• Aucun résultat trouvé

UN TRAIN DE VIE ARISTOCRATIQUE ET FÉMININ A LA

Chapitre 5 Les résidences

A. L’hôtel du Lude : un modèle d’hôtel aristocratique

Le logement est un élément essentiel de la consommation de prestige comme l’indique dès le XVIIIe siècle la définition de l’Encyclopédie : « les habitations des particuliers prennent différens noms, selon les différens états de ceux qui les occupent. On dit la maison d'un bourgeois, l'hôtel d'un grand, le palais d'un prince ou d'un roi. L'hôtel est toujours un grand bâtiment annoncé par le faste de son extérieur, l'étendue qu'il embrasse, le nombre & la diversité de ses logemens, & la richesse de sa décoration intérieure »27

. Il faut souligner que les Conti ne possèdent pas de palais à la différence des ducs d’Orléans qui vivent au Palais-Royal ou des princes de Condé qui résident au Palais Bourbon à partir de 1764. En 1776, la princesse doit changer de résidence. Par le choix d’une adresse prestigieuse, la princesse continue de vivre dans un entourage nobiliaire. L’étude de sa nouvelle habitation facilitée par une documentation détaillée met en lumière comment la demeure reprend l’agencement classique de l’hôtel aristocratique parisien.

1) De l’hôtel de la Marche à l’hôtel du Lude

Après avoir quitté l’enclos du Temple résidence du prince de Conti dans lequel elle a séjourné en attendant que l’hôtel de la Marche soit prêt, Marie-Fortunée demeure de 1760 à 1789 dans le quartier Saint-Germain au sud-ouest de Paris. Ce secteur est devenu à la fin du XVIIIe siècle le principal quartier aristocrate. Le « noble faubourg » appelé « le Versailles civil de Paris »28

concentre à la Révolution plus de 95 % des nobles cités par l’Almanach royal29

. De 1760 à 1776, le couple vit à l’hôtel de Rothelin-Charolais30

rue de Grenelle dans

27

Encyclopédie, t. VIII, p. 319. 28

François BOUCHER, Le faubourg Saint-germain, Paris, Hachette, ChVII « la société ». 29

laquelle résident au même moment le duc de la Force, la comtesse de Rochechouart, du comte de la Marck, Grand d’Espagne, le duc de Villars, pair de France.

En 1776, elle emménage rue Saint-Dominique à quelques rues de l’hôtel de la Marche. Elle a alors pour voisins, le président à mortier Molé qui vit à l’hôtel de Roquelaure ou à l’arrière de son jardin, Guillaume Pierre Tavernier de Boullongne, trésorier de l’ordre de Saint-Louis. Dans la rue Saint-Dominique résident à la même période, la princesse Kinsky, le duc de Crillon, la princesse de Monaco, maîtresse du prince de Condé. A l’autre extrémité de la rue, deux hôtels furent possédés par la famille Conti, le petit hôtel Conti revendu en 1776, et l’hôtel de Brienne. En 1776, elle choisit un logement dans l’une des rues les plus renommées de Paris.

Le prestige des hôtels occupés par la princesse s’exprime par la qualité des occupants. L’hôtel de la Marche est acquis par Anne-Louise Bénédicte de Bourbon-Condé, épouse du duc de Maine, prince légitimé31 qui l’agrandit. Elle y meurt le 15 avril 1758. L’hôtel passe alors à son petit-neveu, Louis-François-Joseph de Bourbon-Conti qui l’occupe jusqu’à la Révolution française. En avril 1776, la comtesse de la Marche s’installe dans un hôtel appartenant à Martial de Giac, maître des requêtes. Appelé tour à tour hôtel du Lude ou hôtel de Grimberghen, cet hôtel a été construit dans les années 1710, à la grande époque d’aménagement du faubourg Saint-Germain. Le premier propriétaire est François Duret32

. Il en accorde l’usufruit à Marguerite Suzanne de Béthune veuve d’Henri Daillon, duc de Lude qui donne son nom à l’hôtel. Il est ensuite acquis par Joseph Bonnier de la Mosson qui y effectue différents travaux. L’hôtel est alors célèbre pour son cabinet de curiosités. A la mort de celui-ci, l’hôtel est mis en location par la descendante du dernier propriétaire mariée au duc de Chaulnes33

