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La suite aristocratique de Marie-Fortunée d’Este

B. Le signe d’une impasse ou d’un déclin ?

Mesurer les bénéfices que les nobles retirent du service princier permet d’apprécier l’influence et le prestige de ces familles. Au-delà interroger les carrières nobiliaires pose la question de l’attrait du service princier et du patronage de la princesse. Aussi faut-il voir dans quelle mesure l’échec de certaines familles à obtenir des avantages importants et une ascension réellement perceptible à moyen terme est le reflet de l’entregent limité de la dernière princesse du sang. Pour certains, le service princier apparaît comme un aboutissement, pour d’autres, il peut signifier une dynamique sociale déclinante.

En 1789, la situation des anciens pages de Marie-Fortunée d’Este n’a guère changé. Si le passage au service de la princesse de Conti permet d’obtenir certains bénéfices : un grade d’officier, la prise en compte des années de formation dans l’obtention de la croix de Saint-Louis qui sanctionne vingt ans de service et assure une pension de 1 000 livres, l’horizon professionnel des pages semble bloqué à la sous-lieutenance voire au rang de capitaine dans le meilleur des cas, c’est-à dire officier subalterne113. Le manque d’argent et de protection ne leur permet pas d’acquérir une compagnie et d’accéder à la charge de capitaine.

Pour le comte du Dresnay des Roches époux de la dernière dame d’honneur, l’accès à la maison princière marque l’aboutissement d’une carrière plutôt que son accélération. François-Julien du Dresnay des Roches, né en 1719, effectue un brillant parcours dans la marine. Il débute comme garde-marine de Brest en 1734, il est ensuite capitaine de vaisseau en 1757, major en 1758 avant d’être gouverneur des Iles de France et de Bourbon en 1768. Il termine sa carrière comme chef d’escadre, c’est-à-dire officier général de la marine, en

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SHAT, 2 Ye 4124, Jacques-Pierre de Villereau. 113

1776114

. En 1780, il épouse Marie-Emilie de Caumont, veuve du marquis de Cadusch capitaine au régiment du Cap à Saint-Domingue115

. Son épouse devient en 1785 dame de compagnie de la princesse de Conti. Le comte meurt en 1786. Pour les Puget de Barbentane, le service auprès de la comtesse de la Marche n’apparaît que comme une parenthèse dans leur présence auprès de la famille d’Orléans. La marquise de Barbentane n’est au service de Marie-Fortunée d’Este que pour un temps limité entre 1764 et 1766-1768 c’est-à-dire entre la mort de la duchesse d’Orléans en 1759 dont la marquise était la dame suivante à son entrée comme gouvernante de Bathilde d’Orléans.

Enfin, le service de la princesse du sang peut être considéré comme le symbole d’un déclin de la famille. Par exemple, les comtes de Sabran passent du service du Régent et des Orléans à celui de la comtesse de la Marche ce qui souligne la perte de crédit de cette branche des de Sabran. Les unions contractées témoignent des difficultés. Aux prestigieuses familles de Foix-Rabat et de Coëtlogon succède celle de Coste de Champeron, famille de parlementaires alliée aux Chaumont de la Galaisière, maître des requêtes et intendant. De même, l’alliance des de Sailly et des Rochedragon peut être interprétée comme une perte de vitesse de cette famille issue d’une branche cadette des Le Tellier. Elle souligne le déclin au XVIIIe siècle des descendants des ministres de la guerre de Louis XIV. Le mariage entre le marquis de Sailly avec Gabrielle-Flore le Tellier de Souvré est une première étape « si les Saint-Chamans, les Montmorin, les Saint-Hérem, les Sailly, sont tous de très bonne noblesse, les alliances des descendants de Louvois n’ont rien de comparable à celles de leurs tantes et grands-tantes. Les Le Tellier sombrent peu à peu dans l’anonymat de la bonne noblesse »116

. Par leur alliance avec les Rochedragon, les de Sailly restent dans l’anonymat de la bonne noblesse d’autant que la famille de Rochedragon est encore moins intégrée au monde curial : aucun Rochedragon n’a de charge dans une maison princière.

