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La maison d’une princesse du sang à la fin du XVIII e siècle

C. Aux marges de la maison

Les marges de la maison présentent un ensemble hétérogène composé d’un ensemble de personnes au statut variable : la majorité est gagée mais certains ne sont rémunérés qu’à la tâche. Ils interviennent à des rythmes différents auprès de la princesse de façon occasionnelle ou pérenne en fonction des besoins. On peut distinguer un personnel aux compétences spécialisées au service direct de la princesse et un personnel lié aux obligations de la princesse

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envers ses domestiques.

1) Au service du corps et de l’esprit de la princesse

La princesse s’entoure de serviteurs aux compétences spécialisées mais en nombre limité.

Médecins et chirurgiens sont réunis au sein de la Faculté présente dans toutes les maisons princières sur le modèle royal. Louis XIV depuis l’enfance dispose d’une Faculté qui s’étoffe avec le temps puisqu’en 1698, elle compte plus de 35 officiers55

. A la fin du XVIIIe siècle, la maison médicale du roi prend la forme d’une « mini-cour »56

. En 1775, la Faculté du duc de Penthièvre comprend huit hommes. Celle du prince de Conti est plus réduite avec un médecin et un apothicaire. De même, l’entourage médical auprès de la princesse de Conti est limité à un chirurgien qu’elle appointe et au médecin Fumée qui figure dans les comptes57

et son testament mais dont aucune source ne mentionne les gages.

A la différence de la Chapelle royale, les religieux au service de la princesse de Conti ne forment pas un groupe particulier dans la maison princière dans la mesure où ils ne résident pas à l’hôtel et ne sont pas gagés. A Paris, son entourage religieux est composé d’un aumônier l’abbé Barruel de 1777 à 1789 et d’un confesseur, le capucin Bernardin. On peut ajouter le curé de la paroisse Saint-Martin de Triel, rémunéré pour les messes célébrées dans la chapelle du château pendant les séjours de la princesse de Conti.

Enfin, Louise Nicole Chauveau, épouse de Pierre Giguet maître de dessin est la professeure de dessin de la princesse presque quotidienne de 1777 à 1789. Elle est rémunérée à la leçon.

Ainsi, la princesse de Conti est entourée d’un petit groupe de serviteurs qualifiés chargés de satisfaire les soins et les besoins de la princesse. Cependant, ils ne représentent qu’une pâle copie des maisons médicales ou des services de la Chapelle de la famille royale.

2) Les devoirs princiers

Les obligations de la princesse envers ses domestiques imposent un personnel spécialisé. Pour la formation de ses pages, Marie-Fortunée d’Este fait appel à plusieurs maîtres d’éducation. Tous sont des hommes compétents, reconnus qui servent les Grands et tout particulièrement les Conti. Maurille-Antoine Moithey, maître de mathématiques est

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Sophie DE LAVERNY, Les domestiques commensaux du roi de France au XVIIe siècle, Paris, Presses de

l'Université de Paris-Sorbonne, 2002, 557 p., p. 145. 56

Alexandre LUNEL, La maison médicale du roi : XVIe-XVIIIe siècles, le pouvoir royal et les professions de santé (médecins, chirurgiens, apothicaires), Seyssel, Champ Vallon, 2008, 442 p.

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ingénieur géographe du roi. Il se qualifie en 1787 de « professeur de mathématiques de MM Les pages de LL AA SS monseigneur le prince et madame la princesse de Conti »58

et fait paraître un Dictionnaire hydrographique de la France en 1787. Guillaume Danet, leur maître d’armes, est un des fondateurs de l’escrime moderne avec son traité L’art des armes de 176659

. Ces choix contribuent au prestige du service de la princesse de Conti en l’associant, pour la formation de jeunes nobles, à celui de son époux

Un autre groupe à la marge de la maison princière est composé des pensionnés de Marie-Fortunée d’Este. Ces pensions, majoritairement affectées à ce qu’il est possible d’appeler la retraite des anciens serviteurs, correspondent au devoir d’assistance des Grands. Il s’agit d’assurer une vie décente aux domestiques même s’ils ont quitté leur maison ou s’ils ne sont plus aptes à servir. Les anciens domestiques reçoivent une pension moindre que le montant de leurs gages antérieurs. Le chef d’office Guermande perçoit une pension de 400 livres pour des anciens gages annuels de 600 livres. De même, la marquise de Saint-Aignan touche une pension de 2 000 livres pour des anciens appointements annuels de 4 000 livres. Les versements sont adressés à des domestiques qui peuvent avoir quitté le service depuis plusieurs années : la princesse envoie à Modène et Reggio deux pensions pour les deux sœurs Radighieri qui furent ses lectrices avant la séparation. Son devoir d’assistance se porte également sur les anciens serviteurs de ses domestiques.

