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Les finances d’une princesse du sang

C. Révolution et difficultés financières de la princesse de Conti

2) Les dépenses de l’émigration

En exil, la princesse de Conti doit pendant un temps subvenir aux besoins de sa maison demeurée en France et honorer ses dettes. Elle pourvoit à son installation dans ses différents lieux de résidence, Chambéry, Fribourg, Landshut, Presbourg puis Venise et fait face aux multiples dépenses qu’elle engendre, frais d’ameublement, de meubles, d’entretien de sa domesticité.

a) Jusqu’en 1792, honorer ses engagements en France

Marie-Fortunée honore ses engagements vis-à-vis de sa maison restée à Paris et de ses créanciers. Tout d’abord, elle s’acquitte des appointements et gages de ses domestiques qu’ils soient en activité ou qu’ils aient quitté le service. En avril 1790, dix personnes se nourrissent encore dans l’hôtel du Lude et leur subsistance revient à 390 livres par mois. L’état des gagistes de la princesse de Conti établi au 1er juillet 1792 précise que les vingt domestiques encore appointés lui coûtent 17 110 livres 7 sols par an sans compter les anciens domestiques

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Jean BOUCHARY, Les manieurs d’argent à Paris au XVIIIe siècle, Paris, M. Rivière, 1943, t. III, 287 p., p.

91-92. 131

pensionnés de la princesse, soit 6 810 livres. Les domestiques de Triel sont gagés au moins jusqu’en juin 1790 lui coûtant 3 050 livres.

Ensuite, elle doit rembourser les rentes de 1787. Pour ce faire, elle contracte en 1790 de nouveaux emprunts, d’un montant de 300 000 livres, pour finir de payer son hôtel. De 1791 à 1792, elle continue de s’acquitter de ses dettes. En 1792, elle rembourse une rente perpétuelle au capital de 40 000 livres et négocie l’abaissement du taux d’intérêt d’une autre. La suppression du versement de sa pension marque l’arrêt des règlements. Le dernier paiement de 9 000 livres pour la première partie de l’année est établi le 9 juillet 1792132

. b) Les dépenses d’une maison princière en exil

Concomitamment, elle débourse de fortes sommes pour son logement. Elle loue différents appartements que ce soit chez des particuliers, comme au début de son séjour à Fribourg, ou dans des couvents comme à Fribourg à partir d’août 1796133

puis à Landshut. Elle loue tout d’abord un logement pour 100 louis134

avant de s’installer à l’arrivée de sa petite-nièce au couvent des Ursulines. Là, elle aménage ses intérieurs et commande des réparations comme le rapportent les Annales des Ursulines :

« Son altesse d’Est, Princesse de Conti, a fait des réparations à notre maison pour 200 louis d’or. Elle a fait faire la cheminée de sa chambre avec la tribune et faire réparer la cheminée du noviciat pour sa nièce. En un mot, elle a fait arranger un appartement accompli chez nous avec tous les enjolivements que sa condition exigeait car elle comptait y finir ses jours »135.

Cependant, ses efforts sont vite vains avec l’arrivée des troupes françaises. Obligée de repartir sur les routes, la princesse laisse en Suisse des effets. A Landshut, elle doit faire des achats de meubles même si elle séjourne dans le couvent de Séligenthal près de Landshut. Ensuite, elle loue une maison à Presbourg. Enfin, à Venise, son nouveau logement au monastère de la Visitation est entièrement aménagé par le duc de Modène et sa fille l’archiduchesse. Elle paie de surcroît les appointements de sa suite. Les charges sont lourdes pour la princesse qui ne peut verser tous les gages.

L’émigration conduit à un inéluctable déclin de son style de vie. En l’absence de

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Arch. nat., 72 AP, I, papiers Luxure-Luxeuil.

133 Georges ANDREY, Les émigrés français dans le canton de Fribourg (1789-1815), Effectifs, Activités,

portraits. Neuchâtel, Le temps présent, Ed. de la Baconnière, 1972, 407 p.

134 Archives de l’Etat de Fribourg, A. 520, Etat des Français et des propriétaires des maisons où ils logent dans la Bannière des Places, le 21 novembre 1791.

