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Les fournisseurs de la princesse de Conti

A. Un marché adapté aux besoins princiers

L’analyse de ce marché offre la possibilité de comprendre comment il traduit les besoins d’une maison composée d’une cinquantaine de personnes tout autant que les goûts et les choix de la princesse. Les exigences variées qui organisent le marché se traduisent par une sollicitation marchande selon des temporalités différentes et pour des domaines d’activités variés. L’étude des fournisseurs permet au-delà de mesurer leur degré de spécialisation qui est un des traits du marché aristocratique. Elle implique de saisir si les origines de la princesse tout autant que son appartenance au second sexe imposent des comportements consommatoires particuliers et le recours à de marchands spécifiques.

A. Un marché adapté aux besoins princiers

Tous les marchands et artisans inscrits dans les comptes et les factures ont été répertoriés et classés selon leur domaine d’action4. Le tableau 5 reprend cette répartition. Une première catégorie regroupe ceux qui travaillent pour la rénovation et la décoration de l’hôtel (TM5). Une seconde rassemble ceux qui nourrissent la maison (B) et une troisième les spécialistes de l’écurie (E). Un quatrième ensemble comprend les artisans du corps avec les spécialistes de l’habillement (H) ou du soin du corps (S). Enfin, un dernier groupe est composé des métiers du luxe (L) que ce soit les orfèvres-bijoutiers que les libraires ou les spécialistes du jeu.

Cette distribution rend compte des multiples critères qui préludent à la sollicitation des marchands. La structure en maison implique le recours à de nombreux fournisseurs du quotidien. L’aménagement régulier des appartements princiers induit la présence de spécialistes du bâtiment et de la décoration. L’importance de la culture des apparences et la présence de fournisseurs de luxe montrent la spécificité du marché princier.

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N. COQUERY, L’hôtel… op. cit., annexes, document 1, p. 279. 3

J. DUMA, op. cit., p. 232. En 1781, il décompte 231 fournisseurs mais les sources, incomplètes, sous-estiment leur nombre.

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Les catégories utilisées par Natacha Coquery ont été ici reprises et ont pu être identifiées grâce à l’ouvrage d’Alfred FRANKLIN, Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercés dans Paris depuis le

treizième siècle, Paris, H. Welter, 1906, 856 p. 5

Tableau 5 : Les fournisseurs par catégorie Localisation Catégories Tous lieux confondus A Paris Hors Paris Dont lors du séjour à Bourbon-l'Archambault Dont à Triel TM (travaux de la maison) 116 106 10 6 1 B (secteur de la bouche,

achats alimentaires et non

alimentaires) 87 63 25 16 5 H (habillement, nettoyage et raccommodage des vêtements) 79 66 13 6 2 E (écurie) 47 20 26 22 1 L (luxe) 44 43 1 1 0 S (soins et santé) 41 27 14 2 8 Total 414 325 89 53 18

1) Les fournisseurs pour les besoins quotidiens de la maison

Le fonctionnement de la maison princière impose l’appel régulier à un grand nombre de marchands. Parmi eux, les 87 spécialistes de la bouche6

, dont 63 à Paris, forment un secteur important composé des fournisseurs alimentaires et de ceux qui vendent les ustensiles indispensables à la confection des repas. L’ampleur du secteur de la bouche rappelle le poids des commensaux de la princesse et son devoir nourricier envers sa famille. L’écurie fait appel à de nombreux fournisseurs, dont 20 à Paris7

.

Ces marchands apparaissent régulièrement. Dans le domaine de l’alimentation, les fournisseurs interviennent quotidiennement et adressent chaque mois un mémoire au contrôleur de bouche. Ils sont présents sur des périodes relativement longues et fournissent la maison pour plusieurs années. En 1789, sur les 9 fournisseurs de bouche mentionnés, 5 sont déjà présents en 1785. A cet ensemble, il est possible d’ajouter les spécialistes du soin des chevaux comme le maréchal ferrant qui vient chaque jour panser et ferrer les chevaux8

.

2) L’importance des spécialistes des travaux et de la rénovation

Les spécialistes de la rénovation et de l’embellissement des résidences regroupent des métiers variés9

incluant aussi bien les artisans du gros œuvre, avec trois maîtres paveurs, deux maîtres carreleurs, un couvreur et un maçon, que ceux de la décoration, ébénistes ou

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Voir Annexes 3, tableau 29. 7

Voir Annexes 3, tableau 30. 8

Arch. nat., R3/175, dépenses particulières 1784, pièces n°11 et 12, dépenses journalières de fourrage pour les chevaux, février et janvier 1784. Voir le chapitre 6.