. Le prince de Grimbergen en acquiert ensuite l’usufruit et donne son nom à l’hôtel qui, dans les différents actes, est tantôt appelé hôtel du Lude tantôt hôtel de Grimberghen avec plus ou moins de bonheur dans l’orthographe. Enfin, la sœur du duc de Chaulnes mariée à Martial de Giac le loue avant de le vendre en 1787 à Marie-Fortunée d’Este. En 1792, il devient la propriété de l’Etat34

. Au milieu du XIXe siècle, l’hôtel est en

30

Cet hôtel est occupé en 2010 par le Ministère de l'Immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire au n°101 de la rue de Grenelle.

31

M. CONTANS, « L’hôtel de Rothelin-Charolais », dans La rue de Grenelle, Paris, Délégation à l'action artistique, 1980, 55 p., p. 22.

32

Bruno PONS, « L’hôtel du Lude », dans La rue Saint-Dominique : hôtels et amateurs, Paris, Musée Rodin, 11 octobre-20 décembre 1984, Paris, Délégation à l'action artistique, 1984, 223 p.

33

Jean Moreau de Séchelles, contrôleur général des finances de 1754 à 1756 y réside avant de le quitter juste avant sa démission, Arnaud de MAUREPAS, Antoine BOULANT, Les ministres et les ministères du siècle des

Lumières, 1715-1789, étude et dictionnaire, Paris, Christian/JAS, 1996, 451 p., p. 325. 34

Il est occupé successivement par le Ministère de l’Intérieur, celui de l’Agriculture puis des Travaux Publics. En 1801, il est transformé pour un an en mairie. Ensuite, l’hôtel est vendu au profit de François Ignard puis de

grande partie détruit ; la dernière partie subsistante est complètement démolie lors des travaux d’Haussmann en 1866 et le percement du nouveau boulevard Saint-Germain. Son emplacement était à l’actuel numéro 244, mais il n’en reste aujourd’hui aucune trace.

Ces hôtels ont abrité différents propriétaires et locataires. Ils ont été dès le début conçus comme une demeure de prestige destinée à des membres de la noblesse. De même, ils ont abrité des ambassades. On passe en un siècle, de « l’hôtel aristocratique aux ministères »35

. Cette expression souligne combien l’hôtel est un enjeu de pouvoir, un exemple de la « consommation de prestige »36

. L’organisation, l’architecture doivent mettre en lumière, concrétiser dans la pierre la puissance du propriétaire ou de l’occupant : l’hôtel est « un attribut du pouvoir »37.

2) Un modèle d’hôtel particulier

L’hôtel du Lude est construit par Robert de Cotte qui poursuit l’œuvre et le travail de Mansart en le remplaçant comme premier architecte du roi38

à sa mort en 1708 et en construisant des hôtels pour la noblesse dans le noble faubourg. Il participe à l’élaboration de la galerie dorée de l’hôtel de Toulouse, construit l’hôtel d’Estrées rue de Grenelle ou l’hôtel du Maine ainsi qu’un hôtel pour la princesse de Conti en 1716. L’hôtel du Lude constitue son premier travail pour un particulier.

Cette réalisation suit l’agencement classique de l’hôtel comme les sources le montrent39. Blondel dans son Architecture française40 reprend en 1757 les plans dressés par Mariette dans son Architecture française de 1727 qui lui-même publie les dessins de Robert de Cotte. En 1759, le duc de Chaulnes, propriétaire de l’hôtel du Lude, souhaite vendre l’hôtel au roi. Une série de douze plans et un relevé des glaces de l’hôtel réalisé par Jourdain en 175941 permettent de connaître l’agencement intérieur et extérieur de l’hôtel à cette date. S’il n’existe pas de plans pour la fin du XVIIIe siècle, l’état de la maison de 1776 ainsi que les mémoires des différents travaux permettent de se faire une idée de l’organisation spatiale de

François-Christophe Kellermann duc de Valmy. A la mort du fils de ce dernier, l’hôtel est une ultime fois vendu, en 1843, au comte de Narcillac mais sa veuve est ensuite expulsée en 1859 avec l’agrandissement du ministère des travaux publics voisin, B. PONS, « L’hôtel du Lude », art. cit.

