• Aucun résultat trouvé

La suite aristocratique de Marie-Fortunée d’Este

A. Une noblesse ancienne

Par le croisement de ces documents il est possible de suivre l’évolution de cet entourage afin de comprendre dans quelle mesure la séparation de 1776 se traduit par une recomposition de la suite nobiliaire. L’examen des membres de ce cercle princier permet de dégager les traits caractéristiques de ces familles nobiliaires tout en mettant en évidence plusieurs inflexions. L’analyse des voies d’intégration de la maison fait apparaître le rôle des intermédiaires et l’importance des réseaux familiaux et géographiques. Etudier la suite aristocratique pose également la question des retombées du service princier.

I. UNE NOBLESSE D’EPÉE, ANCIENNE ET PROVINCIALE

L’ensemble documentaire a permis d’identifier les nobles qui se succèdent au service de la princesse. De leurs portraits se dégagent des caractéristiques communes mettant en lumière les critères qui préludent au recrutement de la suite nobiliaire. La formation de ce cercle autour de la princesse est soumise à des règles précises et communes à l’ensemble des maisons princières et elle révèle aussi les choix de la famille Conti et de la princesse à partir de 1776. S’attirer les services de familles puissantes et renommées rejaillit sur la maison princière et contribue à rehausser son prestige. Il faut donc voir si la princesse de Conti y parvient tout particulièrement à partir du moment où elle forme une maison indépendante. Tout d’abord, l’accès à la maison princière dépend de la capacité du noble à pouvoir attester d’une noblesse ancienne. La renommée de la famille, la qualité de son service militaire sont des critères déterminants mais tous les nobles n’y répondent pas avec la même acuité. L’analyse des assises territoriales de ces familles doit être menée avant et après 1776 afin de rechercher les incidences de la séparation sur la géographie du recrutement.

A. Une noblesse ancienne

L’intégration à la maison princière est soumise à plusieurs règles variables selon les fonctions. Toutes sont fondées sur la présentation de preuves attestant une noblesse ancienne.

5

Robert Descimon a souligné les limites d’une telle source dans son article « Elites parisiennes entre XVe et XVIIe siècles, du bon usage du Cabinet des Titres », Bibliothèque de l’École des chartes, 1997, Vol. 155, n° 155-2, p. 607-644, p. 610.

6

Service Historique de l’armée de Terre, Vincennes, Yd : dossiers d’officiers généraux ; Ye : Dossiers d’officiers supérieurs et subalternes.

7

Après avoir présenté les règles qui fixent l’admission à la maison princière, il s’agit de comprendre comment ces familles satisfont à ces conditions. L’exemple de l’accès à la maison princière montre que la procédure de la preuve mise en place par la monarchie est répandue et acceptée par les lignages nobles

1) Les règles d’accès à la maison princière

L’accès au service princier est soumis à deux règles différentes pour les pages et les dames suivantes. La présentation aux souverains est une condition sine qua non pour obtenir une place dans la maison. Pour cela, les dames suivantes doivent posséder une filiation suffisamment ancienne pour obtenir les honneurs de la cour. Les preuves de noblesse sont validées par le généalogiste du roi, Bernard Chérin8

. Avec le règlement du 31 décembre 1759 complété par l’ordonnance du 17 avril 1760, on assiste à un durcissement des conditions d’accès : le requérant doit produire trois titres originaux sur chacun des degrés de sa famille établissant une filiation depuis 14009

. Pour les pages, l’accès est plus ouvert que les honneurs de la cour. Néanmoins, les conditions sont de plus en plus strictes au cours du XVIIIe siècle. L’exigence de preuves pour les pages n’est pas trop sévère jusqu’en 1721 avec quatre degrés de noblesse, mais se renforce ensuite puisqu’il faut désormais prouver une noblesse remontant à 1550 pour les écuries royales10 et pour les écuries des princes de Condé11 tandis que le duc de Penthièvre et la famille Conti n’imposent que deux cents ans12.

2) Obtenir les honneurs de la cour

La difficulté pour les familles souhaitant intégrer la maison princière est d’asseoir leur généalogie sur des preuves jugées fiables.

Si toutes les familles possèdent une noblesse ancienne, rares sont celles qui peuvent prouver une noblesse depuis 1400. Pour les femmes mariées, les preuves doivent être celles de la belle-famille. Ainsi, la marquise de la Fresnaye Saint-Aignan en 1775 est admise aux

8

Nicolas-Pascal Clairambault est généalogiste du roi de 1716 à 1758, Jean-Nicolas Beaujon (1722-1779) exerce du 17 avril 1758 à janvier 1772, Bernard Chérin (1718-1785) de février 1772 au 21 mai 1785 et son fils Nicolas (1762-1799) lui succède le 15 avril 1787.