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menuisiers, miroitiers… On peut retenir l’importance numérique des tapissiers10

qui non seulement décorent les meubles mais prennent également en charge la décoration globale des espaces domestiques. Ces 30 tapissiers attestent du goût de la princesse pour l’aménagement de ses intérieurs et de sa volonté d’adapter ses appartements à la mode.

Les fournisseurs se retrouvent en effet à intervalles réguliers lors des trois phases de travaux successives : ils sont 36 en 1776 comme en 1779-1780 et 34 en 1787-1788. Parmi eux, deux fournisseurs sont présents à chaque rénovation, et 18 artisans apparaissent sur au moins deux des trois chantiers.

3) Les soins du corps

Les spécialistes du corps représentent le premier ensemble de fournisseurs avec 120 marchands. 79 fournisseurs dont 66 à Paris s’occupent exclusivement du vêtement11

et avec vingt-trois représentants, les marchands de tissus représentent le groupe majoritaire mais il existe une multitude d’intervenants. La culture des apparences demande donc un lourd investissement de personnes. Mais la princesse apparaît moins préoccupée par son habillement que par sa santé qui est un secteur sollicitant un grand nombre de fournisseurs : 41 dont 27 à Paris12.

Cet aspect est renforcé par la fréquence de leur intervention. Les commandes aux parfumeurs et aux marchands de tissus sont quasiment hebdomadaires. Par exemple, du 1er juillet au 31 décembre 1778, douze commandes ont été passées au parfumeur royal Prévost13. De même, les factures du Grand Turc, marchand d’étoffes omniprésent dans les comptes aristocratiques ou royaux, révèlent la régularité des commandes. Plus largement, notons la récurrence des fournisseurs qui veillent à la parure ou au soin du corps comme les chirurgiens ou les apothicaires. Ces fournisseurs attestent d’un luxe quotidien, de l’habitude qui se caractérise par le choix de marchands extrêmement réputés, de tissus ou de produits coûteux, et par la fréquence des commandes.

4) Les fournisseurs de luxe

Enfin, les fournisseurs de luxe regroupent 44 hommes aux métiers variés et distinctifs. Ils se composent14 de 20 orfèvres-bijoutiers ou faïenciers, 12 spécialistes du livre et trois du

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« marchand qui vend qui fait ou qui tend des tapisseries et des meubles », Jacques SAVARY DES BRUSLONS, Dictionnaire du commerce, contenant tout ce qui concerne le commerce qui se fait dans les quatre

parties du monde, Paris, Vve Estienne, 1741, 3 vol., p. 818. 11

Voir Annexes 3, tableau 31. 12

Voir Annexes 3, tableau 32. 13

Arch. nat., R3/174, dépenses particulières 1778, pièce n°13, mémoire du parfumeur Prévost, janvier 1779. 14

jeu. S’y ajoutent trois artisans du cuir, quatre marchands qui fournissent de petits objets de décoration, deux artistes, un peintre et sculpteur. Ces spécialistes n’apparaissent que de façon occasionnelle. Les professionnels du papier ne sont sollicités que pour une ou deux années maximum. De même, les spécialistes des pierres précieuses fournissent la princesse de Conti rarement plus d’une fois. A l’exception des orfèvres Balduc et Fortin et du bijoutier Cordier associé ensuite à Gibert, ces fournisseurs interviennent ponctuellement pour la fabrication d’une bague, d’un coffre à bijoux. Leur mention est moindre dans les années 1780.

Par son ampleur, le marché autour de la princesse révèle le poids structurel de la maison. Pour le secteur de la bouche, la princesse de Conti se situe au-dessus d’une autre princesse vivant seule, la princesse Kinsky, veuve d’un chambellan de l’impératrice arrivée en France dans les années 1760, qui emploie 36 marchands. La répartition des marchands montre les centres d’intérêt de la princesse. Le nombre de spécialistes de la rénovation et de l’embellissement des intérieurs est au même niveau, voire supérieur à celui de la princesse Kinsky -107 fournisseurs- dont le goût pour l’embellissement de son hôtel a été relevé15. A contrario, pour l’habillement, la princesse de Conti se place en-deçà de la princesse de Kinsky, qui emploie 90 marchands. Enfin, la préoccupation de la princesse pour sa santé se traduit par un nombre de fournisseurs bien supérieur à ceux de l’aristocratie parisienne. Elle dépasse très largement la princesse Kinsky qui ne recourt qu’à cinq spécialistes de la santé et se place au même niveau que la famille Fitz-James.