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4.2 La mobilisation des composantes d’un contrôle opérationnel

4.2.3 Le discernement

Le cadre conceptuel a permis de cibler que le discernement traduit une prise de distance quant au choix d’une procédure. Ce discernement indique, entre autres, la capacité de l’élève à faire un lien explicite entre les opérations et les relations établies. Il peut aussi indiquer la capacité de choisir parmi quelques possibilités une stratégie qu’il juge appropriée en fonction d’une ou des caractéristiques identifiées dans la situation.

Plusieurs exemples reposent sur des liens explicites que font les élèves entre une opération et une relation qu’ils ont identifiée. Par exemple, Maryse identifie la relation « fois 3 » comme étant une caractéristique du problème.

« En fait, je savais que je devais multiplier par 3 parce que 100 fois 3 égale 300 ml. Fait que là, j'ai fait 3 fois partout [pour tous les ingrédients], pis là vu qu'il fallait aussi savoir combien de personnes il fallait, ben je me suis dit que vu que la première recette, ça donnait pour quatre, ben il fallait que je fasse fois 3 pour trouver la réponse [12]» (Maryse, Punch)

La relation identifiée, fois 3, justifie l'opération de multiplier par 3 les quantités puis le nombre de personnes pouvant gouter le mélange. Cet exemple de discernement illustre que l’élève examine si la procédure est cohérente avec sa représentation du problème. Il est donc à noter que la mobilisation du discernement envers la procédure privilégiée est en lien direct avec la représentation que s’est fait l’élève de la situation. Ce qui laisse entendre que les justifications basées sur une représentation erronée indiquent tout de même une prise de distance portant sur la cohérence entre la procédure privilégiée et la représentation qu’a l’élève du problème. Les nombreux exemples de résolution du problème Fête vont en ce sens, comme en témoigne Renaud.

CH: Comment tu as fait pour choisir 120 divisé par 3?

Renaud: Ben parce qu'ils disent 120 minutes pour une quantité, ça prend 120 minutes. Ils ont 120 minutes en fait pour eux. Pis divisés par 3 parce qu'ils sont 3 personnes pis je voulais savoir combien de temps par personne ça faisait.

Nous constatons que l’élève peut contrôler son activité mathématique par la mobilisation de la composante discernement, en se basant toutefois sur une fausse prémisse. L’élève exerce tout de même un regard critique, soit de s’assurer de faire correspondre les stratégies privilégiées avec la représentation qu’il a du problème, sans qu’il soit conscient que celle-ci est erronée. Cette représentation erronée relève alors du contrôle structural. Le discernement peut, par ailleurs, porter spécifiquement sur le choix d’une opération. Il peut guider l’élève à choisir parmi les possibilités qu’il connait, l'opération cohérente avec les variables du problème.

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Sarah: Ben...parce que il demandait de trouver le nombre de minutes, pis je pouvais pas additionner ou faire un moins, avec les informations que j'avais, fait que j'ai fait un divisé. Pis j'ai fait la même chose pour lui, pour que les réponses soient...pas pareilles, mais de la même façon. » (Sarah, Fête)

Sarah discerne le fait qu'elle devait choisir la division du nombre total de minutes pour trouver le nombre de minutes par personne. Ce discernement correspond à sa représentation du problème. Elle discerne aussi le fait que pour être cohérente, elle doit appliquer ce même calcul aux deux variables, 3 personnes et 4 personnes.

Figure 32:Traces écrites de Sarah pour le problème Fête

Par ailleurs, le discernement peut amener des élèves à rejeter une opération inappropriée. C’est le cas de Camille qui rejette lors du problème Fête l’opération 120 divisé par 4. Elle rejette cette opération après une première réflexion « parce que pour les 3 personnes, ça marchera pas, c’est comme pas le même nombre de personnes ».

Elle poursuit ensuite sa réflexion en mentionnant que si elle fait 120 divisé par 4, puis qu’elle multiplie le produit (30) par 3 personnes, cette stratégie ne fonctionne pas « peut-être que ça marcherait, mais non, ça prendrait moins de temps [que 120 minutes] ». Ce discernement est guidé par une anticipation du résultat qu’elle doit obtenir. Camille considère des variables du problème, des caractéristiques au sens de Clément (2009), pour lesquelles leur codage favorise un choix adapté à la situation ou du moins, dans le cas de Camille, la reconnaissance des limites d’une procédure avant son rejet.

Envisager différents moyens pour résoudre est une marque de flexibilité (Clément, 2009). Nous observons que cette flexibilité mène parfois à la mobilisation du discernement, lorsque les élèves comparent et s’interrogent à savoir laquelle des procédures envisagées devrait être privilégiée. Notons l’exemple de Julien.

