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Les finances d’une princesse du sang

B. Gérer les comptes : les hommes de papier

De taille et de rang modeste, la maison est administrée par un petit nombre d’hommes de confiance. Il n’y a pas de conseil à la différence de la maison Conti et la gestion des finances est entre les mains d’un homme qui joue le rôle de trésorier et de secrétaire des commandements. Il tient les comptes, est un intermédiaire essentiel entre la princesse, les autres domestiques et les marchands. C’est un homme de confiance dont la princesse de Conti reconnaît la fidélité et les qualités.

1) Une maison princière réduite

La princesse de Conti ne possède pas de conseil car c’est un privilège des princes ou des princesses douairières dont la maison figure dans les Etats du roi. Selon l’Encyclopédie, les conseils sont « des assemblées composées de certains officiers de leur maison et finances. Le droit d'avoir un conseil en titre n'appartient qu'aux enfants et petits-enfants de France, et au premier prince du sang, qui ont une maison couchée sur l'état du Roi ». Par extension, les autres princes du sang, possèdent un conseil à la portée plus limitée notamment dans le domaine judiciaire68.

Les hommes chargés des finances de la princesse sont dès lors en nombre réduit. La princesse n’a pas d’avocat ou de notaire à son service particulier. La gestion du domaine de Triel est confiée à François Chenou, receveur des domaines du prince de Conti à Meulan69. C’est un homme de loi également notaire à Meulan de 1766 à 1790. L’administration des biens de la princesse de Conti reste ainsi placée sous l’autorité indirecte de son époux. Le receveur, c’est-à-dire « celui qui est chargé de faire recettes », conduit pour la princesse les baux des terres dont elle a l’usufruit70

et vérifie la gestion du domaine.

68

Encyclopédie, article « Conseils des princes du sang », t. 4, p. 14. 69

Arch. nat., ET/LXXIII/1033, procuration de la princesse de Conti à François Chenou, 16 mai 1782. 70

Arch. dep. Yvelines, par exemple 3E 42/ 117, Me Drouin, 5 novembre 1783, 5 mai 1784, baux entre la princesse et plusieurs particuliers.

2) Le rôle central du trésorier-secrétaire

L’homme clef des finances de la princesse du sang est le trésorier appelé également secrétaire des commandements. Cette titulature est un privilège réservé aux secrétaires des princes du sang : « On appelle Secrétaires des Commandements, les principaux Secrétaires des Princes et Princesses de la Famille et de la Maison Royale »71

. Cet homme est aux ordres de la princesse qui lui accorde des subsides par des ordonnances. Ce terme employé dans les comptes est lié à la puissance royale, c’est un « Règlement fait par une ou plusieurs personnes qui ont puissance de le faire. Il se dit particulièrement des Lois et Constitutions du Prince Souverain »72

. Le secrétaire est un intermédiaire précieux et transmet les ordres et les décisions de la princesse de Conti.

Comme trésorier, il est « celui à qui est confié la garde du trésor »73 et tient les registres des dépenses et des recettes. Il est le gardien de l’argent de la princesse et détient une procuration pour récupérer les pensions de la princesse qu’il va chercher au Trésor Royal et chez le prince de Conti. Il accorde à chaque responsable de secteur les sommes nécessaires au paiement des fournisseurs après la vérification des mémoires et l’accord de la princesse. Il fait l’avance des dépenses personnelles de la princesse sur ses fonds propres en attendant son remboursement. De ce fait, son assise financière doit être solide. Le contrat de mariage de Brési indique qu’il apporte à la communauté la somme de 3 000 livres mais l’acte notarié est muet sur les biens propres du trésorier qui ne sont pas intégrés à la communauté74

.

Les comptes placent en exergue le rôle central du trésorier-secrétaire des commandements dont la double fonction se retrouve dans la maison de la duchesse de Bourbon au moment de sa séparation. Le « secrétaire des commandements, chargé des affaires et trésorier » constitue à lui seul le « conseil » de la nouvelle maison princière féminine.

