parce qu'il y a plein d’étapes qu’elle n’a pas écrites, elle n’a pas écrit ses calculs, là t’sé j’annote beaucoup, d’où vient ce nombre-là, je le vois nulle part, pis là la mère m’a écrit un mot, elle a eu la bonne réponse, pis j’ai expliqué à la mère que Béatrice ne fait pas ses démarches au complet. » (Enseignante C)

Les extraits précédents illustrent un enseignement en classe d’une démarche détaillée qui implique une rigueur et une constance, exprimées par des exigences explicites de l’enseignante de Julien. Ces extraits permettent de croire que la démarche de résolution en classe peut prendre la forme, chez certains élèves, d’une attente scolaire à rencontrer.

Les résultats laissent aussi entendre que des élèves interprètent cette démarche comme étant la seule conduite à adopter dans la résolution. Qui plus est, nous avons observé des élèves qui justifient d’avoir terminé de résoudre parce qu’ils ont fait toutes les étapes de la démarche. Les petites cartes et autres manières de résoudre par étapes pourraient renforcer cette idée et expliquer que les élèves concluent qu’ils ont terminé un problème alors qu’ils ont suivi les étapes de manière linéaire. À ce moment, le fait d’avoir tout fait ce qu’ils demandaient (Judith, Fête) grâce à la démarche devient une forme de justification pour l'élève lui indiquant qu’il a résolu le problème. Et comme Renaud l'a mentionné précédemment, donner une réponse fait partie des étapes. Thomas précise que « quand tu as écrit ta réponse à la fin, ben...c'est parce que tu as terminé soit une étape ou ben la dernière étape » (Fête). Des élèves, entre autres Charles, Sarah et Judith, mentionnent qu’ils ont terminé parce qu’ils ont « répondu à la question ». De manière implicite, des élèves laissent entendre60 qu’obtenir une réponse

respecte la démarche et leur indiquerait qu’ils ont terminé le problème. Résoudre pourrait parfois être interprété comme étant une démarche linéaire à suivre, dont l'activité cognitive derrière la démarche n'est pas nécessairement exploitée.

Dans l’ensemble, les propos de Renaud et de Julien expriment clairement en mots ce que nous observons régulièrement en classe. Des élèves utilisent une démarche technique et structurante, par étapes, alors que

60 Nous soulignons une ouverture, un lien de causalité possible qui mériterait une meilleure analyse lors d’une étude subséquente. Par

contre, dans le cadre de cette étude, nous ne pouvons affirmer hors de tout doute que lorsque les élèves mentionnent « j’ai terminé parce que j’ai répondu à la question », ils font référence au fait de respecter une démarche. C’est pourquoi les unités de sens faisant référence au fait d’avoir répondu à la question ne ne seront pas comptabilisées pour l’indicateur suivre une démarche de résolution par étapes.

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résoudre n’est pas une activité linéaire. Suivre une démarche n’invite pas l’élève vers une activité de résolution flexible et engagée par une réelle activité mathématique où l’élève est invité à prendre ses propres décisions. Nous observons même que cette démarche peut plutôt interférer pendant la résolution, si elle devient une contrainte à respecter. Pour certains élèves, privilégier cette démarche semble davantage rencontrer une règle implicite de la classe, une attente scolaire, qu’être l’indicateur d’un engagement réfléchi, d’un choix éclairé.