• Aucun résultat trouvé

La maison d’une princesse du sang à la fin du XVIII e siècle

B. Le cœur de la maison princière

2) Chambre, Bouche et Ecurie

Les pages participent à l’affirmation du rang de leur maître comme le rappelle Audiger : « ils ne servent qu’à lui faire honneur ». Le port de la livrée, leur présence aux côtés des attelages princiers ou leur service à table lors des réceptions contribuent à montrer le prestige de la princesse. Mais pour Audiger, les pages sont placés pour acquérir des vertus, honnêteté, obéissance, fidélité, et servir leur maître comme le rappelle l’Encyclopédie « c’est un enfant d'honneur qu'on met auprès du prince & des grands seigneurs, pour les servir, avec leurs livrées, & en même tems y recevoir une honnête éducation, & y apprendre leurs exercices »45. Leur éducation est confiée à un maître de mathématiques, d’armes, de danse, et d’équitation. La maison princière est le lieu de l’affirmation et de la transmission des valeurs nobiliaires. C’est un lieu d’acquisition de savoir avec notamment les mathématiques. Le courage, l’honneur, la vertu46 sont exaltés par l’apprentissage du métier des armes et de l’équitation, par le port de la livrée aux armes de la princesse et par l’obéissance au maître et à l’écuyer. Enfin, l’éducation passe par le modelage du corps selon les normes de la vie nobiliaire et aulique. La danse aussi bien que l’exercice des armes façonnent un corps contraint qui répond aux exigences de la vie à la cour et permet de distinguer ceux qui connaissent et maîtrisent les codes des comportements.

Relativement modeste par rapport aux suites pléthoriques de la reine ou des princesses de la famille royale, la suite de la princesse de Conti est organisée selon son rang et sa place dans la hiérarchie princière. Elle participe à l’affirmation de la dignité singulière de la princesse que lui confère son appartenance à la famille de sang royal. En tenant dans le cérémonial le rôle d’intermédiaire entre la princesse et ses visiteurs, comme en témoigne le récit d’Alessandro Verri, les dames ou l’écuyer mettent en évidence le statut particulier du Grand. Plus largement, l’ensemble de la maison princière participe à l’éclat et au prestige de la maîtresse de maison.

2) Chambre, Bouche et Ecurie

L’étude de la domesticité de la princesse de Conti permet de saisir les besoins du service princier entre les différents secteurs qui l’organisent. C’est aussi un moyen de mesurer

43

Alessandro et Pietro VERRI, Voyage à Paris et à Londres, Paris, L. Teper, Ed. française 2004, 447 p., lettre d’Alessandro à Pietro, de Paris, le 7 novembre 1766, p. 83.

44

AUDIGER, op. cit., p. 81. 45

Encyclopédie, t. 11, p. 744. 46

Ellery SCHALK, L'épée et le sang : Une histoire du concept de noblesse (vers 1500-vers 1650), Paris, Champs Vallon, 1996, 189 p.

l’éclat de cette maison par l’analyse de la titulature ancillaire ainsi que la spécialisation du service qui semble relativement réduite.

a) Des effectifs modestes47

Le service de la Bouche réunit en 177648

huit personnes avec le contrôleur. Ses effectifs restent stables autour de huit à dix personnes et le nombre de domestiques n’est pas restreint lors du voyage de Bourbon-l’Archambault puisque huit serviteurs sont gagés en avril 178749

. Il faut y voir la preuve de sa nécessité pour la princesse de Conti. Cependant, ce service comprend des effectifs limités en comparaison de ceux de la maison Penthièvre, 21 personnes en 1778, mais les commensaux du duc et pair sont beaucoup plus nombreux ce qui implique un nombre supérieur de spécialistes du repas. De même, l’effectif du service de la Bouche de la duchesse de Bourbon est supérieur avec douze personnes.

Le secteur de la livrée rassemble à la fois les membres de l’écurie, les porteurs et valets de pieds, le suisse et le concierge de l’hôtel, soit au total dix-huit ou dix-neuf personnes, un effectif inférieur aux vingt-cinq hommes attachés au service de la duchesse de Bourbon. Enfin, le secteur de la Chambre est composé de huit à dix domestiques avec trois ou quatre valets de chambre, quatre femmes de chambre, une femme de garde-robe et une femme de charge à partir de 1780. Elle est cependant en deçà des effectifs pour Anne-Marie de Bourbon princesse douairière de Conti qui en 172350 a à son service douze domestiques pour la Bouche, vingt-six portant la livrée et seize pour la Chambre. Néanmoins, la supériorité numérique de sa maison n’est pas liée à sa qualité de veuve de Louis-Armand de Bourbon-Conti mais au fait qu’elle soit la fille légitimée de Louis XIV. La duchesse de Bourbon quant à elle possède des effectifs supérieurs avec douze personnes, quatre valets de chambre, quatre femmes de chambre, deux filles de garde-robe, une servante de garde-robe, une blanchisseuse. A ces effectifs, il faut ajouter les domestiques de certains serviteurs. Les membres de la suite aristocratique possèdent leurs propres domestiques. L’écuyer est aidé dans ses fonctions par un garçon. Le marquis et la marquise de Rochedragon, dame d’honneur de la princesse de 1776 à 1785, ont à leur service une femme de chambre, un laquais, un cuisinier et un cocher. La gouvernante Melle Marescotti est aidée par « deux filles ». Le suisse, le trésorier ont des garçons. Certains sont intégrés à la maison princière comme les garçons des

47

Voir Annexes 1, tableaux 23, 24 et 25. 48

Arch. nat., R3/173, pièce n° 11, état du deuil de la Maison, août 1776. 49

Arch. nat., R3/183, dépenses pour Bourbon-l'Archambault, pièce n°89, état des appointements et des gages pour le quartier d'avril 1787.