9

Auparavant, le généalogiste se contentait d’exiger 300 ans de noblesse. 10

Louis Nicolas Hyacinthe CHERIN, Abrégé chronologique : d’édits, déclarations, règlements, arrêts et lettres

patentes des rois de France de la troisième race concernant le fait de la noblesse. Précédé d’un discours sur l’origine de la Noblesse, ses différentes espèces, ses droits et prérogatives, la manière d’en dresser les preuves, et les causes de sa décadence. Paris, Royer, 1788.

11

Bibliothèque de Chantilly, fondation Condé, Cabinet des Titres, 2-AB-369, Registre des règlements de la maison du prince de Condé, 1771-1779.

12

Benoit de FAUCONPRET, Les preuves de noblesse au XVIIIe siècle, la réaction aristocratique : avec un recueil de tous les ordres, honneurs, fonctions, écoles, chapitres réservés à la noblesse, Paris, l’intermédiaire des

honneurs de la cour car la famille de son mari peut prouver sa filiation jusqu’en 137913

. La comtesse de la Myre-Mory possède une filiation depuis 137314

. La comtesse de Sabran obtient sans difficulté les honneurs de la cour en 1762 comme le rappelle le duc d’Aumont, premier gentilhomme de la chambre, au généalogiste du roi :

« Quoique cette maison soit trop connue pour avoir besoin de produire ses titres, j’ai demandé pour le maintien et l’affermissement de la règle que Monsieur de Sabran passât chez vous ; il ne paraît nullement nécessaire qu’il vous remette ses titres, il suffit que vous preniez la peine de m’écrire que vous l’avez vu et que son nom est trop ancien et trop distingué pour vous paraître susceptible de l’examen ».

Le lignage remonte en effet à Guillaume de Sabran vivant en 102915. Cet exemple montre l’importance de la renommée qui peut venir suppléer des preuves insuffisantes. Certaines familles rencontrent des difficultés pour obtenir des preuves datant de 1400. Selon la généalogie de la famille, la noblesse de l’époux de la dame de compagnie Adélaïde de Sailly remonterait à Guillaume de Rochedragon qui affranchit la ville de Marcillat16 en 1258. Or, les preuves apportées par la famille sont insuffisantes comme le rappelle le généalogiste du roi :

« la filiation jusqu’à Jean-François de Rochedragon son chef actuel n’est prouvée que par des copies, collations (…) lesquelles ne sont admissibles en preuves ni de filiation ni de noblesse »17.

Les preuves valides ne vont pas au-delà de 1441. Néanmoins, comme l’indique Chérin, « la maison de Rochedragon est connue depuis plus de 500 ans »18

ce qui leur permet d’obtenir une dérogation. Selon Chérin, la renommée des généalogies ne se discute pas. Elle permet aux dames d’être présentées en dépit de preuves qui ne remontent majoritairement que dans les années 142019

-144020

. Seule, la comtesse de Courson ne bénéficie pas de cet honneur21

, faute

13

BNF, Mss français, Clairambault 934 ; François BLUCHE, Les honneurs de la cour, Paris, les Cahiers nobles, 1958, 2 vol.

14

BNF, Mss français, Chérin 137, de la Myre-Mory. 15

BNF, Mss français, Chérin 182, de Sabran. 16

Marcillat est située en Combraille. 17

BNF, Mss français, Clairambault 934 et Chérin 174, preuves de noblesse de Jean-François de Rochedragon pour l’obtention des Honneurs de la cour, 1774.

18

BNF, Mss français, Chérin 174. 19

Les preuves apportées par la comtesse du Dresnay des Roches ne remontent qu’à 1424, BNF, Mss français, Clairambault 934 ; celles de la comtesse d’Oisy ne remontent qu’à 1421, BNF, Mss français, Chérin 9, d’Assignies d’Oisy.

20

La marquise du Puget de Barbentane ne peut prouver qu’une noblesse remontant à 1444, BNF, Mss français, Chérin 13, de Barbentane.

21

de preuves suffisantes22

.

On retrouve le même profil pour les familles de la noblesse qui souhaitent entrer au service d’un prince : la noblesse doit être ancienne et démontrée à l’aide de preuves validées par les généalogistes du roi. Ces exemples montrent l’importance des documents, des preuves, de leur validité même si des dérogations sont possibles23

.