* * *

Il ressort du portrait de la suite princière une image assez classique. Les nobles au service de la princesse sont des membres de famille de noblesse ancienne, militaire, bien implantée localement. L’entrée au service apparaît comme la sanction d’une noblesse dont les preuves remontent aux XVe et XVIe siècles et d’un cursus honorum qui passe par les écuries

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Arch. nat., C 7/86, état de services de François-Julien du Dresnay, chevalier puis comte des Roches. 115

Arch. nat., ET/II/659, Contrat de mariage entre Marie-Emilie de Caumont et Charles-Henri de Cadush, 27 mars 1773.

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Luc-Normand TELLIER, Face aux Colbert, les Le Tellier, Vauban, Turgot, et l’avènement du libéralisme, Sillery, Presses de l’université de Québec, 1987, 806 p., p. 583.

royales et le service des armes. Le choix d’une noblesse catholique insérée dans l’Ordre de Malte qui apparaît comme un sanctuaire renforce cette idée et rehausse le prestige des lignages. Pendant le mariage, sont choisies des familles qui ont une tradition de service auprès des Conti, comme la comtesse de la Myre-Mory, Adélaïde de Sailly ou le comte du Lincel du Bousquet, ou de la famille d’Orléans à l’instar des Puget de Barbentane, des d’Oisy ou des Sabran. Elles attestent de la patrimonialisation des charges au sein des maisons princières. Les emplois se transmettent sur plusieurs générations comme l’a montré l’exemple de la famille de la Myre-Mory bien intégrée dans les maisons civiles et militaires des Conti. Toutefois, la suite est formée de familles renommées mais guère prestigieuses. Aucun grand nom de se détache du service de la princesse. Certes, les membres de la suite nobiliaire adulte, c’est-à-dire l’écuyer et les dames suivantes, sont des nobles titrés, comte, mais dont le titre apparaît surtout honorifique, et principalement marquis.

Or, la séparation de 1776 provoque une inflexion dans la composition de la suite princière. Les familles de la mouvance Conti disparaissent au profit de celles appartenant à la nébuleuse Penthièvre. Ce sont des familles de rang modeste, bien moins intégrées au monde curial et elles révèlent au-delà le retrait progressif de la princesse du monde aulique117. Elles accèdent au service de la princesse grâce au parrainage de nobles membres des maisons royales comme les Thianges, les Mailly, les Lorges. Leur place d’intermédiaire ou de broker118

montre comment cette « noblesse seconde»119

sert de relais entre la cour et leur province.

Ce peu d’éclat du service révèle la modestie de la maison et permet de mettre en avant les hiérarchies au sein de ces noblesses princières qui dévoilent les hiérarchies entre les maisons des Grands. L’absence de grandes familles surtout après 1776 démontre que le passage au service de la princesse apporte des bénéfices limités et indirects. Ils sont réduits aux seuls avantages induits par son statut de princesse du sang : la commensalité, la fréquentation du monde curial. L’incidence du service est variable selon les capacités des familles à s’insérer dans d’autres réseaux qui gravitent autour des Grands. Certains bénéficient de la protection plus efficace du duc de Penthièvre ; pour d’autres le service princier est une porte d’entrée vers l’insertion dans les structures réticulaires de la famille royale. L’échec de ces familles à profiter de ces protections est le signe de leur

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Ce point sera développé au chapitre 9. 118

Sharon KETTERING, Patrons, brokers, and clients in seventeenth-century France, New York, Oxford, Oxford University press, 1986, 322 p.

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Jean-Marie CONSTANT, « Un groupe socio-politique stratégique dans la France de la première moitié du XVIIe siècle : la noblesse seconde », actes du colloque d’Oxford, L’Etat et les aristocraties (France, Angleterre,

affaiblissement social. Il contribue à ternir l’éclat de la maison de la princesse.

En définitive, le recrutement nobiliaire met en lumière l’entregent limité de Marie-Fortunée d’Este. La suite nobiliaire de la princesse de Conti est à l’image de celle-ci : une personne effacée, qui apparaît comme un modèle de la France d’Ancien Régime et traduirait ses capacités financières limitées surtout après la séparation.

Chapitre 3