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2.2 Contrôle exercé lors de la résolution de problèmes mathématiques au primaire:

2.2.4 Le contrôle restreignant

Le contrôle structural et opérationnel s’exerce par un engagement réfléchi sur le déroulement de la résolution, les moyens mobilisés étant considérés pertinents du point de vue de l’élève. Dans la mesure où cette thèse vise à documenter et à comprendre les prises de décision des élèves lors de la résolution de problèmes, nous proposons d’élargir ce cadre conceptuel à ce que nous nommons le contrôle restreignant. Ce contrôle traduit plutôt un engagement basé sur des croyances qui viennent restreindre l’activité intellectuelle nécessaire au processus de résolution.

Dans son livre Mathematical Problem Solving, Schoenfeld (1985) s’appuie sur plusieurs recherches pour mettre en évidence que les prises de décision en résolution de problèmes sont régulièrement effectuées de manière dite systématique et par une pensée qu’il dit non rationnelle. Ce qu’il nomme un empirisme naïf regroupe les prises de décision découlant de croyances ou reposant sur des convictions informelles de la vie quotidienne que les individus (et les élèves) transposent inadéquatement pour un problème. Cette naïveté traduirait, de notre point de vue, un manque de regard critique de la part de l’élève envers la légitimité de ses croyances. À titre

29 À cet effet, l’analyse des résultats présente des écarts répertoriés chez les élèves lors de la mobilisation des composantes

des contrôles structural et opérationnel (sections 4.1.3, 4.2.1.5, 4.2.2.4, 4.2.3.1, 4.2.4.1 et 4.2.5.3). Les indicateurs obtenus sont une retombée de cette thèse discutée au chapitre 5 dans les sections 5.1.1 et 5.1.2.. Ces indicateurs sont aussi présentés dans la grille d'analyse présentée à l'annexe 8.

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d'exemple de croyance, citons celle où un problème mathématique ne peut être résolu que d'une seule manière. Schoenfeld fait aussi état d’autres croyances, telles qu’un problème mathématique doit se résoudre en moins de 10 minutes ou qu’il n’y a que les génies qui sont en mesure de chercher et de découvrir les mathématiques. Le système des croyances d’un élève regroupe celles qu’il a bâties pour les mathématiques ou la résolution de problèmes. Selon Schoenfeld (1985), ce système des croyances traduit la manière de voir les mathématiques et détermine les manières d’interagir avec ce domaine.

« one’s mathematical world view, the perspective with which one approaches mathematics and mathematical tasks. One’s beliefs about mathematics can determine how one chooses to approach a problem, which techniques will be used or avoided, how long and how hard one will work on it, and so on. Beliefs establish the context within which resources, heuristics, and control operate» (1985, p.45).

L'auteur indique que les croyances d’un individu face aux mathématiques ont une incidence envers le choix des techniques à adopter et les efforts à fournir. Elles établissent même le contexte par lequel certaines ressources, les euristiques et le contrôle seront déployés. Ce qui laisse entendre que des habitudes, conduites et attentes envers la résolution relèvent d'une certaine manière des croyances développées par l’élève. Ces croyances, sans qu’elles soient explicites ou conscientes à l’élève, peuvent aussi avoir un effet sur le contrôle des ressources nécessaires au processus de résolution. « People’s cognition is shaped by their belief systems, which set the psychological context within which their more « purely cognitive30 » resources are accessed and

controlled » (1985, p.146).

De Cortes et Verschaffel (2008) abondent dans le même sens à propos du rôle des croyances lors de la résolution de problèmes « les croyances en ce qui concerne les mathématiques ont une forte influence tant sur les démarches déployées que sur les efforts consentis dans l'apprentissage des mathématiques et dans l’accomplissement des tâches problématiques » (p.30). Dans le cas de croyances naïves ou incorrectes, elles peuvent même amener les élèves à inhiber une démarche ou les efforts dans une approche de la résolution de problèmes. Nous pouvons faire allusion aux exemples où les élèves se désengagent de la vérification, croyant que c’est la responsabilité de l’enseignant (Chalancon, Coppé, et Pascal, 2002; Rhéaume et Oliveira, 2015) ou parce que la réponse à une question mathématique ou à un problème est vraie quand elle a été approuvée par l’autorité d’un professeur (De Corte, 2012). Toujours selon De Corte et Verschaffel (2008), il y a des croyances de diverses natures : celles de l’élève à propos de son apprentissage et ses résolutions de problèmes mathématiques (objectif personnel, auto-efficacité, valeur de la tâche, contrôle à mobiliser); celles qui relèvent du contexte social dans lequel les activités mathématiques prennent place en classe (interprétation des normes

30 Nous précisons ce qu’entend Schoenfeld par « purely cognitive ». C’est une performance intellectuelle qui mobilise un regard critique

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sociales et du comportement à adopter); puis les croyances associées aux mathématiques en général (faire des mathématiques, c’est appliquer des règles). De notre point de vue, ces croyances peuvent se traduire chez les élèves du primaire par des conduites à adopter ou des attentes à rencontrer lors de la résolution de problèmes. De Corte (2012) explique ces croyances en s’appuyant sur de nombreuses études portant sur la résolution de problèmes verbaux en classe. Il indique que les élèves s’accoutument à une version atrophiée de la résolution en faisant notamment référence aux « règles du jeu de résoudre ». Mettre en jeu ces règles tend à résoudre de manière superficielle et ferait écho à l’expérimentation de la résolution de problèmes en classe.

