• Aucun résultat trouvé

Les finances d’une princesse du sang

I. LES REVENUS D’UNE PRINCESSE DU SANG

En 1776, la princesse change de statut : de l’épouse du comte de la Marche, elle devient après la séparation une princesse nantie de ressources propres et tenue de vivre avec ses seuls revenus. Même si son état n’est pas une exception dans la société aristocratique, les finances de ces femmes vivant seules n’ont- pour l’instant- jamais été étudiées. Comme toutes les femmes mariées de l’Ancien Régime ou après, ses ressources sont prévues par le contrat de mariage et par le montant de sa dot. L’acte notarié établit les conditions d’une possible dissolution de la communauté. L’analyse du contrat de mariage et de la convention de séparation permet de connaître les ressources de Marie-Fortunée d’Este pendant son union avec le comte de la Marche et à partir de la séparation. Ces actes notariés offrent la possibilité de comprendre en quoi la séparation de biens engendre une baisse des revenus de la princesse.

A. Les ressources au temps du mariage

Les ressources de la nouvelle comtesse de la Marche sont fixées par son contrat de mariage rédigé en 1759 après de longues négociations entre le duc de Modène et les Conti. Les vives discussions entre les deux parties montrent l’importance du contrat de mariage et de ses enjeux financiers. Plusieurs points posent problème notamment la question cruciale du montant de la dot, condition sine qua non à la signature de l’alliance. Après plus de trois ans de négociations, le contrat de mariage établit les revenus de la comtesse de la Marche dans la communauté ou en cas de dissolution de celle-ci.

1) Une union âprement discutée

Marie-Fortunée d’Este sont difficiles et achoppent à plusieurs reprises sur différents points. L’union est discutée de 1756 à 1759. Les ambassadeurs ont reçu les pleins pouvoirs pour négocier, comme un traité d’alliance ou de paix, les mariages des princes du sang français7

. Si les négociations sont conduites officiellement par le marquis de Chauvelin ambassadeur du roi à Gênes8

, l’épais dossier qui regroupe les courriers échangés et les différentes versions du contrat de mariage9

montre que les discussions sont surtout menées par les princes et leurs représentants. La répugnance affichée du comte de la Marche pour le mariage10

et la mésentente entre le père et le fils compliquent les négociations.

Plusieurs questions sont l’objet de vives discussions entre les deux parties : le montant de la dot, la question de la renonciation et l’organisation matérielle du mariage. Le montant de la dot est un enjeu particulièrement délicat. Le comte de la Marche subordonne son acceptation du mariage à l’obtention d’une dot lui assurant une rente confortable, dont il fixe le montant à un million de livres. Or, cette somme est largement supérieure à celle traditionnellement accordée par les ducs de Modène à leurs filles. Un accord secret est alors passé avec les Conti : François III d’Este ne verse que 600 000 livres et les 400 000 livres restantes sont données sous certaines conditions par le prince et la princesse douairière de Conti. L’usage de cette somme et son retour en cas de dissolution de la communauté sont aussi un objet de tensions entre les Conti et François d’Este. Ensuite, la rédaction de la renonciation de la nouvelle comtesse de la Marche à l’héritage paternel provoque des débats houleux. La renonciation est une procédure fréquente vue comme une contrepartie à la dot. C’est souvent un article inclus dans les contrats de mariage avec une princesse étrangère11

. Or, la rédaction de cet article prend une acuité particulière à un moment où la maison d’Este n’a plus d’héritier mâle. Une convention signée en 1753 avec l’impératrice fait passer le duché entre les mains des Habsbourg. Enfin, les conditions de la célébration du mariage sont examinées et la discussion se porte sur le choix de celui qui doit représenter le comte de la Marche lors de la célébration à Milan et sur le voyage de la comtesse de la Marche vers la France.

Le mariage ne peut être légitime sans le consentement du roi de France agissant comme chef de famille, « le père du royaume, le chef, le tuteur et protecteur des princes de

7

Lucien BELY, La société des princes, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1999, 651 p., « négocier un mariage »,

p. 200. 8

Il n’y a pas de représentant de Louis XV à Modène. 9

ASMo, Casa e Stato, 383, tractations en vue du mariage de Marie-Fortunée d’Este, 1756-1759. 10

ASMo, Casa e Stato, 383, lettre du 12 juin 1757, Dans cette lettre, le comte de la Marche rappelle son désir de ne point se marier, ou alors à Mathilde d’Este, sœur cadette de la promise, et à condition d’obtenir une dot lui octroyant une rente de 50 000 livres. Cette lettre provoque l’ire du duc de Modène et du prince de Conti.

