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4.2 La mobilisation des composantes d’un contrôle opérationnel

4.2.2 La sensibilité à la contradiction et son dépassement

Lors de la résolution des problèmes Punch, Fête et Tartes, nous avons observé des exemples qui traduisent une sensibilité à la contradiction. Du point de vue du contrôle, cette sensibilité illustre chez l’élève un état de veille sur son travail. Si une contradiction est relevée, l’élève peut tenter de dépasser cette contradiction. Les exemples suivants permettent de caractériser ces moments où l’élève contrôle son activité mathématique par la sensibilité à la contradiction et son dépassement.

4.2.2.1 La sensibilité à la contradiction

D’après l’analyse des résultats, cette sensibilité s’exprime généralement par un état de surprise devant une contradiction, par des expressions du type « Hein? », « Humm? », « Oups! » ou « Non, attends! ». Nous observons aussi une sensibilité par un questionnement ou des commentaires du type « ça marche pas mon affaire… », suivis de moments d’arrêt supposant une certaine réflexion sur une possible contradiction. D’autres

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se questionneront et l’état de surprise, tel que « Ah! Ça égale quatre dollars! » (Jonathan, Tartes) vient après avoir pris en compte un insight (Richard, 2004) ou un changement de point de vue (Clément, 2009).

Les résultats indiquent par ailleurs qu’une contradiction est le construit de l’élève. Rappelons à cet effet que certaines variables d’un problème peuvent favoriser la mise en place d’une contradiction. Par exemple, la question A du problème Fête demande à l’élève de déterminer si la préparation de sacs prendra plus ou moins de temps. La réponse de l’élève pourrait faire l'objet d’une contradiction avec les résultats qu’il obtiendra ensuite avec les opérations. C’est aussi le cas du problème Tartes qui présente la résolution d’un élève fictif. Cette résolution de l’élève fictif pourrait être en contradiction avec la représentation du problème qu’a l’un des élèves participants à cette étude. Par exemple, Loïc explique la raison de son étonnement lors de la lecture de ce problème « ben, c'est pas 1 dollar le kilo [pointe 6 kilos pour 8 dollars] pis ici, ben c'est comme si c'était 1 dollar le kilo [pointe 16$ + 3$ est égale à 19$] ». Cette sensibilité à la contradiction permettra à certains élèves de refuser le travail de l’élève fictif.

D’autres résultats indiquent un étonnement face à une réponse obtenue suite aux calculs. L’analyse de la résolution Tartes faite par Vincent permet d’observer un moment d’arrêt devant la réponse 1,3�. Lors de l'entretien, Vincent mentionne qu’il ne s’attendait pas à ce que le nombre qu’il obtiendrait ait une partie décimale périodique 1,3� « En fait, il était facile, mais par exemple, quand j'arrive pour diviser 8 divisé par 6, ça m'a donné comme un virgule trois [...]. C'est juste que je m'y attendais pas. » (Vincent, Tartes). Vincent fut donc surpris par la périodicité du résultat. Cet état de surprise l'a amené à prendre un recul et réfléchir sur le résultat obtenu avant de l’accepter. Ces exemples illustrent dans quelle mesure la sensibilité à la contradiction traduit chez les élèves rencontrés un état de veille, de surprise. Ils illustrent aussi qu’une contradiction est le construit de l’élève, auquel il est difficile d’avoir accès seulement par les traces écrites.

4.2.2.2 Le passage d’une sensibilité à la contradiction à une tentative de dépassement de cette contradiction

Le cas de Julien s’avère particulièrement riche en ce qui concerne la sensibilité à la contradiction. Le processus de résolution pour trouver le nombre de personnes pouvant gouter au punch est marqué de trois moments traduisant une surprise. Julien décide d’abord de faire fois 2 pour calculer le nombre de personnes pouvant gouter le mélange de jus. Lorsqu’il explicite ce choix, Julien décèle une première contradiction.

« Je fais le nombre de personnes. Ça fait, vu que je fais fois 2...r'garde, à cause que là, c'est fois 3 [ pointe les millilitres]...Hein! mais je sais pas hein... pourquoi? […] Je sais pas, me semble que ça me donne pas la bonne, la même réponse. Je suis pas sûr, là...attends [moment d'arrêt] » (Julien Punch).

