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4.1 La mise en place d’un contrôle structural

4.1.3 Des écarts dans la mobilisation d’un contrôle structural

Nous illustrons dans cette section des écarts chez certains élèves, écarts observés dans la mobilisation du contrôle structural. Dans de tels cas, ces écarts mènent l’élève vers un travail d’interprétation et de structuration qui ne correspond pas à la structure du problème. Par exemple, vers une structuration erronée, une double structuration ou au blocage dans la structuration. Ces écarts reposent sur les manières propres à l’élève de gérer et contrôler les actions, les relations et les raisonnements.

4.1.3.1 Des écarts menant à une structuration erronée

La structuration erronée observée lors du problème Punch, est la relation additive + 200 ml aux quantités de jus.

« Déjà, elle avait 300 ml de jus de pomme, fait que elle se trompe, elle fait + 200ml, donc, sur les autres pour que ça goute la même chose, faut faire + 200. Ben, je crois que c'est ça, ... » (Jonathan, Punch)

Cette structure additive ne rencontre pas l’espace problème, bien qu'elle puisse faire du sens pour Jonathan ou pour Béatrice, une autre élève. Comme cette dernière l'explique, il est possible d’ajouter + 200 ml aux autres liquides.

Béatrice (Punch) « Ici, pour le jus de pomme, on en rajoute 200. […] Ben parce que 300, c'est 200 de plus que 100. Au départ, le jus d'orange a 100 de plus que le jus de pomme, pis si tu rajoutes 200 à ça, ben ça fait 400. Pis y’a aussi 100 de plus que le jus de pomme, comme au départ, fait que je suis sûr de ça, pas mal. »

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Les calculs sont possibles aux yeux de Béatrice, mais ils ne rencontrent pas la structure multiplicative de l'espace problème. Du reste, Béatrice réduit ensuite le nombre 200 ml à 2 unités en supprimant les 0 pour conserver cette possibilité. Elle ajoute alors deux cuillères aux deux premières cuillères de grenadine, pour un total de 4 cuillères. Elle ajoute aussi 2 personnes aux 4 autres personnes pouvant gouter le mélange, pour un total de 6 personnes.

Figure 27: Traces écrites de Béatrice pour le problème Punch

Béatrice propose une solution pour faire le passage millilitres/cuillères. La relation additive demeure ainsi possible pour elle. Nous observons donc un écart concernant la mobilisation du contrôle structural. Ce choix suggère que Béatrice n’exerce pas un contrôle sémantique sur cette représentation particularisée, la relation + 200 ml. Elle ne remet pas en cause cette relation + 200 ml pour les cuillères ni les personnes, en contournant l'impasse (enlever les 0), même si elle doute et se questionne. Notamment, elle ne semble pas exercer un regard critique sur la manipulation d’enlever les 0 pour faire +2 « Je suis pas certaine parce que ça dit pas vraiment que tu rajoutes 2 cuillères là, ça dit...je me suis dit juste c'est à cause que 200, ça aurait pu équivaloir à 2, mais il y a rien qui dit que ça équivaut à 2 ». Cet exemple rejoint les propos de Julo (1995) stipulant que dans l'opérationnalisation, l’élève peut remettre en doute une représentation particularisée. Néanmoins, Béatrice ne semble pas être en mesure de contrôler ce doute par l’attribution d’un sens aux relations + 200 ml et + 2 unités qu’elle propose, ni les connaissances mathématiques mobilisées (enlever les 0), tout comme le témoigne Jonathan.

CH: Ok, mais comment tu sais qu'il faut faire +2?

Jonathan: Parce que si on fait +200, ça fait pas...ça marche pas, c'est genre trop! CH: ton 200...tu le changes en 2, c'est ça?

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Jonathan remarque que « + 200, ça fait pas ». Il semble que l’ordre de grandeur le guide vers une connaissance à mobiliser. Chez Jonathan, c’est le contrôle dans la mobilisation des connaissances mathématiques qui semble absent. Par ailleurs, d’autres élèves ne remettent pas en doute la relation +200 ml pour les liquides, ni le passage à + 2 unités pour les cuillères. Ce qui nous indique de manière générale, une difficulté à exercer un contrôle sémantique.

Pour le problème Fête, nous remarquons que le processus d’interprétation des informations et du contexte semble guider Sarah vers une représentation erronée du problème.