11

son sang »12

. Le contrat de mariage est signé le 3 janvier 1759, selon l’usage, dans le pays de la future épouse à Milan, lieu de résidence du duc de Modène. L’annonce du mariage à la cour par Louis XV le 16 janvier 1759 apporte solennité et prestige à cette union princière.

2) Les ressources dans le mariage

Les ressources de la princesse dans le mariage sont consignées dans son contrat de mariage constitué de 26 articles13

qui organisent la communauté entre les deux époux. Il est régi par la coutume de Paris, lieu de résidence du futur époux.

Les clauses officielles du contrat sont à distinguer de l’accord secret convenu entre le duc de Modène et le prince de Conti. Le contrat de mariage stipule que le duc de Modène verse 700 000 livres après la célébration du mariage et 300 000 livres en trois ans (article 9) avec les intérêts. En cas de dissolution de la communauté sans héritier mâle, les 400 000 livres reviennent officiellement au duc de Modène ou à ses descendants (articles 13, 14 et 15). Or, comme le duc de Modène ne s’est pas acquitté entièrement du montant de la dot mais seulement de 600 000 livres, les reconnaissances de dettes stipulent qu’en réalité la somme de 400 000 livres doit retourner à la famille Conti14

. En cas de veuvage, et en fonction de la conduite de la comtesse de la Marche, le prince de Conti pourrait donner cette somme à la veuve ainsi qu’il l’explique à l’envoyé du duc de Modène en France15. Elle s’ajouterait alors au douaire de 25 000 livres annuelles obtenu à la mort du prince (article 21). L’article 10 prévoit que la dot à hauteur de 500 000 livres sera placée en acquisition de rentes. En fait, le montant total de la dot est placée en 176416 puis en 1768 et produit 40 000 livres de rentes annuelles17.

Dans le mariage, Marie-Fortunée est dépendante des ressources de son mari qui gère les biens et l’argent de son épouse comme le rappelle la coutume de Paris : « la femme mariée ne peut vendre, aliéner ni hypothéquer ses héritages sans l’autorité et consentement exprès de

12

CARDIN LE BRET, De la souveraineté du Roy, Paris, 1632, p. 58. 13

Voir pièces justificatives 1. 14

ASMo, Casa e Stato, 383, reconnaissance de dettes du duc de Modène au prince et à la princesse douairière de Conti, 5 mai 1757.

15

« à l’occasion des 400 000 francs, Mgr le prince de Conty m’a dit une fois que dans un des cas où la sérénissime princesse serait veuve et sans enfants mâles et où il faudrait les rendre à son beau-père, il voulait, selon qu’elle se serait conduite avec lui, avoir par-devant lui la faculté de les retirer ou de les laisser à sa belle-fille, pour qu’alors elle les tint de lui seul », ASMo, Casa e Stato 383, papiers secrets pour n’être vus que de Monseigneur, sans date.

16

Arch. nat., O1 108, fol 486, lettres patentes accordant le placement par le comte de la Marche d’un million de livres produisant 50 000 livres de rentes sur les fermes générales, 18 novembre 1764.

17

Arch. nat., O1 113,fol 154, lettres patentes accordant le placement par le comte de la Marche d’un million de livres produisant 40 000 livres sur les fermes, 9 avril 1768.

son mari »18

. L’usage octroie la somme de 30 000 livres par an pour « l’habillement et le jeu » des princesses du sang19

mais les dépenses plus importantes sont soumises à l’autorisation de son mari. Par exemple, à deux reprises en juin 1765 et en juillet 1767, elle ne peut se rendre, sur les instances du comte de la Marche, au séjour de la cour à Compiègne, qui est trop coûteux comme le rapporte l’abbé Contri : « la Sérénissime Fille de VAS qui se porte bien Dieu Mercy ne vas pas à Compiègne pour la même raison de l’année passée qui est que le comte de la Marche trouve trop forte la dépense de la table qu’elle serait obligée d’y tenir »20

. La présence régulière de la comtesse de la Marche auprès du prince de Conti et dans ses résidences21

pourrait aussi s’expliquer par les dissensions financières du couple. Le comte de la Marche ne pouvant ou ne voulant assurer les fortes dépenses des déplacements de son épouse, celles-ci sont prises en charge par le prince de Conti qui invite sa belle-fille dans ses nombreuses résidences22. Pendant son mariage, la princesse, en vertu de son contrat de mariage régi par la coutume de Paris, est soumise à l’autorité financière de son mari. Si elle dispose d’une somme confortable pour ses dépenses personnelles, elle est dépendante de l’accord du prince pour les débours d’importance. Or, son époux ne semble guère disposé à accepter de trop lourdes dépenses et lui impose des réductions financières. La séparation apporte à la princesse une autonomie pécuniaire.