Au total, en 1792, la princesse de Conti verse une pension pour dix-huit anciens domestiques. Ce chiffre semble relativement faible notamment si on le compare à d’autres comptes aristocratiques. Par exemple, Anne-Marie de Bourbon, princesse de Conti pensionne trente personnes en 171360

. L’ampleur des pensions traduit la modestie des effectifs de la maison princière et la faible influence de la dernière princesse de Conti qui place un nombre limité de personnes sous sa protection.

* * *

Si comme le souligne Daniel Roche « dans la société aristocratique, les domestiques abondants et hiérarchisés, souvent inutiles participent de la dépense ostentatoire des

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Maurille-Antoine MOITHEY, Catalogue des ouvrages qui se trouvent chez le sieur Moithey,

ingénieur-géographe du roi et professeur de mathématique de MM. Les pages de LL AA. SS monseigneur le prince et madame la princesse de Conti, Paris, Moithey, 1787, 4 p.

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Pascal BRIOIST, Hervé DREVILLON, Pierre SERNA, Croiser le fer : violence et culture de l'épée dans la

France moderne : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Seyssel, Champ Vallon, 2002, 429 p. 60

privilégiés [au point que] Le domestique est élément du décor »61

, la dimension ostentatoire de la maison de la princesse de Conti est limitée. Le mode de vie spécifique de Marie-Fortunée d’Este impose un nombre important de domestiques aux rôles variés dans ses résidences ; toutefois la spécialisation des fonctions ancillaires n’est guère poussée. C’est une maison aux effectifs modestes réduite aux besoins indispensables à la vie princière. Le personnel aux compétences particulières et les pensionnés sont peu nombreux. La formation d’une maison utile est un indice du budget réduit de la princesse qui ne peut rémunérer une domesticité trop importante. Entretenir une maison est onéreux comme le prouve l’étude des gages.

II. ENTRETENIR UNE MAISON

L’entretien de la maison est coûteux et grève les finances de la princesse. Les gages des domestiques de Paris et de Triel représentent le premier poste de dépenses avec 20,4 % des dépenses totales ce qui est proche des dépenses de personnel du duc de Penthièvre estimées, à la fin du XVIIIe siècle, à 25,12 % des débours totaux62

. C’est un poste coûteux, cependant rémunérer ses domestiques est une obligation essentielle du Grand, c’est un impérieux devoir d’assistance. Les ouvrages de l’époque moderne qui traitent de l’économie domestique et du rôle des maîtres envers la domesticité mettent en avant l’obligation morale de verser des gages justes et payés exactement. Les auteurs fustigent ceux qui ne règlent pas dans les délais les gages de leurs domestiques. Le non-paiement des salaires est condamnable sur le plan religieux car il est assimilé au non respect des prescriptions de la Bible63, dans la Genèse avec l’exemple de Laban et Jacob64 et dans le livre de Tobit65, qui recommande de payer à temps un serviteur. Ne pas verser de salaire est identifié comme une transgression des engagements du maître66. Les gages doivent non seulement être payés exactement mais ils doivent être « honnêtes », adjectif que le Dictionnaire de l’Académie de 1762 définit comme « Conforme à la raison, bienséant, convenable à la profession et à l'âge des personnes ». Le salaire versé doit être hiérarchisé selon les fonctions occupées par le serviteur et selon le rang du maître. Donner de bons appointements est un signe de la prodigalité du Grand et rehausse

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Daniel ROCHE, Le peuple de Paris, Paris, Fayard, 1981, (reéd. 1998), 379 p., p. 375-376. 62

J. DUMA, op. cit., p. 410. 63

Abbé SALAS, De l’éducation chrétienne des filles, ouvrage distribué en plusieurs instructions sur les sujets

les plus importants de la morale, Paris, André Delaguette, 1721, 354 p. 64

Genèse, 29, 15, « Alors Laban dit à Jacob : Parce que tu es mon parent, vas-tu me servir pour rien ? Indique-moi quel doit être ton salaire ».

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Tobit, 4, 14, « Ne garde pas jusqu’au lendemain, le salaire d’un travailleur, mais paie-le tout de suite ». 66

son prestige. Aussi est-il nécessaire de saisir si ses capacités financières permettent à Marie-Fortunée d’entretenir honnêtement sa maison selon les hiérarchies ancillaires et les convenances correspondantes à son rang. Les comptes donnent à voir les différentes formes de la rémunération. Il faut ensuite découvrir dans quelle mesure la hiérarchisation des gages décalque la hiérarchie ancillaire.