Cet état de surprise démontre la capacité chez Julien de percevoir une contradiction, le fait de faire fois 3 pour les quantités de jus et faire fois 2 pour le nombre de personnes. Cette incohérence sème le doute. Il tentera de

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dépasser cette contradiction en cherchant à justifier le fait de faire fois 2. Cette tentative l'amènera à un autre état de surprise, un insight où Julien prendre connaissance que 200 ml est pour 4 personnes.

« T'sais, à mettons je fais fois 2, mettons t'sais je fais fois 3 tout le temps ça je le sais pis là...mais...fois trois c'est pas exactement...[…] ce que je veux, c'est le nombre de millilitres avec t'sais 200, c'est pour 4 personnes, si [pointe 600 ml] ...Hein! [autre état de surprise]. 200, c'est pour 4, hein? non, c'est 12, c'est 12... [change pour 3 X 4 = 12 personnes au lieu de 2 X 4]»

Julien illustre une sensibilité à la contradiction, étant sensible aux relations entre les nombres et au fait qu’il obtient 600 ml en multipliant 200 ml par 3, et que ce 200 ml est pour 4 personnes. Ce deuxième état de surprise pointe la cause de la contradiction. Ce retour indique un insight (200 ml pour 4 personnes) qui favorise un changement de point de vue et choisir de multiplier le nombre de personnes par trois. La tentative de dépassement se poursuit par la recherche de la cause de sa contradiction, qu’il ne peut toutefois identifier.

« C'est à cause que, là je fais fois tout fois 2 ( en fait x + 2x selon les traces), pis là, je fais pas fois deux encore, faut genre que je rajoute deux...vu que j'ai pas rajouté un entier? Hein? Je suis pas sûr. Non, non...c'est compliqué mon affaire...[moment d'arrêt et change pour fois 3]. Je vais mettre fois 3 pis je suis pas sûr si c'est la bonne réponse, mais c'est pas grave ».

Julien ne semble pas en mesure de rejeter la source de la contradiction (2x), ni changer son point de vue. Il ne peut pas voir que x + 2x = 3x, pour dépasser la contradiction. Il continuera de douter de sa réponse. Grâce aux nombreux allers-retours entre faire fois 2 et faire fois 3 pour déterminer le nombre de personnes pouvant gouter le mélange, nous observons cette sensibilité à la contradiction, une contradiction qui se construit à partir du calcul des quantités en millilitres, la recherche du calcul pertinent pour le nombre de personnes et les tentatives de dépassement. Cet exemple illustre d'ailleurs l’importance, pour dépasser la contradiction, d’identifier la source de cette contradiction. Ce qui n’est pas le cas de Julien. La tentative de dépassement exprime un contrôle sur la contradiction qui, cette fois, n’aboutit pas.

4.2.2.3 Un dépassement de la contradiction

Un élève sensible à un résultat qui lui semble contradictoire entreprend généralement une réflexion à cet effet. Nos observations permettent de constater que cette réflexion peut prendre la forme d’une vérification du travail effectué, une composante développée à la section 4.2.5. D’autres observations permettent de constater que l’élève peut plutôt porter un regard critique sur ce résultat, par un retour au problème et aux calculs effectués tel que présenté au point précédent. Nous remarquons aussi que cette réflexion peut reposer sur l’identification de la contradiction et d’en comprendre la source pour être en mesure de dépasser la contradiction.

Julien explicite un dépassement de la contradiction pour le problème Tartes. Au départ, il ajoute + 3 dollars à 16 dollars pour un total de 19 dollars. Mais pendant qu’il raconte comment il a fait pour résoudre, il change sa réponse. Au point 2, il efface + 3 dollars et le remplace par + 4 dollars pour un total de 20 dollars.

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Figure 31: Traces écrites de Julien pour le problème Tartes

Julien: « Je fais mes 15 divisés par 6 CH: Qu'est-ce que c'est les 15 ?

