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La maison d’une princesse du sang à la fin du XVIII e siècle

A. La spécificité de la maison d’Este-Conti

Entre 1759 et 1776, les modalités de recrutement des domestiques au service de Marie-Fortunée d’Este changent radicalement. Si en 1759, elle reçoit à son arrivée une maison déjà formée et dépendante de celle du comte de la Marche, elle peut choisir en 1776 de façon autonome ses domestiques. L’analyse de la composition de la maison princière permet de saisir dans quelle mesure la séparation induit des transformations dans le choix des domestiques. L’étude de la place des Italiens, demandés dès 1759 par Marie-Fortunée d’Este, ainsi que de la présence féminine interroge la spécificité de cette maison d’Este-Conti avant et après la séparation.

1) La maison constituée en 1759

En 1759, la famille Conti impose à Marie-Fortunée d’Este une suite où sont absents les Modénais. Ce procédé montre l’évolution des pratiques depuis le milieu du XVIIe siècle. Les princesses étrangères arrivent à la cour de France accompagnées de compatriotes. Quarante-quatre Italiens sont présents dans la maison de Marie de Médicis de 1600 à 1610.

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L.-S. MERCIER, op. cit., chap. 89 « Ameublement » ; Chap. 324 « légères observations » : « Tous les appartemens sont percés pour le conduit des sonnettes ; c'est une science à part. Telle femme sonne quand son mouchoir est tombé, afin qu’on le ramasse. ».

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Jean-Charles KRAFFT, Recueil d'architecture civile, contenant les plans, coupes et élévations des châteaux,

maisons de campagne et habitations rurales... situés aux environs de Paris et dans les départemens voisins,

Paris, Bance aîné, nouvelle édition 1829, 264 p. 101

Jacqueline SABATTIER, Figaro et son maître, les domestiques au XVIIIe siècle, Paris Perrin, 1984, 337 p. 102

Sara MAZA, Servants and masters in Eighteenth-century France, the uses of loyalty, Princeton University, 1983, 368 p., p. 303.

Anne d’Autriche est entourée d’une trentaine d’Espagnols. Toutefois, les effectifs des étrangers diminuent. En effet, ils sont soupçonnés d’appartenir à des réseaux d’espionnage, de diplomatie parallèle et d’avoir une influence néfaste sur les reines. Si Marie-Thérèse arrive en France avec une quarantaine de personnes, le roi exige immédiatement leur départ. Treize serviteurs demeurent mais l’usage qui impose à une nouvelle souveraine ou une future Fille de France de se séparer de sa maison d’origine dès son arrivée en France est alors établi103

. Au XVIIIe siècle, les maisons des princesses sont exclusivement françaises.

Cependant, dès son arrivée en France, Marie-Fortunée d’Este réclame à son père la présence de compatriotes et notamment d’Armand Brési chargé des affaires du duc de Modène dans différentes cours et de son confesseur italien104. Elle obtient peu après la présence de deux personnes italiennes auprès d’elle mais il ne semble pas que la deuxième personne soit le prêtre italien mais une de ses anciennes dames, Pia Marescotti, qui était à ses côtés lors de son départ vers la France en 1759105. La présence italienne semble s’étoffer. Avant 1776, la maison compte quatre compatriotes : Brési, Melle Marescotti et deux lectrices de la princesse, les sœurs Radighieri. On peut leur adjoindre la comtesse Josèphe Bagarotti qui fait partie de ses amies. Cette comtesse, fille d’Alexandre Bagarotti, colonel de cuirassiers au service de l’Empereur, est issue d’une famille originaire de Plaisance et de Crémone106. Protégée de l’impératrice qui lui octroie une pension de 1 500 florins avant son départ pour la France, elle vit dans l’entourage de Madame de Graffigny avant d’être la dame de compagnie de la princesse douairière de Conti. Elle appartient à l’entourage proche de la famille Conti ainsi qu’il est possible de le constater dans la peinture de Michel-Barthélémy Ollivier, Le thé à l’anglaise dans le salon des Quatre Glaces au Temple, de 1766 qui la représente chez le prince de Conti107

.

Ainsi, cinq personnes de son entourage sont d’origine italienne. Ce sont surtout des Modénais. Brési sert les intérêts de la maison d’Este. Pia Marescotti dont la famille est originaire de Bologne vit dans l’entourage de la cour de Modène. Les sœurs Radighieri sont originaires du duché.

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Jean-François DUBOST, « La Cour de France face aux étrangers : les Espagnols à la cour des Bourbons (1598-1715) », Les Cours d'Espagne et de France au XVIIe siècle, études réunies et présentées par Chantal

GRELL et Benoît PELLISTRANDI, Madrid, Casa de Velazquez, 2007, p. 149-169. 104

ASMo, Cancelleria ducale estero, Ambasciatori Agenti, corrispondenti estensi, Francia, 213, Boursier,lettre du 23 avril 1759.