148 CH: ok, donc tu vois deux façons…

Julien: Ben je suis pas sûr. Ben, il y a une manière...ben moi je crois que lui, il l'a bon [l'élève fictif]...heu...mais je suis pas sûr à cause que 8 dollars, 6 kilos pour 8 dollars, ça fait...(Julien,

Tartes).

À ce moment, nous observons que Julien examine et compare chacune des possibilités, la sienne (16 + 4 = 20$) et celle de l’élève fictif (16 + 3 = 19 $), tout en faisant les liens avec sa représentation du problème. Il justifie le choix d’ajouter 4 dollars pour les 3 kilos manquants au 15 kilos « Un reste de 3, c'est la moitié de 6 kilos. Ça fait que si c'est la moitié, logiquement, 8, ça devrait être la moitié, fait que ça donnerait logiquement, ça donnerait 4 » (Julien, Tartes). Cette justification de Julien illustre donc un discernement qui s’appuie d’abord sur la comparaison de procédures, puis sur un choix parmi deux possibilités qui s’articulent avec sa représentation du problème. Julien parle de discernement en utilisant le terme logique.

4.2.3.1 Quelques écarts lors de la mobilisation de la composante discernement

Nous observons par ailleurs des écarts liés à la mobilisation de la composante discernement. Par exemple, des élèves vont hésiter entre deux procédures, dont le choix est finalement fait au hasard, comme en témoigne Judith, pour le problème Punch.

Judith: Ben je me suis dit heu...est-ce que je fais 4 x 3 ou 4 + 3 ?

CH: Comment tu as fait pour décider que tu préfères faire un plus ou un fois? Judith: Je sais pas là...j'ai vraiment fait ça au hasard...

Cet exemple illustre le fait de ne pas exercer de regard critique face à la procédure ni d’effectuer un retour à la représentation du problème.

Un autre écart concerne le fait que d’autres élèves ne sont pas en mesure de justifier leur choix « je sais pas, je pense que c’est ça, mais je suis pas sûr… » (Béatrice, Tartes). Certains autres ne sont pas en mesure de choisir une procédure plutôt qu’une autre. Dans ce cas, les élèves demeurent indécis au moment de donner une réponse ou abandonnent. Charles se retrouve dans cette situation. La résolution du problème Fête est marquée par un long moment d’arrêt duquel Charles conclut qu’il hésite entre deux réponses, 150 et 160.

Charles: J'hésite entre 150 minutes [120 + 30 = 150 minutes] pis 160 minutes [40 minutes fois 4 personnes = 120 minute]. Mais, je sais pas pourquoi...

CH: Qu'est-ce que tu as fait ici ?

Charles: Ben 40 minutes pour 4 personnes. En fait, ça marche pas ce que je dis...40 minutes pour 4 personnes, ça marche pas. 30 minutes pour 3 personnes...Je sais pas pourquoi j'ai écrit ça. (Charles, Fête)

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Charles semble perdre de vue les liens entre les relations identifiées et les opérations choisies. Il avoue qu’il ne peut se décider et qu’il est bloqué. Charles semble très flexible et il manipule les nombres de différentes façons pour chercher une solution. Malgré cela, il ne semble pas être en mesure de mobiliser un discernement pour rattacher une représentation à l’un des calculs. Dans les trois cas de figure, ces élèves ne semblent pas faire un choix éclairé de procédure.

4.2.3.2 Retour sur les observations effectuées pour la composante discernement

Pour les élèves rencontrés, les résultats nous indiquent que le discernement porte principalement sur l’identification du lien entre la procédure choisie et la représentation qu’a l’élève de la situation. Cette justification fait référence à la cohérence que peut avoir une procédure avec une représentation, qui mène l’élève à accepter ou refuser cette procédure.

De plus, certains élèves présentent une flexibilité par la considération de plus d’une manière de faire un problème. Cette flexibilité les pousse à prendre du recul, comparer et statuer sur la procédure à privilégier. Les exemples rejoignent les propos de Clément (2009) où des élèves s’engagent spontanément dans l'analyse des différentes propriétés de la situation ou envisagent plusieurs points de vue avant de choisir la stratégie la plus appropriée.

Nous constatons donc que des élèves de 3e cycle sont en mesure de choisir une procédure avec discernement,

par un regard critique quant au choix d’une procédure parmi d’autres, par l’analyse de leur pertinence ou de leur efficience. Ce choix devient un choix réfléchi. Un fait intéressant à noter est qu’aucun élève rencontré choisit une procédure parce qu’elle est jugée comme étant la plus efficace, tel que proposé par la recherche. Par ailleurs, nous retenons que prendre en considération sa représentation du problème ou l’espace problème, les contraintes et caractéristiques, devient un enjeu pour la mobilisation de la composante discernement chez les élèves rencontrés.