Julien: ben, mes 15 kilos divisés par 6 pour savoir je vais avoir besoin de combien de kilos, même si ça donne pas… [un nombre entier]... Fait que je sais que je peux en avoir 2 kilos [voulant dire 2 fois 6 kilos], 12 kilos, fait que il en reste 3, ben c'est la moitié [de 6 kilos]...hein! Non, là, je fais plus 4 [remplace +3 par +4 ], je fais plus quatre vu que c'est la moitié...vu que c'est la moitié, je ferai plus quatre, fait que ça me donnerait 20. Fait que ça [3], c'est la moitié de ça [6]...trois kilos, c'est la moitié de 6, pis quatre, c'est la moitié de huit. Fait que trois kilos, ça doit être logiquement ça [4$]. » (Julien, Tartes)

Julien remarque une contradiction dans le choix des calculs. Ensuite, il prend un recul sur l’ajout de 3 dollars, il n’a pas établi les bonnes relations entre les nombres pour ce calcul. Julien, explicite un travail de restructuration des relations entre les nombres « trois kilos, c'est la moitié de 6, pis quatre, c'est la moitié de huit. Fait que trois kilos, ça doit être logiquement ça [4$] ». Nous observons qu’il est en mesure d’identifier la source de la contradiction, qu’il explicite par la réponse suivante.

Figure 32 : Réponse de Julien à la question "Es-tu d'accord avec cette réponse" (problème Tartes)

Ce travail de restructuration semble traduire la prise en compte d’une propriété du problème (3 kilos étant la moitié de 6 kilos), comme source de remaniement de la structuration, un changement de point de vue (Clément, 2009). Cet exemple permet aussi d’observer dans quelle mesure les opérations viennent se greffer à la structuration d’un problème pour compléter sa représentation, soit l'opérationnalisation au sens de Julo (1995).

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Les deux exemples de Julien, la tentative de dépassement pour le problème Punch et le dépassement pour le problème Tartes pointent l’élément central au dépassement, celui d’être en mesure d’identifier la source de la contradiction. L’identification de la source de la contradiction est essentielle au refus du résultat et au besoin de reconstruire (dépasser) à partir d’un nouveau point de vue. En effet, lorsque l’élève remarque une contradiction, son dépassement nécessite d’abord qu’il réfléchisse à cette contradiction, puis qu’il entreprenne une action qui permette de dépasser cette contradiction. Dans le cas contraire, l'élève demeure dans la contradiction, comme en témoignent les exemples de la section suivante.

4.2.2.4 Des écarts dans la mobilisation du dépassement de la contradiction

Nous avons relevé plusieurs cas de figure parmi les exemples d’une sensibilité à la contradiction où les élèves n’arrivent pas à dépasser la contradiction et demeurent dans cet état de contradiction. Entre autres, Louis explicite un blocage, suite à une contradiction dans les opérations lors du problème Fête. Avec ses calculs, il obtient 120 minutes (40 minutes fois 3) comme temps nécessaire à la préparation de la même quantité de sacs. Puis il essaie un autre calcul et il obtient 90 minutes (120-30 = 90) « Là, je suis comme bloqué. C'est pas normal que...quand y'en a quatre, quand y'en a trois...t'sais quand y'en a quatre, ça devrait aller plus vite encore parce que ça travaille une fois plus que quand ils sont trois ». Louis rejette ces deux résultats, car ils viennent en contradiction avec son raisonnement qualitatif « ça devrait aller plus vite encore parce que ça travaille une fois plus que quand ils sont trois ». Par contre, bien que Louis identifie une contradiction, qu’il effectue un retour au problème et qu’il tente d'autres calculs, il demeure bloqué. À notre avis, Louis ne peut identifier la source de cette contradiction et voir autrement les relations entre les nombres. Identifier la source de la contradiction semble nécessaire pour changer de point de vue, pour opérationnaliser le fait que « ça travaille une fois plus que quand ils sont trois ».

De son côté, Béatrice tente de trouver une relation multiplicative commune aux nouvelles quantités obtenues en millilitres, relation qu’elle pourrait maintenant appliquer au nombre de personnes.