50

Arch. nat., R3/147, états des gages, pensions, étrennes et rentes du personnel de Marie-Anne de Bourbon, 1713-1729. 612 pièces.

pages, du contrôleur et sont gagés par la princesse. A l’inverse, les domestiques des dames suivantes ne sont pas appointés par Marie-Fortunée d’Este. Toutefois, ils bénéficient indirectement des retombées du service de leur maître : ils appartiennent aux commensaux de la princesse et sont logés à l’hôtel du Lude.

b) Le prestige du service princier

Les titulatures des domestiques de la princesse de Conti rappellent le prestige et la spécificité du service. L’usage du terme de contrôleur pour qualifier le responsable de la Bouche est une prérogative princière. Comme l’indique le dictionnaire de l’Académie, la titulature de l’officier de bouche varie selon la qualité du maître de maison : « On appelle dans la Maison des Princes, Contrôleur, l'officier qui exerce à peu près les mêmes fonctions qu'exerce le Maître d'Hôtel dans la maison des particuliers »51

. Pour l’écurie, le responsable de l’approvisionnement et des dépenses est alternativement qualifié de receveur ou de délivreur. Le dernier terme renvoie directement au modèle royal car il désigne « Celui qui, dans les magasins du Roi, est chargé de délivrer aux troupes les rations de fourrage, de biscuit; celui qui, dans le manège, distribue l'avoine, etc. »52

. De même, la présence de valets de pied dans la suite de la princesse est un autre élément qui distingue les princes des aristocrates qui n’emploient que des laquais comme le rappelle l’Encyclopédie : « Les princes & les gens de basse condition n'ont point de laquais ; mais les premiers ont des valets de pié, qui en font la fonction & qui en portoient même autrefois le nom; & les seconds ont des valets de labeur. ». Audiger ne fait pas mention pour son seigneur de valets de pied mais de laquais. Enfin, l’emploi d’un suisse pour surveiller les portes de l’hôtel est un dernier élément distinctif car les maisons particulières n’ont que des portiers ainsi que le rappelle la définition du dictionnaire de l’Académie : « Lorsque celui qui a soin d'ouvrir et de fermer la porte d'une grande Maison, est Suisse et porte l'épée et le baudrier, on ne l'appelle plus Portier, on l'appelle Suisse » et Louis-Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris précise : « Les suisses ont le privilège de garder les portes des édifices publics, des jardins royaux, du chœur des églises, de devenir sentinelles sous le vestibule des palais, et d'être comme inhérents aux hôtels »53

.

L’analyse des fonctions de certains domestiques de la princesse montre le souci de se démarquer par l’usage d’une titulature qui met en évidence la spécificité du service princier. Néanmoins, l’éclat de la maison semble modeste dans la mesure où il s’agit d’une maison aux

51

Dictionnaire de L'Académie française, 4e Edition, 1762, « contrôleur », p. 391. 52

Ibid., p. 387. 53

L.-S. MERCIER, Tableau de Paris, Amsterdam, 1783-88, 12 tomes en 6 vol., t. V-VII, chapitre 370 « portiers », p. 30.

effectifs peu nombreux et où la spécialisation des fonctions ancillaires n’est guère poussée. c) Les limites : une spécialisation incomplète

Cette spécialisation incomplète des fonctions ancillaires est particulièrement visible dans le domaine de la Bouche. Si la répartition entre la cuisine et la pâtisserie est nette avec la présence d’un chef d’office aidé d’un pâtissier et d’un garçon d’office et d’un chef cuisinier secondé d’un aide rôtisseur et éventuellement en fonction des périodes de garçons de fourneaux, le nombre d’aides de cuisine apparaît limité par rapport à d’autres maisons. Audiger recommande en effet la présence d’un garçon d’office, de deux garçons de cuisine et d’une servante de cuisine54

. Le prince de Conti emploie en 1772 douze garçons ou aides de cuisine. En 1786, lors de deux réceptions importantes, la princesse est obligée d’employer des aides supplémentaires, signe d’une domesticité limitée. De plus, un certain nombre de fonctions sont absentes de la maison princière : un pourvoyeur, un sommelier, un échanson, ou les responsables des batteries de cuisine ou de l’argenterie. D’autres sont mal caractérisées. Le valet de chambre a différentes attributions : il y a un valet de chambre-coiffeur ou un valet de chambre-tapissier qui remplit parfois les fonctions de concierge. Quant aux fonctions les plus modestes dans la hiérarchie ancillaire, elles sont vaguement définies puisque ce sont des garçons ou des aides dont le nom et le nombre varient au gré des besoins.

Ainsi, la maison parisienne de la princesse décalque le modèle canonique des trois secteurs de la Bouche, de l’Ecurie et de la Chambre. L’analyse des effectifs montre la spécificité du service princier qui impose une grande diversité de domestiques et notamment une écurie nombreuse et des titulatures qui rappellent la filiation avec le service royal. Mais les effectifs demeurent modestes, la spécialisation moins poussée que dans d’autres maisons princières. De même, le service de la princesse de Conti est majoritairement centré sur l’hôtel parisien même s’il existe d’autres domestiques qui ont un contact plus épisodique avec la princesse.