35

Natacha COQUERY, op. cit. 36

N. ELIAS, La société de cour, p. 49. 37

Natacha COQUERY, L’espace du pouvoir, de la demeure privée à l’édifice public, Paris 1700-1780, Paris, Seli-Arslan, 2000, 221 p.

38

Michel GALLET, Les architectes parisiens au XVIIIe siècle, Dictionnaire biographique et critique, Paris,

Mengès, 1995, 494 p., article « Robert de Cotte ». 39

Voir pièces justificatives 4, figures 25 à 44. 40

Jean-François BLONDEL, Architecture française, 1752-1757, Livre II, chap. XVIII, « Description de l’hôtel du Ludes ».

41

l’hôtel. A partir de l’émigration de la princesse, les sources sont plus lacunaires42

. L’hôtel suit le modèle classique de la construction entre cour et jardin43

; il est composé d’un corps de logis central entre le jardin et deux cours et de trois ailes en retour qui s’avancent vers la rue Saint-Dominique. Le logement du jardinier et la serre composent un autre ensemble à l’arrière du jardin44

. L’hôtel du Lude est l’un des plus vastes de la rue. Sa longueur est de 31 toises45

, 4 pieds et 12 pouces du côté de la rue Saint-Dominique et de 27 toises 4 pieds et 4 pouces sur le jardin. Sa profondeur est comprise entre 65 et 66 toises. Il se distingue tout particulièrement par l’étendue du jardin évaluée à 1 396 toises246 tandis que l’ensemble des bâtiments et des deux cours couvre une surface de 533 toises247. Le corps principal est composé d’un seul étage couvert par des greniers. Celui, au centre, en retour d’équerre ne comporte initialement qu’un seul niveau48 avant que ne soit réalisé au milieu du siècle un premier étage avec une terrasse49.

C’est un ensemble imposant comme le révèlent les surfaces des pièces et les éléments architecturaux. A partir des côtes du plan de masse50 on peut estimer que la chambre à coucher et le cabinet de la princesse ont une superficie de 76 m2 (5 toises sur 4 toises), le salon et l’antichambre couvrent un espace de plus de 91 m2. La décoration des façades est connue par les plans et les commentaires, parfois critiques, de Blondel. Elle est inspirée du style classique : corniches, arcades, trumeau, bandeaux rythment les différentes façades. Le côté donnant sur la cour principale comprend un avant-corps mis en valeur par un fronton. La porte cochère marque de façon monumentale l’entrée dans l’hôtel51

.

L’organisation intérieure répond à des codes nés de la convenance et de la beauté esthétique, de la voluptas. La convenance, le paraître dominent comme le montre l’exemple de l’appartement de parade. Celui-ci est un héritage du XVIIe siècle et se caractérise par sa disposition en enfilade le long des jardins. Le plan initial de l’hôtel du Lude reprend les codes architecturaux avec la présence en 1710 de « sept pièces d’enfilade ce qui pour une maison

42

Arch. dep. Seine, DQ10 349, dossier 5046, mairie du Xe arrondissement, an 2.Installation de la mairie à l’hôtel Conti, rue Saint-Dominique, et travaux à effectuer ; Arch. nat., F13/207, maisons occupées par le ministère de l’Intérieur, n°803, maison Conti-Modène ; Arch. dep. Seine, DQ10 484, dossier 13597, Hôtel Conti, rue Saint-Dominique, contestation entre le duc de Valmy et le comte de Lajuinais au sujet d’une ruelle menant à la rue du Bac, 1825-1835.

43

Le même dispositif se retrouve pour l’hôtel de la Marche, voir pièces justificatives 4, figures 22 à 26. 44

Arch. nat., O1/1578/309, plan n°2, plan de masse côté. 45 Une toise : 1,949 m. 46 Soit plus de 5 300 m2. 47 Soit plus de 2 000 m2. 48

J.-F. BLONDEL, op. cit., n°XVIII, planche 4. 49

Arch. nat., O1/1578/317, élévation de l’une des ailes en retour sur la grande cour à profil de la cour d’entrée et du grand bâtiment.