135 Annales du couvent des Ursulines de Fribourg citées par Tobie DE RAEMY, L’émigration dans le canton de

documents comptables, les informations sur sa vie pendant l’émigration sont tributaires des mémoires de l’abbé Lambert, du marquis de Bombelles et des correspondances entre la princesse de Conti, sa dame d’honneur, la comtesse des Roches, et la famille d’Orléans. L’abbé Lambert et la dame d’honneur proposent deux visions relativement antagonistes de la situation financière de la princesse de Conti. Le premier, suivi par le marquis de Bombelles, met l’accent sur la frugalité de la vie de Marie-Fortunée d’Este et sur ses privations. Il évoque « un habillement qu’elle portait tous les jours [qui] ne lui avait coûté que 18 francs»136

et souligne que sa « table était frugale, le souper n’était plus un repas dans sa maison. Chacun y suppléait comme il voulait »137

. Le marquis résume la situation à Fribourg : « Mme la princesse de Conti est bien près de manquer du nécessaire »138. Au contraire, dans ses lettres à Adélaïde d’Orléans, qui a quitté la princesse de Conti pour rejoindre sa mère, la dame d’honneur insiste sur la bonne situation financière de la princesse, elle est « bien loin d’être ruinée ses affaires sont dans le meilleur état et le meilleur ordre possible »139. Loin de la frugalité vantée par l’abbé Lambert, la comtesse décrit une princesse dépensière : « avec le plus d’économique possible, elle ne pourrait vivre dans cette maison140 même sans nous à moins de 20 000 livres parce que sa nourriture à elle sera toujours une chose chère et mil fantaisies quelle ne calcule pas, n’ayant au bout rien de solide »141. L’abbé Lambert retranscrit la situation vécue par la princesse de Conti qui se sent pauvre et ruinée. La comtesse des Roches traduit la difficulté pour une aristocrate et une femme âgée, de s’adapter à une situation financière plus délicate.

A travers la description des conditions de vie de la princesse de Conti en exil, apparaît une tension entre son désir de conserver un train de vie correspondant à son rang et sa situation financière et matérielle. Elle est entourée d’une suite réduite de nobles ou de domestiques, elle aménage ses intérieurs, peut-être conserve-t-elle les mêmes goûts alimentaires… Son souci d’honorer ses dettes pour son hôtel montre que pour elle sa situation n’est que temporaire et elle espère son retour en France et, encore à la veille de sa mort, qu’on lui rende ses biens142

. Si le système de la consommation ostentatoire vole en éclats lors de

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Abbé LAMBERT, op. cit., p. 157

137 Ibid., p.159. 138

Marquis de BOMBELLES, Journal, tome IV, 1793-1795, Droz, 1998, p. 115 « 22 juin 1793 ». 139

Arch. nat., 300 AP, III, 7, lettre de madame Des Roches à Adélaïde d’Orléans, 27 juillet 1802. 140

A Presbourg. 141

Arch. nat., 300 AP, III, 7, lettre de madame Des Roches à Adélaïde d’Orléans, sans date mais écrite à l’été 1802.

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Comme en témoigne la rédaction de la deuxième partie de son testament par laquelle elle entend accorder des pensions à ses anciens domestiques « si le règne de la justice renaissait dans ce pays et que mes biens me fussent rendus », 300 AP, I, 82, succession Conti, pièce n°131, copie du testament de la princesse de Conti rédigé à Venise le 15 mars 1803.

l’émigration, il demeure dans les mentalités des émigrés143

et notamment chez la princesse. Elle est attachée à ses anciennes prérogatives comme le rappelle ironiquement sa dame d’honneur quand elle évoque son premier mouvement de refus du couvent : « la princesse qui n’en a nullement envie, [elle] qui tient à son jeu, à son espèce de représentation, à son bel appartement, à sa chapelle pour avoir messes et vêpres à ses ordres »144

. Il s’établit une disjonction entre ce qu’elle veut demeurer, une princesse du sang, et ce qu’elle est, une émigrée. Dès lors, la diminution de revenus est mal perçue par la princesse qui répète à son entourage qu’elle est ruinée. Pour pallier ce hiatus entre son statut et ses revenus, elle continue à employer dame d’honneur et domestiques mais elle ne les paye guère, voire plus du tout pour la comtesse des Roches. En 1803, sa succession est grevée de dettes.

A sa mort, la princesse de Conti laisse une situation financière difficile. De nombreuses dettes n’ont pas été honorées que ce soit les rentes souscrites pour le paiement de son hôtel ou les appointements non versés depuis des années.

