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3.2 La collecte de données et son déroulement

3.2.3 L’entretien d’explicitation

Étant donné notre objectif de recherche, documenter et de comprendre les prises de décision des élèves du

primaire dans l'action de résoudre un problème mathématique, nous estimons essentiel de faire les entretiens

avec les élèves dans un cadre de pratique bien précis, celui de l’entretien d’explicitation (Vermersch, 2010). L’entretien d’explicitation est une technique d’entretien judicieuse dans la mesure où elle répond au même besoin initialement identifié par Vermersch « où l’intérêt pour une connaissance précise des démarches intellectuelles individuelles, mises en œuvre dans la réalisation d’une tâche, s’est imposé… » (Vermersch, 2010, p. 26). En ce qui nous concerne, l’entretien d’explicitation a comme objectif d’« aider l’intervieweur à s’informer36 » sur le faire de l’interviewé (l'élève) pour avoir accès aux prises de décision (démarches

intellectuelles) pendant la résolution (réalisation d’une tâche).

Pour Vermersch, « l’action est une source privilégiée d’information sur les aspects fonctionnels de la cognition » (Vermersch, 2010, p. 32). L’entretien d’explicitation vise à obtenir une description détaillée de l’action qui favorise l'accès à une part d’implicite (les savoirs en acte, l’action pré-réfléchie). Cette part d’implicite vient en complément avec les observables et les traces écrites, pour corroborer les faits.

« ce déroulement de l’action est la seule source d’inférences fiables pour mettre en évidence les raisonnements effectivement mis en œuvre (différents de ceux adoptés hors de l’engagement dans l’action), pour identifier les buts réellement poursuivis (souvent distincts de ce que l’on croit poursuivre), pour repérer les savoirs théoriques effectivement utilisés dans la pratique (souvent différents de ceux maitrisés en question de cours), pour cerner les représentations ou les pré- conceptions sources de difficultés » (Vermersch, 2010, p.18)

Fait à noter que Vermersch qualifie l’action comme pré-réfléchie. En fait, l’action est une connaissance autonome, car il n’est pas nécessaire que le sujet prenne conscience des moyens qu’il y déploie pour la réussir, ni indispensable qu’il comprenne consciemment pourquoi. C’est en ce sens que l’action est pré-réfléchie et que c’est par la description de l’action que la chercheure peut avoir accès à cette part d’implicite chez l’élève. La figure 19 explique dans quelle mesure il est possible d’inférer des informations à partir de la description de l'action.

36 Vermersch identifie 3 buts possibles à l’entretien d’explicitation, aider l’intervieweur à s’informer, aider l’élève à s’auto-informer et

apprendre à l’élève à s’auto-informer. Ces trois buts ne sont pas du même ordre et impliquent une progression vers la prise de conscience. En cohérence avec notre objectif de recherche, seul le premier niveau sera abordé dans le cadre de cette thèse.

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Figure 19 : Le système des informations satellites de l'action vécue. La logique horizontale: relation de principe et relation de fait par rapport au procédural (Vermersch, 2010, p.50)

Entre autres, la dimension procédurale de l'action devient l’information essentielle pour comprendre comment un sujet s’y prend pour réaliser une tâche. À partir de la dimension procédurale de l’action, il est possible de faire des inférences sur les connaissances, savoirs, buts ou intentions mis en cause pour une tâche spécifique. L’un des principaux points à soulever de l’entretien d’explicitation est l’importance de la formulation des questions. Il est essentiel que les questions soient formulées de manière à respecter certains critères, dont :

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• pour une action singulière, pour une tâche réelle et spécifiée : la tâche doit déjà avoir été réalisée et les verbalisations doivent porter sur cette tâche en particulier ;

• par une position de parole incarnée : l’élève est « en relation vivante avec ce dont il parle, au moment où il en parle » (p.199)

Le protocole d’entretien d’explicitation consiste à faire décrire (raconter) par l’élève sa démarche de résolution de façon suffisante pour comprendre les démarches intellectuelles de celui-ci. La technique consiste à formuler des questions portant sur la description des gestes posés (le témoin du pré-réfléchi), ou alors les propriétés de cette action. Ces questions doivent porter sur une tâche spécifique (dans notre cas, un problème à la fois). Puisque nous sommes dans une position où l’intervieweur cherche à s’informer sur le faire, nous devons prioriser le quoi et le comment tout en évitant d’induire le conscientisé par la formulation du pourquoi ou de porter un jugement. Nous avons bâti un protocole37, comportant une présélection de plusieurs questions

favorisant l’élève à décrire son action. Par exemple : Raconte-moi comment tu as fait pour résoudre. Comment savais-tu que tu avais terminé de résoudre ? Par quoi as-tu commencé ?

Tantôt, j’ai remarqué que tu t’es arrêté lorsque (décrire le moment). Qu’est-ce qui s’est passé ? Juste après, qu’est-ce que tu as fait ?

Raconte-moi ce qui ne fonctionne pas ? Comment as-tu choisi ta manière de faire ?

Au cours des entretiens, comprendre les démarches intellectuelles est le critère à la base du questionnement. Autrement dit, la chercheure peut s’arrêter, poursuivre, choisir de nouvelles questions en fonction de l’information obtenue dans le discours de l’élève. Le choix des questions demeure flexible afin de poursuivre l’entretien vers des pistes jugées intéressantes.

Un autre point déterminant est l’établissement et le renouvèlement d’un contrat de communication avec le sujet. L’adhésion du sujet est un aspect important (éthiquement et techniquement) pour mener un échange fructueux. C’est pourquoi le protocole comporte, dès le début de l’entretien, une formulation du contrat destinée à l’élève. En cours d’entretien, lorsqu’il était utile d’avoir certaines précisions, le contrat pouvait être réitéré grâce à la formulation de questions semblables à « je n’ai pas retenu tout ce que tu viens de me dire. Est-ce que tu serais

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d’accord pour me le raconter à nouveau? » ou bien « tout à l’heure, j’ai remarqué que tu avais …(décrire la situation). Est-ce que tu peux m’en dire plus ? ». Ces questions demeurent une occasion pour l’élève d’accepter ou de refuser d’aller plus loin.

Lors cette recherche, les captations vidéo servent principalement à enregistrer les verbalisations des élèves pour éventuellement en faire l’analyse. Les captations ne sont pas utilisées avec les élèves.

Cela dit, nous sommes conscientes que les élèves rencontrés sont en plein développement de leur potentiel de communication, dont la capacité à s’exprimer verbalement et que cette capacité peut avoir une incidence sur l’accès aux détails lors des entretiens d’explicitation. Comme le soulève Schoenfeld (1982), l’entrevue peut être une source de stress pour l’élève. Puisque les conditions nous semblaient moins familières qu’un questionnaire écrit, nous avons joint à l’entretien une autre technique que nous jugeons complémentaire et que nous nommons « je fais comme toi ». Pour ce faire, la chercheure propose de reproduire fidèlement la solution de l’élève sur une autre feuille, au fur et à mesure que l’élève lui raconte l’action. Cette façon de faire privilégie les échanges entre l’élève et la chercheure. Cette technique s’inspire de la pratique d’une enseignante du primaire rapportée par Vézina et Suurtamm (2008). Comme Vézina et Suurtamm (2008) le mentionnent, « cette méthode semble être efficace pour encourager les élèves à communiquer de façon très explicite la démarche utilisée, ce qui permet de la reproduire le plus fidèlement possible » (p.265). Cet appui facilite l’entrée dans l’entretien d’explicitation pour les élèves et favorise, de notre point de vue, les retours sur certains moments de la résolution.