3) Une procédure de la preuve acceptée

Plus largement, attester d’une noblesse ancienne est une condition exigée pour intégrer les lieux de formation offerts par la monarchie. Pour beaucoup, elle est liée à l’admission aux écuries royales principalement au XVIIe siècle. Par exemple, le marquis de Rochedragon fut page de la petite écurie24

. Les exemples pourraient être multipliés avec les d’Oisy25

, les Chamborant de la Clavière26

, les Dupont de Compiègne27

. Elle est obligatoire pour intégrer les pages des maisons princières comme celle de Marie-Fortunée d’Este. Maximilien de Salvador page en 1782, atteste d’une noblesse prouvée jusqu’en 1526 et Denis-Charles d’Hozier certifie à « SAS madame la princesse de Conty que Louis-Charles Marie [de Montarby] né le 9 décembre 1770 a la noblesse nécessaire pour être admis au nombre des pages de SAS »28

et authentifie neuf degrés de noblesse qui remontent jusqu’en 1527.

De même, l’entrée aux écoles militaires impose la présentation de preuves de noblesse et de nombreuses familles au service de la princesse envoient leurs fils dans ces établissements. Les petits-fils de l’ancienne dame d’honneur de la comtesse de la Marche, Antoine-Marie et Antoine-Louis de la Myre-Mory entrent dans les écoles militaires en 1784 et 178629. Les frères de deux pages, Nicolas-Laurent de Montarby30 et Antoine Joseph Charles Dupont de Compiègne sont admis aux écoles militaires31. Les sœurs des pages intègrent fréquemment Saint-Cyr dont les lettres patentes de 1686 imposent quatre degrés de noblesse paternelle. Gabrielle Euphrasie de Montarby, Joséphine Dupont de Compiègne et la sœur de

22

Malgré les indications de la biographie familiale, Robert de COURSON DE LA VILLENEUVE, Histoire

d'une maison bretonne et de ses origines anglo-normandes, Vannes, 1895-1908, 3 vol. 23

François Bluche note ainsi que sur 942 familles présentées aux Honneurs de la cour de 1715 à 1790, seules 462 ont été capables de présenter une filiation prouvée jusqu’en 1400.

24

BNF, Mss français, Carré d’Hozier 545, preuves de noblesse pour l’entrée aux écuries royales de Jean-François de Rochedragon, 25 juin 1756.

25

Octave-Eugène d’Assignies est ainsi page de la grande écurie en 1673, BNF, Mss français, Dossiers Bleus 55, Chérin 9.

26

Pierre de Chamborant de la Clavière est admis à la grande écurie en 1670, André-Claude frère de la dame suivante en 1745 à la petite écurie, BNF, Mss, Carrés de d’Hozier, 166.

27

BNF, Mss français, Carrés de d’Hozier, 166, Dupont de Compiègne. 28

BNF, Mss français, Nouveau d’Hozier 242, de Montarby. 29

BNF, Mss français, Nouveau d’Hozier, 251 de la Myre-Mory. 30

BNF, Mss français, Procès-verbaux des admissions aux écoles militaires, 1780, PV 44. 31

Maximilien de Salvador accèdent à l’école fondée par madame de Maintenon qu’avait fréquentée avant elle la mère des pages de Villereau, Françoise Eléonore de la Boussardière de Beaurepos.

Enfin, intégrer l’ordre de Malte ou de Saint-Antoine du Viennois est aussi le moment où le noble doit démontrer l’ancienneté de sa noblesse. Pour devenir chevalier de l’ordre militaire et hospitalier Saint-Jean de Jérusalem32

, le candidat doit prouver huit quartiers de noblesse. L’originalité de l’admission dans l’Ordre réside dans la persistance des preuves testimoniales. « Sanctuaire de la plus pure noblesse »33

, l’appartenance pluriséculaire à l’ordre de Malte renforce la réputation et le prestige des maisons. L’époux de sa dame d’honneur, la comtesse de Mory, François-Jean de la Myre34 est chevalier de minorité en 1737 puis page du grand maître. La famille de Chamborant est composée de chevaliers35 tout comme celle de Rochedragon ou de Sabran. La dernière dame de compagnie de la princesse est chanoinesse de l’ordre de Saint-Antoine du Viennois rattaché à celui de Malte en 1776, en décembre 178936. Les chevaliers ne se retrouvent guère parmi les pages mais Louis-Charles-Marie de Montarby fait exception en étant chevalier de minorité en 177137 avant d’entrer au service de la princesse en 1784.

Ainsi, l’analyse des conditions d’accès à la maison princière précise que les nobles au service de la princesse de Conti appartiennent à des familles d’ancienne noblesse. Les lignages des dames suivantes remontent au XVe siècle tandis que ceux des pages sont plus récents et datent majoritairement du XVIe siècle même si certains peuvent attester d’une noblesse datant de 1375 à l’instar des Montarby de Dampierre. Au-delà, l’appartenance de ces familles à la très ancienne noblesse est la preuve de leur engagement militaire.