« L’hypothèse générale est que ce phénomène résulte de processus tacites, liés à l’immersion régulière dans une culture propre aux leçons de mathématiques. Dit autrement, cette évolution serait tributaire de la perception et de l’interprétation par les élèves du contrat didactique (Brousseau, 1997) ou des normes sociomathématiques (Yackel et Cobb, 1996) qui régissent – mais principalement de façon implicite –comment il est convenu de se comporter, de réfléchir et de communiquer avec l’enseignant dès lors que l’on fait des mathématiques. Plus précisément, cette enculturation mathématique serait liée, d’une part, à la nature des problèmes soumis aux élèves et, d’autre part, à la façon dont les enseignants conçoivent et traitent ces problèmes. » (De Corte, 2012 p.5)

Cette hypothèse est aussi en accord avec les travaux de Schoenfeld (1985, 1988) où l’auteur indique que les croyances d’un élève sont le résultat de l’abstraction qu’il s’est faite de ses expériences mathématiques en classe et de l’enseignement reçu. Ce que Bautier-Castaing et Robert (1988) admettent comme étant des représentations intériorisées, concerne les connaissances qu’a un sujet à propos de son fonctionnement, habiletés et activités mathématiques.

« Il s’agirait plus précisément des représentations de l'activité mathématique, des conceptions que l’élève se fait de la façon dont on résout des exercices et des problèmes et de l’apprentissage des mathématiques, ce serait ces différentes représentations qui différencieraient les élèves dans leur traitement des mathématiques. » (p.17)

À partir des lectures effectuées, nous concluons que des croyances envers la résolution de problèmes positionnent l’élève face à la tâche. Elles influencent leur manière de s‘engager dans la résolution, viennent restreindre le processus de résolution et guident certaines actions au moment de résoudre.

Dans le cadre de cette thèse, nous désignons sous le terme « croyances » l’ensemble des conceptions, attentes scolaires, habitudes, conduites et règles superficielles que l’élève a développées au sujet des mathématiques et plus particulièrement, au sujet de la résolution de problèmes. Dans la mesure où résoudre est une activité contrôlée, nous proposons l’idée générale que ces croyances témoignent d’un contrôle dans la résolution, celui- ci d’une nature différente d’un contrôle structural ou opérationnel. Le contrôle restreignant s’appuie sur des croyances qui ne font pas l’objet d’un regard critique de la part de l’élève, mais contrôlent des décisions. Elles indiquent plutôt un engagement naïf et statique de la part de l’élève, ancré sur des facteurs externes, les règles

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et techniques du jeu de résoudre véhiculées en classe. Cette proposition demeure provisoire dans la mesure où les résultats viendront infirmer ou confirmer la mise en place d’un contrôle restreignant par les élèves. Les indicateurs qui ressortent de ce cadre conceptuel et qui ont été observés lors de l’analyse des résultats sont présentés dans le tableau 9.

Indicateurs d’un contrôle restreignant Indicateurs Description

Les conduites : mise en place de conduites par l’élève qui découlent du système de croyances.

Suivre une démarche L'élève indique que résoudre un problème, c’est suivre une démarche rigide, spécifique et précise, par étapes

Trouver une réponse L'élève indique qu’un problème est résolu dès qu’il obtient une réponse

Faire des calculs L'élève indique que résoudre un problème, c’est principalement faire des calculs

Refaire les calculs pour débloquer L’élève dit refaire les mêmes calculs pour essayer de débloquer Relire le problème L’élève dit relire plusieurs fois le problème pour essayer de débloquer Prise en charge de la vérification par

l’enseignant Selon le système de croyances de l’élève, c’est la responsabilité de l’enseignant de prendre en charge la vérification

Les attentes scolaires : Pour résoudre, les modalités mobilisées tentent avant tout de répondre aux règles,

attentes et obligations que l’élève associe au contrat didactique lié à la résolution de problèmes en classe Souligner les données L’élève doit ou croit devoir souligner pour résoudre

Relire le problème ou refaire les

calculs En classe, pour vérifier, l’élève doit relire ou refaire les calculs Faire la démarche L’élève doit ou croit devoir suivre une démarche pour résoudre. La

mobilisation de la démarche est justifiée par l’élève comme faisant partie des règles du contrat didactique. Le choix de la procédure repose sur la valeur prescriptive qui lui est associée.

Tableau 9: Indicateurs du contrôle restreignant