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UN TRAIN DE VIE ARISTOCRATIQUE ET FÉMININ A LA

Chapitre 5 Les résidences

A. Des travaux longs et coûteux

Les réalisations sont rythmés par les changements dans les modalités d’occupation de l’hôtel. Les travaux se distinguent par leur ampleur, leur durée et leur coût bien mis en évidence par les comptes

L’installation de 1776, le renouvellement du bail en 177891 et l’acquisition de l’hôtel en 178792 entraînent de longs travaux qui durent plusieurs mois : de février à décembre 177693 et de janvier à octobre 1779. Après l’achat de l’hôtel, les travaux commencent en octobre 178794 mais ne sont pas encore achevés quand la princesse quitte la France en juillet 1789. Ils

90

L.-S. MERCIER, op. cit, chap. ameublements, p. 284. 91

Arch. nat., ET/XXIII/761, Me Brichard, 11 août 1778, bail de l’hôtel de Grimbergh de Martial de Giac à madame la princesse de Conti.

92

Arch. nat., ET/LXXI/78, Me Rouen, vente entre de Giac et Drugeon, 14 juin 1787. 93

ASMo, Cancelleria ducale estero, Ambasciatori Agenti, corrispondenti estensi, Francia, 220, abbé Contri, lettre du 9 décembre 1776.

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sont onéreux : le compte général de 1777 qui reprend les dépenses engagées depuis mars 1776, atteint 51 353 livres95

. Avec les différents travaux de serrurerie, de menuiserie, vitrier ... le total avoisine les 60 000 livres. En 1779, les travaux de rénovation selon la convention du 11 août 177896

sont estimés à 21 000 livres ; un mémoire de l’architecte Convers en 178897

établit le récapitulatif des travaux des gros œuvres à 36 724 livres pour la période mai 1778-mars 1779. Enfin, les derniers travaux de 1787 à 1778-mars 1789 atteignent un total de 30 581 livres, dont 5 338 livres pour 1787 et 25 243 livres de janvier 1788 à fin mars 178998

. L’ampleur des travaux contribue à alourdir les factures. En 1776, les 1 198 journées de travail d’ouvriers et les 473 journées de travail de garçons reviennent respectivement à 1 198 livres et 1 182 livres 10 sols99.

Si les comptes mettent à jour le poids financier des travaux, ils dévoilent le rôle de la princesse qui veille aux dépenses et à la bonne réalisation des aménagements demandés. Son rôle de maîtresse des dépenses est confirmé par l’attention qu’elle porte aux mémoires et aux factures. Elle demande, comme on l’a vu, un compte-rendu des travaux en 1777 à Brési. Elle surveille le déroulement des travaux et semble décider des aménagements à effectuer comme le précise le trésorier : « M. Delaine ayant meublé l’hôtel de Grimberg, selon l’état qui lui avait été donné et de la manière qu’on lui avait prescrite ». La correspondance diplomatique atteste de son attention en 1776 : elle se rend plusieurs fois à Paris pour surveiller l’avancée des travaux et assister à la bénédiction de la chapelle de l’hôtel.

La princesse suit la mode largement répandue dans l’aristocratie à la fin du XVIIIe siècle de dépenser de fortes sommes pour rénover, embellir son intérieur. Les montants engagés sont importants mais moindres que ceux des autres nobles. Par exemple, le comte d’Artois dépense 30 000 livres pour sa salle à manger, la duchesse de Mazarin 70 000 livres pour son grand salon d’assemblée100

. Entre les trois grandes vagues de travaux, la princesse manifeste un intérêt constant pour l’entretien et l’aménagement de son hôtel. L’hôtel du Lude est un chantier quasi-permanent101

, témoin de la capacité de la princesse à entretenir un logement digne d’elle et à le modifier en fonction des modes. C’est aussi le reflet de l’intérêt

95

Arch. nat., R3/173, dépenses particulières, pièce n°69, compte général de tous les meubles, ouvrages et travaux, janvier 1777.

96

Arch. nat., ET/XXIII/761, Me Brichard, 11 août 1778, convention entre madame la princesse de Conti et Martial de Giac

97 Arch. nat., R3/181, dépenses particulières 1788, pièce n°28, état des mémoires d’ouvriers, 20 mai 1788. 98

Voir le chapitre 3. 99

Arch. nat., R3/173, dépenses particulières 1776, pièce n°76, mémoire des dépenses faites par Delaine, 29 octobre 1776.