Son inventaire après décès145

dressé à Venise décrit une succession obérée de dettes. L’actif de la princesse est constitué de 36 529 livres 6 sols, résultant de la vente des meubles et bijoux. Or, les dépenses atteignent la somme de 36 704 livres 2 sols. Elles comprennent le coût des funérailles, 2 227 livres 10 sols, les gages non payés de ses derniers domestiques, les frais de médecin, d’apothicaires et de notaire. A la mort de la princesse, il manque 174 livres 16 sols. Or, ses dispositions testamentaires viennent alourdir ses dettes car elle demande à son exécuteur testamentaire, Adélaïde d’Orléans, d’accorder une pension à l’ensemble de ses domestiques. Enfin, l’ouverture de la succession entraîne le remboursement des rentes contractées avant la Révolution française. Au total, le conseil du duc d’Orléans établit que « les dettes passives de cette succession (pour la plupart cautionnées avec l’obligation solidaire de SAS monseigneur le duc de Penthièvre) excèdent l’actif de 406 739 livres 11 sols 6 deniers »146

. Les créanciers de la princesse de Conti se font connaître auprès des héritiers et les somment de régler les dettes de leur grand-tante. Le duc de Boulainvilliers estime qu’il est en droit de demander onze ans d’arrérages de la rente contractée par Marie-Fortunée d’Este à sa mère en 1792. Un accord n’est trouvé qu’en 1820 lorsque Madame Adélaïde, héritière de la

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Karine RANCE, « L'émigration nobiliaire française en Allemagne : une « migration de maintien » (1789-1815) », Genèses, Année 1998, Volume 30, Numéro 1, p. 5-29, p. 21.

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Arch. nat., 300 AP, III, 7, lettre de madame Des Roches à Adélaïde d’Orléans, lettre du 9 juin 1802.

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Arch. nat., 300 A.P., I, 82, Succession Conti, pièce n°127, Inventaire après décès de la princesse de Conti, état de sa succession avec l’évaluation au cours de France en confront de celui de Venise suivant le codicille de ladite princesse du 31 août 1803.

146 Arch. nat., 300 AP, I, 82, succession Conti, pièce n°124, délibération du conseil du duc d’Orléans, séance du 19 juin 1818.

princesse, règle au créancier la somme de 110 000 francs. Les héritiers doivent aussi honorer les gages du mois de septembre 1803 et la succession est amputée de 734 livres 2 sols. Ils versent à la fille de la défunte comtesse des Roches la somme de 12 000 livres pour ses onze ans de gages et les legs alloués par la princesse à ses derniers domestiques. Enfin, les héritiers attribuent des pensions aux anciens domestiques de la princesse selon la loi du 24 frimaire an VI. Au total, 39 personnes bénéficient de rentes viagères ou pensions147

.

L’étude des finances de la princesse de Conti met en évidence le poids structurel de la maison. La majorité des frais est employée à l’entretien de la domesticité. Les dépenses personnelles de parure représentent une faible part des dépenses à l’opposé d’une image longtemps véhiculée de nobles sacrifiant toutes leurs ressources à la futilité de leur mise. Le poids structurel de la maison est ici d’autant plus important qu’il s’agit d’affirmer le rang d’une épouse délaissée, l’indépendance d’une femme seule. Les comptes de la princesse constituent un témoignage extrêmement précieux pour connaître les finances d’une princesse du sang à la fin du XVIIIe siècle. La structure des dépenses, le comportement consommatoire et économique de la princesse sont directement induits par la séparation. La rupture est synonyme de perte de crédit, d’une forme d’appauvrissement au moment où le prince de Conti hérite des biens de son père148

. Elle impose à la princesse une gestion rigoureuse, des paiements sans délai. Elle marque aussi le début d’une plus grande autonomie dans la conduite de sa vie et de ses finances. Ayant peu d’appétence ou de compétence pour la gestion et les finances, la princesse sait déléguer à des personnes de confiance tout en conservant le pouvoir décisionnel. Néanmoins, pour les achats d’importance, la princesse reste dépendante d’une protection et d’une caution masculines.

Avec ses deux pensions d’un revenu global de 180 000 livres, Marie-Fortunée d’Este appartient aux familles les plus fortunées du royaume de France. Mais sa faible capacité de crédit, son budget limité face à des dépenses imposées par son rang ne lui permettent pas de faire des dépenses trop dispendieuses auprès des marchands les plus en vogue de Paris.

147 Arch. nat., 300 AP, I, 82, Succession Conti, pièce n°205, Créances liquidées de la princesse de Conti. 148

François-Charles Mougel estime qu’en 1783 le prince de Conti possède un capital de 29 millions de livres dont 6 millions de livres de pensions, François-Charles MOUGEL, « La fortune des princes de Bourbon Conty »,

Chapitre 4