« Ben, parce que ici, pour les personnes, il y en a que c'est le double comme ici [indique les 200 ml de jus d'orange qui deviennent 400 ml], mais là, c'est comme pas le double [indique les 300 ml de jus d'ananas qui deviennent 500 ml et les 150 ml de jus de pêche qui deviennent 350 ml], fait que peut-être que c'est huit [personnes], peut-être que c'est 6, peut-être que c'est 5, je sais pas... » (Béatrice, Punch)

Béatrice montre qu’elle est sensible au fait que la relation entre les millilitres n’est pas constante « c'est le double comme ici, mais là, c'est comme pas le double ». Cette observation lui semble contradictoire. Néanmoins, Béatrice n’entreprend pas d’autres actions pouvant contribuer à dépasser cette contradiction. L'exemple illustre qu’elle n’exerce pas de recul ni un regard critique pouvant permettre l’identification de la source de cette contradiction. Elle ne peut donc poursuivre pour trouver le nombre de personnes et laisse simplement cette partie du problème en suspens, sans tentative de dépassement.

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En général, nous remarquons deux écarts qui expliquent pourquoi des élèves ne peuvent dépasser la contradiction. Soit qu’ils ne peuvent identifier la source de la contradiction en tentant de la dépasser, soit qu’ils ne s’engagent pas activement dans une tentative de dépassement par une réflexion sur la source de cette contradiction. Ces exemples permettent d’observer que la capacité à dépasser la contradiction repose sur l’importance d’identifier sa source et reconstruire à partir d’un nouveau point de vue. La flexibilité cognitive (Clément, 2009) chez l’élève serait un autre élément important à considérer lors du dépassement. En effet, lorsque vient le moment de s’adapter à de nouvelles situations, la flexibilité cognitive favorise une réorientation de l'attention vers des propriétés qui n’étaient jusqu’alors pas au centre de cette attention.

4.2.2.5 Retour sur les observations effectuées lors de la sensibilité à la contradiction et son dépassement

Les résultats permettent d’observer que la sensibilité à la contradiction est un état de veille sur la résolution. De manière générale, on remarque chez les élèves que la sensibilité à la contradiction porte sur les erreurs qu’ils ont commises dans les opérations ou lors du choix des opérations, un état de surveillance sur ce qui est attendu. Si une contradiction est relevée, celle-ci indique à l’élève que son travail lui semble incohérent ou incompatible. Relever une contradiction peut donc mener l’élève à un conflit cognitif entre le point de vue qu’il a du problème et ce qu’il observe à partir des résultats, à se questionner et se remettre en doute.

Tandis que le dépassement de la contradiction est un contrôle sur cette contradiction. Pour ce faire, l'élève tente d’identifier plus clairement et de comprendre cette contradiction en cherchant sa source. Ce contrôle mène l’élève à accepter ou refuser la démarche ou le résultat obtenu. Nous avons aussi observé chez les élèves un changement de point de vue suite à l’identification de la source de la contradiction. Parfois, ces élèves n’ont pas à première vue pris en considération un élément du problème. L’identification de la source de la contradiction est donc une action centrale à son dépassement, puisque cette action témoigne d’une prise de distance par rapport à la tâche qui vise à retrouver l’équilibre comme le soulignent Saboya, Bednarz, et Hitt (2015). Précisons que le fait qu’un élève dépasse la contradiction et retrouve l’équilibre est une manifestation de contrôle sur les opérations qui ne garantit toutefois pas la réussite du problème.

Nous constatons aussi qu’il y a plusieurs possibilités à envisager suite au constat d’une contradiction. La première est qu’après réflexion, l’élève met fin à la contradiction, car il accepte le résultat obtenu et poursuit la résolution. Dans le cas contraire, l’élève est en contradiction. Tel qu’explicité, l’élève pourrait être en mesure de contrôler cette contradiction par un dépassement. Les exemples appuient l’importance, en résolution de problème, de la flexibilité cognitive (Clément, 2009) pour favoriser un changement de point de vue sur le problème mathématique et sa représentation.

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Nous avons aussi observé quelques écarts qui font en sorte que l’élève demeure dans l’impasse. Des élèves n’arrivent pas à identifier la cause de la contradiction ou n’exercent pas un contrôle sur cette contradiction.