100

Alexia LEBEURRE, Le décor intérieur des demeures à la mode dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle (Paris-Ile de France), thèse d’histoire de l’art, 2006, 6 vol., p.179.

101

de la princesse pour ce domaine de l’apparat.

B. Une princesse et son architecte

De 1776 à 1789, la princesse de Conti fait appel au même architecte, Pierre-Claude Convers, qui joue un rôle central dans la direction des travaux. Le choix d’un homme peu renommé qui n’a jamais travaillé pour les Conti ou à l’hôtel du Lude avant 1776, résulte d’une décision personnelle de la princesse. Il démontre la part d’autonomie de la princesse pour l’embellissement de son hôtel et révèle la forme de patronage exercée par Marie-Fortunée d’Este auprès de son architecte. La princesse reprend une politique de mécénat menée par les femmes et tout particulièrement dans les arts. Son exemple permet de découvrir un aspect particulier de ce qu’il est possible d’appeler, en reprenant un terme anglo-saxon, un matronage princier, et de voir comment il s’exerce sur un homme particulier puis de saisir quelles sont les retombées pour l’architecte de la protection de la princesse du sang.

1) Un exemple de matronage princier

Des études récentes102

et nombreuses se sont intéressées au mécénat féminin dans le domaine de l’art en privilégiant les figures des reines et notamment de Catherine de Médicis consacrée « mécène idéale »103. La protection littéraire de certaines princesses ou de reines, comme à la Renaissance Marguerite de Navarre, a été soulignée104

. Plus largement, leur patronage dans le domaine artistique a été étudié tout particulièrement avec les salonnières du XVIIIe siècle comme de mesdames Geoffrin ou du Deffand. Ces travaux ont questionné les conditions et les motivations qui favorisent le matronage et le contrôle des femmes sur leurs finances est souvent un préalable. Le patronage est un moyen de défendre et de promouvoir une famille, un nom. C’est une expression de la spiritualité et de l’identité de ces femmes105.

Depuis peu, la protection féminine dans le domaine architectural a été réévaluée afin de mettre en évidence le rôle des femmes dans les carrières des architectes106. Claude-Nicolas Ledoux107 est d’abord encouragé par sa mère et sa marraine108 avant que la protection de

102

Kathleen WILSON-CHEVALIER (dir.), Patronnes et mécènes en France à la Renaissance, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2007, 681 p. ; Cynthia LAWRENCE, Women and art in early

modern Europe, Patrons, collectors and connoisseurs, University Park, Pennsylvania state University press,

1997, 263 p. 103

Sheila FFOLLIOTT, « La reine mécène idéale de la Renaissance : Catherine de Médicis … », dans K. WILSON-CHEVALIER (dir.), Patronnes et mécènes… op. cit., p. 455-466.

104

Sheryl E. REISS, David G. WILKINS, Beyond Isabella: secular women patrons of art in Renaissance Italy, Kirksville, Truman State University Press, 2001, 339 p.

105

C. LAWRENCE (dir.), op. cit., Introduction. 106

T. HINCHCLIFFE, « Women and the practice of architecture », dans H. HILLS (ed.), Architecture and the

politics of gender... op. cit., p. 83-92. 107

madame du Barry ne soit déterminante. L’influence des femmes clientes des architectes est perceptible. Ce sont le plus souvent, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, des aristocrates veuves ou maîtresses d’hommes proches du pouvoir : madame d’Argenton maîtresse du duc d’Orléans charge Germain Boffrand de dessiner en 1704 l’hôtel d’Argenton ; Claude-Nicolas Ledoux travaille à bâtir le pavillon de musique de la favorite du roi à Louveciennes ; la princesse de Monaco recommande Alexandre-Théodore Brongniart, son architecte, au prince de Condé pour la réalisation d’un hôtel pour sa fille en 1781-1782. Les exemples sont multiples et montrent en définitive des femmes bénéficiant d’une certaine indépendance qui se traduit dans la pierre.

La princesse de Conti exerce le patronage d’un architecte dont la renommée est à la mesure du prestige de la princesse de sang. Même s’il a travaillé pour d’autres demeures aristocratiques, Pierre-Claude Convers reste méconnu voire presque inconnu.