3) Des trésoriers fidèles

Deux trésoriers sont mentionnés. Armand Brési présent dès 1759 occupe la fonction de trésorier de la maison de 1776 jusqu’à sa mort en décembre 1782 ; Jean-Baptiste Lombard lui succède et demeure au service de la princesse au moins jusqu’en 1792.

La documentation sur les trésoriers est déséquilibrée. Peu d’informations sur Lombard ont été retrouvées. Il n’est pas mentionné dans les comptes avant qu’il ne remplace Brési. Il n’appartient pas à la maison de la princesse qui a fait le choix de prendre un trésorier extérieur

71

Dictionnaire de l'Académie française, 4e édition, 1762, article « commandement », p. 336. 72

Ibid., « ordonnance », p. 260. 73

Dictionnaire de l’Académie, 4e éd., 1762, « trésorier ». 74

pour succéder à son homme de confiance. Aucun membre de sa famille n’est au service de la princesse. A l’inverse, Armand ou Ermanno Brési est un peu mieux connu. C’est un Modénais naturalisé Français le 13 mai 177275

. Avant d’entrer au service de la comtesse de la Marche, il mène une carrière d’agent diplomatique au service du duc de Modène. En 1745, il est envoyé à Rome, d’avril à juin 1748 il est à Turin. Parallèlement, il sert la famille ducale pendant les années 1740-1750. Il est chargé de dresser la liste des gratifications accordées aux membres de la maison ducale lors de la venue du duc de Penthièvre à Modène en 175576

. Il est au service de la duchesse de Modène à Paris. Il revient en France appelé par la comtesse de la Marche comme le précise Boursier, chargé des affaires du duc, dès le 2 avril 1759 : « J’ai eu le bonheur de lui obtenir presque malgré elle une grande douceur et une grande consolation, c’est un secrétaire italien qu’elle fera venir elle-même et qu’apparemment elle doit demander à VAS »77. Brési arrive un an plus tard lorsque la comtesse de la Marche adresse sa supplique à son père :

« Je viens de perdre un de mes valets de chambre et monsieur le comte de la Marche me laissant la liberté de le remplacer j’ai souhaité d’avoir auprès de moi quelqu’un de ma nation dont la probité me fut connue à qui je put prendre confiance et qui fut capable en même temps d’écrire mes lettres italiennes et je ne connais pas personne qui réunisse autant toutes ces qualités-là que Brési qui a l’honneur de vous appartenir »78.

L’accent est mis par la comtesse de la Marche sur la volonté d’avoir un homme de confiance et un Modénais ayant déjà prouvé son attachement et sa fidélité à sa famille. Cependant la position du trésorier est double car il représente à partir de 1781 les intérêts du duc de Modène en France. Brési joue le rôle de représentant diplomatique de duc de Modène de décembre 1781 après le décès de l’abbé Contri à sa propre mort en décembre 1782. Cette seconde fonction est une autre preuve de l’attachement de ce serviteur à la famille d’Este-Modène et de la confiance accordée par la famille ducale.

Le rôle de trésorier est très important dans le fonctionnement de la maison. Les qualités mises en avant dans le choix de Brési, probité, fidélité… montrent qu’il est l’homme de confiance de la princesse. Néanmoins, son parcours comme agent diplomatique, les

75

Arch. nat., O1235, lettres de naturalité d’Armand Brési, 12 mai 1772. 76

ASMo, Casa e stato, 475. 77

ASMo, Cancelleria ducale estero, Ambasciatori Agenti, corrispondenti estensi, Francia, 213, Le Boursier, année 1759, lettre du 2 avril 1759.

78

ASMo, Carteggio principi Esteri, Busta 1567/12, Lettres de Marie-Fortunée d’Este à son père le duc de Modène, 1759-1764, lettre du 24 avril 1760.

qualités qui lui sont reconnues, sa capacité à rédiger des lettres soulignent qu’il s’agit davantage d’un homme de plume que d’un homme de chiffres. Cette spécificité se traduit dans l’organisation interne des comptes et l’absence de divisions en chapitres thématiques. Il gère les dépenses mais la princesse conserve le pouvoir d’accorder ou non les subsides.