50

Arch. nat., O1/1578/302-318. 51

particulière peut être regardé comme très considérable»52

au rez-de-chaussée comme au premier étage. La princesse de Conti installe ses appartements au premier étage et le rez-de-chaussée est réservé à l’appartement d’été ce qui ajoute à la dignité car seuls les plus fortunés ont un double appartement. Au premier, les pièces d’apparat sont le salon, la salle à manger et le salon des gentilshommes. Elles sont introduites par un ensemble d’antichambres. Le salon apparaît au cœur du dispositif. Il n’y a aucune mention de chambre de parade dans les comptes ce qui n’exclut pas que la chambre à coucher de la princesse ait une fonction de parade inscrite dans l’étiquette. Le cérémonial impose de rendre visite aux princesses du sang sur leur lit.

3) Une demeure adaptée à la maison princière

Non seulement l’hôtel par son espace est adapté aux besoins de la nouvelle occupante mais son agencement répond aux exigences du service princier. Posséder une domesticité nombreuse implique de pouvoir toute la loger et de permettre à la suite aristocratique d’avoir des appartements conformes à son rang. Les vingt-et-un logements des domestiques de la princesse de Conti se distribuent sur l’ensemble de l’hôtel.

A ces très nombreuses pièces destinées au logement, on peut ajouter les multiples pièces que l’on peut qualifier d’utilité53 nécessaires au fonctionnement de la maison : cuisines, écuries, lieux de stockage… Les écuries forment un vaste ensemble : la cour des écuries mesure près de 200 m2 ; la grande écurie a une superficie de 157 m2 ; les remises et l’entrée secondaire 81 m2 . l’hôtel comporte plusieurs écuries : la plus grande abrite douze chevaux ; la deuxième en contient six et une troisième située dans le pavillon au fond du jardin est réservée aux chevaux des pages54. Gourmandes en espace, bruyantes, malodorantes, elles doivent être éloignées des appartements comme le rappelle par exemple l’Encyclopédie méthodique à la fin du XVIIIe siècle55

: il existe donc un réseau de distribution secondaire56

qui cache à la vue les stalles, les écuries, le passage des chariots de foin…

La mise à l’écart des cuisines est un autre élément induit par la qualité de l’occupante de l’hôtel. Les cuisines sont placées au rez-de-chaussée dans une aile perpendiculaire au bâtiment principal tandis que la salle à manger de la princesse est à l’étage noble. Les aspects

52

J.-F. BLONDEL, Architecture française…op. cit., p. 252. 53

Christophe MORIN, Les bâtiments d’utilité accès et abords du château au XVIIIe siècle : le cas de l'Ile-de-France, Thèse de doctorat d’histoire de l’Art et archéologie, Université de Paris I, 2002, exemplaire

dactylographié, 3 vol. 54

Voir Pièces justificatives 4, figures 42 et 43. 55

Antoine-Chrysostome QUATREMERE DE QUINCY, Encyclopédie méthodique…, Paris-Liège, Agasse, an IX, t. II, « écurie », p. 270.

56

pratiques sont sacrifiés à la convenance mais elle n’affecte pas le confort de la princesse à table. La présence de réchauds57

évite le refroidissements des plats, qui est un risque récurrent vu la distance qui sépare les lieux. Le buffet qui est une pièce attenante à la salle à manger princière où sont entreposés les plats et la vaisselle, permet un service rapide et efficace. Aux différents services de la table correspondent des pièces spécifiques. La cuisine est la pièce principale. Son équipement est ample58

et permet l’élaboration de plats complexes. Les moyens de cuisson sont nombreux et efficaces avec les fourneaux, les potagers, le four à pâte. L’office et la pâtisserie sont les espaces du sucré ; la boucherie et les lavoirs complètent l’ensemble.

L’hôtel satisfait donc les exigences de la princesse qui imposent un apparat quotidien. Malgré sa rupture conjugale, la princesse vit dans le même environnement, le même quartier, et dans un vaste hôtel. Sa résidence est adaptée à son rang comme elle l’écrit à son père en décembre 1776 « Je suis logée décemment quoiqu’un peu à l’étroit »59

. L’acquisition de Triel lui permet de profiter d’un espace plus vaste adapté à la villégiature.