2) Un choix en rupture

En employant Pierre-Claude Convers, un architecte, la princesse rompt avec les pratiques de sa famille. Pierre-Claude Convers saisi grâce aux comptes et son travail pour la princesse de Conti, intervient à l’hôtel du Lude en 1776109 puis de mai 1778 à mars 1779110 et en 1788111. Il appartient à une lignée d’entrepreneurs112, habite rue Cassette, dans la paroisse Saint-Sulpice113 et il est encore vivant en 1792. Qualifié d’architecte et d’entrepreneur de bâtiments par les sources114, il est uniquement désigné comme architecte dans les comptes de la princesse. Le statut professionnel de Convers est alors surévalué puisqu’il relève des arts mécaniques et non des arts libéraux. Toutefois, la princesse lui confie la direction des travaux et l’honore du titre d’architecte dont le prestige rejaillit sur elle-même. Mais ce n’est point un architecte patenté et ce choix suggère les contraintes financières avec lesquelles la princesse doit composer. Elle choisit un homme sans grande renommée et aux exigences financières réduites. Il se satisfait de 150 livres de gages semestriels en 1788 lorsque l’architecte Blève reçoit 10 650 livres pour la réalisation d’un grand hôtel faubourg du Temple. A défaut d’obtenir des gages considérables, Pierre-Claude Convers demeure fidèle à la princesse qui

108

Ibidem. 109

Arch. nat., R3/173, dépenses particulières 1776, pièce n°23, mémoire du serrurier « sous le contrôle de Convers architecte, mars 1776 », mars 1776.

110

Arch. nat., R3/181, dépenses particulières 1788, pièce n°28, 20 mai 1788, état des mémoires d’ouvriers. 111

Arch. nat., R3/181, dépenses particulières 1788, pièce n°67, Etat des mémoires d’ouvriers remis à M. Convers par Lombard, mai 1788.

112

Un Pierre-Claude Convers architecte est déjà mentionné dans un acte du 29 janvier 1705, Mireille RAMBAUD, Documents du minutier central concernant l’histoire de l’art, Paris, 1976, 866 p., p. 41.

113

Arch. nat., ET/XXVII/522, Me Boursier, procuration, Pierre Claude Convers, 12 janvier 1792. 114

Arch. nat., ET/XXIII/636, Me Laideguive, quittance entre Pierre Convers entrepreneur de bâtiments et Rousseau de Chamoy, lieutenant du gouvernement de Paris, 25 mars 1761.

l’introduit et le recommande pour l’obtention d’autres chantiers.

3) Les retombées de la protection princière

La protection d’une communauté religieuse, celle des Filles de l’Union Chrétienne ou de Saint-Chaumont, est l’occasion pour elle de parrainer et d’introduire son propre architecte : Pierre-Claude Convers est chargé de réaliser la nouvelle église de Chaumont rue Saint-Denis à Paris de 1781 à 1782. La princesse de Conti, protectrice de cette communauté féminine, pose la première pierre du nouveau bâtiment en 1781. Elle contribue à sa décoration en faisant réaliser une Adoration des bergers par le peintre du roi Ménageot.

La protection assure à Convers publicité et postérité : son nom est cité dans les almanachs ou les guides de voyageurs. Le matronage princier est un élément distinctif et la gravure réalisée par Joseph Varin115

diffuse son nom. Dès lors, l’architecte est sollicité pour d’autres commandes. En 1781, Convers passe commande auprès du sculpteur Duret pour des ouvrages à destination de l’église de Triel et de Saint-Chaumont116

. Peut-être faut-il voir dans le choix de l’architecte de la princesse du sang par la comtesse de Narbonne-Pelet qui vit aussi rue Saint-Dominique et dont le nom apparaît dans les comptes117

le fruit du parrainage de la princesse.

Ainsi, l’architecte sert les initiatives architecturales de la princesse de Conti à la fois pour son hôtel mais aussi dans le domaine religieux, seul espace où elle peut faire entendre sa voix118

. Il est significatif de voir que Convers est le seul fournisseur qui se déclare ou est nommé « de la princesse de Conti » comme lors de la pose la première pierre de l’église de Saint-Chaumont119

en 1781-1782. La princesse est donc capable d’influencer le choix de communautés religieuses. Son matronage s’il est discret, est réussi.