Sarah (fête) « Ici...parce que... ici c'est écrit ces quatre personnes ont préparé ensemble pendant 120 minutes, j'ai fait 120 minutes divisées par quatre, ça m'a donné 30, ça veut dire 30 minutes, pis je l'ai fait avec trois aussi parce qu'ils veulent que je sache quand ils sont trois, ça donne 40. » Tout comme Sarah, plusieurs élèves interprètent que l’on additionne le temps pour chacune des personnes, mais que le total des 4 personnes est de 120 minutes. Le peu de connaissances des élèves pour ce contexte vient aussi jouer dans la manipulation des grandeurs. De sorte que l’interprétation des grandeurs mène à une structuration erronée des relations, qui semble cohérente pour l’élève étant donné son interprétation du problème. Pour ce problème, les nombreux exemples confirment que la structuration devient le construit de l’élève tel que soulevé par quelques auteurs déjà (Julo, 1995; Kamii, 1989; Richard, 2004).

En ce qui concerne la résolution du problème Tartes, plusieurs élèves font les mêmes calculs que l’élève fictif pour s’assurer de leur justesse, sans toutefois mettre en jeu un contrôle structural. Un contrôle structural sur les opérations semble ici superflu pour plusieurs élèves, car comme le mentionne Olivier « On avait pas mal tout, du début, faut pas que l'on cherche grand-chose, il fallait juste s'assurer que les calculs étaient bien faits ». Ces exemples témoignent d’une non-mobilisation d’un contrôle structural.

4.1.3.2 Des écarts menant à une double structuration

Nous avons observé quelques exemples où des élèves proposent deux structures partielles qui cohabitent pour une même représentation, ce que nous identifions comme étant une double structuration pour un même espace problème. Par exemple, Charles établit la relation + 200 ml pour les jus à mélanger. Cette relation demeure locale aux millilitres. Il hésite à l’appliquer aux cuillères de grenadine « dans le fond, il faudrait que je rajoute 200 ml à chaque [jus]...les deux cuillères... [moment d'arrêt]. La, y'a juste les deux cuillères à table de grenadine que ...je sais pas ça fait combien de millilitres ». Charles cherche à convertir la valeur des cuillères en millilitres, qu’il ne connait pas. Ce questionnement force Charles à trouver une autre façon de faire et à revenir sur le problème. À ce moment, il voit autrement les relations entre 100 ml et 300 ml, la relation fois 3. Cette nouvelle

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relation, fois 3, sera utile pour manipuler uniquement les cuillères et le nombre de personnes pouvant gouter le mélange, comme en témoignent les traces suivantes.

Figure 28 : Traces écrites de Charles pour le problème Punch

La gestion des informations et des contradictions qui émergent lors du processus de structuration ne semble pas indiquer un contrôle structural exercé sur la compatibilité des relations et des grandeurs en jeu. Lorsque Charles renégocie les relations, il ne voit pas l’espace problème dans son ensemble ce qui fait en sorte que la cohabitation des deux structures semble cohérente pour Charles.

4.1.3.3 Des écarts menant au blocage

Nous avons observé aussi quelques blocages lors du processus de représentation. Avant ou pendant les calculs, des élèves ne sont pas en mesure de structurer les relations et abandonnent. C’est le cas de Renaud pour le problème Punch.

Renaud: « mais là...c'est comme vraiment mêlant...je bloque. [...]

CH: Bon, là tu me dis je bloque...qu'est-ce qui se passe ici? Est-ce que tu sais ce qui bloque? Renaud: C'est parce que là, ils disent "étant donné les nouvelles quantités", mais je sais pas ce que ça goute moi, pis je sais pas ce que ça va goûter non plus, c'est juste ça. »

Cet exemple traduit une prise de décision où Renaud statue par lui-même qu’il ne comprend pas et qu’il abandonne la résolution. Il n’est pas en mesure de traduire la situation mathématiquement. Néanmoins, Renaud est en mesure d’identifier ce qui bloque. Cet élève semble très démuni devant cette tâche mathématique. La non-interprétation du contexte mathématique, la non-mobilisation de connaissances ou d’euristiques de recherche semblent traduire un écart par une incapacité à mobiliser un contrôle structural. Renaud traduit aussi un autre écart, une fixation par une rigidité dans la manière de voir cette situation.

Renaud: Comment que je vais faire pour savoir comment ça goute? CH: Qu'est-ce que tu veux dire ?

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Renaud: Quand ils disent " Elle désire ajuster les quantités des autres ingrédients pour que ça goute la même chose"

CH: On aimerait que le punch goute la même chose...que cette recette-là [pointe la recette originale]. Il faut la modifier pour que ça goute la même chose, est-ce que tu saurais quoi faire ? Renaud: Ben premièrement, je sais même pas ce que ça goute!

CH: C'est vrai...mais, est-ce que toi tu le gouterais? Tu ferais des tests de gout? Renaud: ouais...

Il est à la recherche d’une donnée, non mathématique, qu’il n’a pas. Cette fixation l’empêche de modifier l’espace sémantique qu’il a construit, d’où aucune action ne lui semble possible. Au final, Renaud décidera d’abandonner le problème sans aucune trace, ni essai, ni calcul.