105

ASMo, Cancelleria ducale estero, Ambasciatori Agenti, corrispondenti estensi, Francia, 215, Selvatico, 1759. 106

BNF, Richelieu, Manuscrits français, Chérin 12, Bagarotti. 107

Les frères Goncourt soulignent sa présence dans La femme au XVIIIe siècle à l’occasion de la description du

tableau : « N’oublions pas là-bas, auprès du guéridon, cette femme en robe de soie rayée de blanc et de cerise, Mlle Bagarotti, dont le prince de Conti payera les dettes. » (Ce n’est pas le prince de Conti qui éponge ses dettes mais Marie-Fortunée d’Este).

2) En 1776 : un choix plus libre

En 1776, la princesse peut choisir plus librement ses domestiques. Néanmoins, l’élément italien ne s’affirme guère et la princesse engage des domestiques qu’elle connaît ou qui ont une expérience de service auprès des Grands

La présence italienne diminue au moment de la séparation avec notamment le départ des deux lectrices qui vivent dans les années 1780 à Reggio et Modène. En 1788, Pia Marescotti meurt mais elle n’est pas remplacée par une Italienne. Cette inflexion souligne que la princesse semble s’être adaptée à la vie en France et que sa volonté d’être entourée de compatriotes en qui elle a confiance et qui parlent sa langue d’origine s’est estompée après trente ans de séjour en France. Cet exemple confirme l’idée que les aristocrates italiens ou d’origine italienne n’ont pas recours de façon exclusive à des compatriotes108. Toutefois, l’importance de la présence italienne est visible dans les fonctions occupées par les transalpins. En effet, les Italiens sont des personnes de confiance ou qui vivent dans l’intimité de la princesse. Tout d’abord, cette idée se vérifie par le fait que Marie-Fortunée d’Este réclame dès les premières semaines de sa présence en France un confesseur italien et un secrétaire. Le choix d’un compatriote pour confesseur est une pratique répandue. Marie Leszczynska choisit un Polonais, le père Labiszsinski son ancien directeur spirituel d’avant son mariage, pour se confesser dans sa langue natale109

. Si elle ne semble pas obtenir satisfaction pour le premier, le choix d’un secrétaire modénais est un signe fort qui montre qu’elle n’accorde sa confiance qu’à des compatriotes. Celle-ci est confirmée en 1776 quand Armand Brési devient le trésorier de la maison autonome. De même, les femmes italiennes autour de la princesse sont des figures de l’intimité telle Pia Marescotti sa femme de chambre-gouvernante.

En 1776, la princesse fait le choix de la continuité en engageant des domestiques qui étaient auparavant au service des Grands ou en reconduisant ses propres serviteurs. Tout d’abord, Ermanno Brési, le trésorier, a longtemps été au service du duc de Modène110

. Ensuite, quand l’abbé Contri111

, envoyé du duc de Modène en France, présente le nouveau contrôleur de bouche de la princesse de Conti, Antoine Ronzier, il précise qu’il « très habile, très entendu pour la table, il a été contrôleur de feu la duchesse de Parme »112

. Cette remarque

108

Jean-François DUBOST, La France italienne, XVIe-XVIIe siècle, Paris, Aubier, 1997, 524 p., p. 362. 109

W. NEWTON, op. cit., p. 247. 110

Voir le chapitre 3. 111

ASMo, Cancelleria ducale estero, Ambasciatori Agenti, corrispondenti estensi, Francia, 220, Abbé Contri, lettre du 5 février 1776.

112

Antoine Ronzier ou Roncier est en 1775 qualifié dans les archives du duché de Parme d’ancien aide de cuisine et bénéficie d’une pension de 3200 livres, Henri BEDARIDA, Parme et la France de 1748 à 1789, Genève, Slatkine Reprints, 1977, 645 p., p. 161.

souligne que le service dans une autre maison princière est un gage de qualité et qu’il existe un réseau de serviteurs gravitant autour des Grands et qui se placent par recommandation. De même, l’exemple de Claude Bligny valet de chambre de la comtesse de la Marche jusqu’à sa mort en 1768 est un autre exemple de ces dynasties familiales au service des princes. Cet homme marié à une femme de chambre de Marie-Fortunée d’Este113

est le cousin germain du valet de chambre barbier du roi, Alexandre Jean-Baptiste Bligny qui devient le tuteur des enfants du couple. Cet homme occupe une fonction prestigieuse dans l’intimité de la chambre du roi. Il sert le monarque de 1754 à 1774 afin de céder sa place à son fils Charles-Claude114

. Enfin, Jean Bast, avant d’être au service de la comtesse de la Marche, fut valet de chambre du duc et maréchal de Biron115. En 1776, la maison fondée par la princesse ne rompt pas complètement avec la maison Conti. Un grand nombre de serviteurs est reconduit de la maison de la comtesse de la Marche à celle de la princesse de Conti. D’autres appartiennent à la mouvance de la branche cadette des Bourbons. En effet, elle conserve des domestiques qui étaient à son service avant 1776. Sur les vingt serviteurs encore présents à l’hôtel du Lude en 1792116, quatre étaient au service de la princesse avant la séparation : Melle Picque, veuve Bligny puis Brési, entre en 1759, les trois frères Saint-Riquier en 1770, 1771 et 1772. En 1776, elle engage cinq domestiques qui appartenaient à l’écurie de la princesse douairière de Conti, décédée en juillet 1775117

.