De son côté, Loïc illustre plutôt un blocage dans la mise en place d’une structuration. Lors de la résolution du problème Fête, il aimerait trouver une information qui pourrait être utile, le nombre de sacs produits.

CH: « Qu'est-ce qui s'est passé pour que ça bloque? Loïc: Ben...j'avais pas assez d'informations... CH: Qu'est-ce qu’il te manque comme information?

Loïc: En mettons 10 minutes, combien on peut faire de sacs...en fait combien ça prend de temps pour faire 1 sac.

CH : Donc, à partir des informations que tu as là, est-ce que tu es en mesure de trouver cette information ?

Loïc : Non... »

Tel qu’illustré ci-dessous, Loïc est en mesure d’identifier les informations importantes, mais pas en mesure de les structurer de manière à ce qu’elles correspondent à l'espace problème, ce qui l’amène à une impasse et abandonner la résolution.

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Cette situation exprime un écart chez Loïc, celui d’un manque de ressources qui en d'autres cas, favoriseraient la recherche de sens et la flexibilité cognitive49 utile pour changer de point de vue. Cet écart traduit une limite

exprimée par Loïc, lorsqu’il stipule que la seule manière « c'est la seule manière que je connais pour résoudre ça... » (Loïc, Fête).

De notre point de vue, prendre la décision d’abandonner la résolution du problème peut traduire le fait que l’élève s’est engagé de manière réfléchie dans la représentation d’un problème non routinier. Ces deux problèmes ont une structure particulière. Pour décider qu’il bloque, l’élève est en mesure de pressentir que l’espace de recherche sémantique (p.e. le gout du mélange) ne cadre pas avec l’espace effectif du problème. Néanmoins, le blocage traduit un écart par l’incapacité à mobiliser d’autres aspects d’un contrôle structural. Ces élèves abandonnent parce qu’ils semblent démunis dans la mise en place des relations, la signification des grandeurs en jeu et dans la mobilisation d’actions pouvant favoriser une activité de structuration. L’élève ne sait pas comment faire pour débloquer, ce qui illustre une limite dans les moyens à la disposition de l’élève pour dépasser les impasses et fixations.

4.1.3.4 Des écarts dans la mobilisation d’un regard critique envers les connaissances mobilisées

Un autre exemple d’écart dans la mobilisation d’un contrôle structural concerne le regard critique envers les connaissances mobilisées, tant mathématiques que contextuelles. Les élèves sont parfois portés à prioriser une connaissance au détriment d’autres connaissances plus appropriées à la situation. Plusieurs observations témoignent de cet écart, dont celui du passage +200 ml à 2 unités en enlevant les 0 discuté précédemment pour le problème Punch, et celui de Jonathan. Ce dernier mobilise une connaissance contextuelle lors du problème

Punch. Il fait le choix de doubler la recette pour connaitre le nombre de personnes pouvant gouter le mélange

(8 personnes). Il explique ensuite que la recette sera doublée, car il sait que normalement c’est ce que sa mère fait, doubler les recettes.

« Jonathan: Si ça (la recette originale) est pour 4 personnes, ben si on fait + 200, + 200, +200, +200 [ici, en pointant 1 à 1 les jus, relation additive + 200 ml], donc ça égale 8 personnes, parce que l'on double la recette...je crois... C'est ça que ma mère a fait en tout cas.

CH: Ta mère double les recettes? Est-ce que ça arrive aussi des fois qu'elle triple ou quadruple une recette ?

Jonathan: Ben ma grand-mère une fois elle a fait un gâteau, elle a triplé la recette! Parce qu’on était beaucoup là. C'était le baptême à ma petite soeur. » (Jonathan, Punch)

49 Une limite dans la flexibilité cognitive est vue dans ce contexte comme une limite dans « la capacité à envisager plusieurs points de

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Jonathan propose une double structuration, + 200 ml et doubler le nombre de personnes pouvant gouter le mélange. Le raisonnement mis en jeu pour trouver le nombre de personnes pouvant gouter le mélange s’avère être d’une autre nature que les relations mathématiques du problème. Il repose sur des connaissances très contextualisées issues de ses expériences personnelles, connaissances qu’il applique pour ce problème. Jonathan présente un écart quant au contrôle sur la pertinence de la mobilisation de cette connaissance, bien qu’elle puisse être vraisemblable en contexte.

Cette section permet d’entrevoir d’autres manières chez les élèves de « gérer » les informations, actions, relations et manipulations lors de la résolution de problèmes de proportion. Ces manières traduisent des écarts dans la mobilisation d’un contrôle structural qui font en sorte que l’élève, dans la structuration, ne rencontre pas l’espace problème. Soit par une non-mobilisation d’un contrôle structural ou une incapacité à contrôler certains éléments de la structuration.