La séparation ne se traduit pas par une recomposition de la maison princière. La continuité l’emporte notamment par la reconduction d’une partie de sa maison antérieure. Elle ne se sert pas de sa nouvelle autonomie pour renforcer la présence italienne ou augmenter le nombre de femmes qui demeurent minoritaires à son service.

3) La présence féminine

Seules huit femmes sont au service de la princesse. En effet, la masculinité est un trait de la domesticité d’Ancien Régime par opposition à la bonne à tout faire du XIXe siècle118

. L’importance numérique du personnel de la livrée traditionnellement masculine et gourmande en effectifs dans les maisons aristocratiques est une première explication mais surtout posséder une maison majoritairement masculine est un élément distinctif qui différencie la noblesse. Audiger propose le modèle d’une maison d’un grand seigneur où domine le nombre

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Qui épouse par la suite le trésorier en secondes noces. 114

W. NEWTON, La petite cour, …op. cit., p. 71. 115

Arch. nat., ET/XCIV/282, contrat de mariage Bast-Arroux, 23 mars 1757. 116

Arch. nat., T 1679, état des gagistes au 1er juillet 1792. 117

Arch. nat., ET/LXXXVIII/742, testament de la princesse douairière de Conti, 10 octobre 1774. 118

Anne MARTIN-FUGIER, La place des bonnes : la domesticité féminine à Paris en 1900, Paris, Perrin, 1979 (réed. 2004), 377 p.

d’hommes. Selon ce principe, les hommes majoritaire occupent les fonctions supérieures dans la hiérarchie de la domesticité.

Les femmes exercent des fonctions très spécifiques, sont exclues de bien des secteurs de la maison : il n’y a aucune femme ou fille affectée à la préparation des repas. Elles servent uniquement au sein de la suite aristocratique et dans le secteur de la Chambre. La princesse emploie quatre femmes de chambre, dont une femme de chambre-gouvernante jusqu’en 1788, une femme de charge et une femme de garde-robe chargées respectivement du linge de la maison et de la princesse. L’élément féminin domine la Chambre et cette présence est valorisée par des gages plus importants.

Les femmes présentes dans la maison princière occupent une place particulière et nouent une relation singulière avec la princesse. Ce sont des figures du quotidien, de la proximité. Leurs liens avec la princesse sont forts : la première femme de chambre, la veuve Brési, est à son service depuis 1759 ; des femmes de chambre sont ou la fille ou la sœur de la première femme de chambre ce qui renforce la cohésion du groupe. La princesse entretient ainsi des relations privilégiées avec cette famille.

L’autre femme de chambre, Melle Marescotti, occupe une position à part. Elle est aussi gouvernante de la princesse et bénéficie de sa confiance comme le rappelle l’abbé Contri : elle « connait mieux que personne les tempéraments de la princesse »119

. Il confie à son maître en évoquant une maladie de la gouvernante, que la princesse « l’aime beaucoup et avec raison, ayant beaucoup de religion, de mesure, de belles qualités et ayant un attachement le plus tendre et respectueux pour elle »120

. Une autre femme occupe une place singulière dans l’entourage de la princesse de Conti. Marie de Courson de la Ville-Hélio, mentionnée dans les comptes dès 1784121

sans rôle clairement défini dans la maison, devient sa dame de compagnie en 1788. La princesse lui verse une pension pour son logement avant de vivre à l’hôtel en 1786122

. Elle est présente au voyage de Bourbon-l’Archambault en 1787 où elle s’occupe de la comptabilité et du versement des gages. Mais surtout elle exerce une influence certaine sur la princesse dans le domaine religieux123

.

Plusieurs traits caractérisent la maison d’Este-Conti. La séparation de 1776 qui

119

ASMo, Cancelleria ducale estero, Ambasciatori Agenti, corrispondenti estensi, Francia, 221, abbé Contri, année 1781, lettre du 9 avril 1781.

120

ASMo, Cancelleria ducale estero, Ambasciatori Agenti, corrispondenti estensi, Francia, 221, Lettre du 26 juin 1780.

121

Arch. nat., R3/175, dépenses particulières 1784, pièce n°38, quittance pour 6 mois de loyer l’appartement occupé par Melle de Courson et reçue de la comtesse, 3 juillet 1784.

122

Arch. nat., R3/181, dépenses particulières 1786, pièce n°16, mémoire de peinture pour la chambre de madame de Courson.

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s’accompagne d’une plus grande autonomie de la princesse, ne se traduit pas par une rupture dans le recrutement des domestiques. La présence italienne refusée par la famille Conti en 1759 reste minoritaire mais elle tient une place importante auprès de la princesse notamment avec les figures d’Armand Brési et de Pia Marescotti. Le cas de la gouvernante souligne un entourage proche de la princesse italianisé et féminin. Il forme un groupe à part vivant dans la proximité de Marie-Fortunée d’Este et soudé par des liens familiaux et matrimoniaux.