• Aucun résultat trouvé

UN TRAIN DE VIE ARISTOCRATIQUE ET FÉMININ A LA

Chapitre 5 Les résidences

C. Les espaces transformés

Si les travaux se distinguent par leur ampleur et concernent l’ensemble de l’hôtel, les principales et les plus coûteuses réalisations se concentrent sur un nombre réduit de pièces qui apparaissent comme les supports privilégiés de l’apparat princier. L’étude de ces aménagements permet de comprendre en quoi ils répondent à des objectifs différents et

115

Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon , Estampes, LP83-35(3). 116

B. PONS, « Un collaborateur de Chalgrin… », art. cit., p.141, folio 84 et 85. 117

Arch. nat., R3/181, dépenses particulières 1788, pièce n°5, mémoire des dépenses personnelles sur la cassette de la princesse, février 1788, don au domestique de M. de Narbonne, 16 février 1788.

118

Voir le chapitre 11. 119

Luc-Vincent THIERY, Le voyageur à Paris, Paris, Hardouin & Gattey, 1788-1790, t. I, p. 255, « Leur chapelle bâtie récemment sur les dessins de M. Convers, architecte de SAS madame la princesse de Conty ».

éclairent particulièrement les transformations du jardin.

1) Aménager et embellir l’hôtel

En 1776, l’installation de la princesse impose des travaux afin d’adapter l’hôtel à la maison princière. De 1776 à 1789, l’entretien des bâtiments est régulier et concerne principalement la toiture, le ravalement des façades et la maçonnerie… A ces travaux nécessaires s’ajoutent des dépenses d’apparat. L’appartement princier est successivement embelli en 1776, en 1779 et en 1787-1788. Il s’agit principalement de le peindre c’est-à-dire de redorer et de blanchir les murs, puis de le décorer et éventuellement de le meubler. Dans ces travaux d’embellissement, deux pièces sont particulièrement décorées, le salon de compagnie de la princesse et surtout sa chambre. Elle est la seule pièce où les meubles sont changés trois fois de 1776 à 1789 et apparaît comme un élément central dans le dispositif d’apparat de la princesse. A l’extérieur, les aménagements du jardin participent à l’embellissement de l’hôtel.

2) Une réalisation d’envergure : la transformation du jardin parisien

Le XVIIIe siècle est marqué par le développement des jardins privés et par une curiosité plus grande concernant la connaissance et la culture des plantes rares sous l’effet des voyages transocéaniques qui diffusent de nouvelles espèces. Le thème du retour à la campagne décliné dans la littérature120

diffuse l’idée que la campagne est le lieu de la pureté des mœurs et que la nature est le cadre des émotions humaines. Il se retrouve dans la création des jardins qui visent désormais à donner l’illusion de vivre à la campagne sans quitter la ville. Les réalisations effectuées par la princesse cherchent à répondre à ces nouveaux goûts. a) Avant les travaux : le jardin de l’hôtel du Lude, un modèle de jardin parisien

Comme le montrent les plans, le faubourg Saint-Germain devient au siècle des Lumières un véritable « quartier-jardin » avec les 5 ha du parc de l’hôtel de Biron121

, rue de Varennes et le jardin de l’hôtel de la Marche.

Celui de l’hôtel du Lude reprend les normes du jardin à la française adapté à l’espace parisien. Situé à l’arrière du bâtiment central et doté de dimensions importantes, il est organisé autour d’une allée centrale qui part du milieu du corps de logis, comme le montre le plan réalisé en 1759, et de deux allées secondaires séparées par des parterres. L’allée

120

Roland BONNEL, Ethique et esthétique du retour à la campagne au XVIIIe siècle, l’œuvre littéraire et utopique de Lezay-Marnésia, Paris, P. Lang, 1995, 499 p. ; Jean EHRARD, L'Idée de nature en France dans la 1ère moitié du XVIIIe siècle, Paris, S.E.V.P.E.N, 1963, 2 vol.

121

Béatrice de ANDIA, « Des cultures aux jardins d’agrément », dans Martine CONSTANT, Jardiner à Paris

principale met en valeur la perspective et de chaque côté les parterres forment des dessins raffinés dont les bordures sont destinées à être contemplées depuis l’étage. Au fond du jardin, l’allée conduit à un treillage semi-circulaire organisé avec des petites pièces de verdure. Au centre, le treillage est extrêmement travaillé122

avec en son centre la statue d’une femme123

. C’est un motif fréquent que l’on retrouve dans nombre de jardins aristocratiques parisiens, celui de la princesse est comparable au projet de Pierre Contant d’Ivry pour l’hôtel de Matignon de 1741124

.

b) Les transformations et les embellissements

Les aménagements inscrivent une rupture avec l’agencement antérieur du jardin. En premier lieu, la démolition du treillage125

marque la fin de l’organisation du jardin à la française. La plantation de pêchers, poiriers, groseilliers, pommiers rappelle la mode de l’agriculture fruitière dans les résidences aristocratiques de l’Ile-de-France et la vogue du « jardin fruitier de curiosité »126

. Au-delà, l’introduction de nouvelles essences contribue à faire du jardin une « œuvre d’art totale »127

. Le jardin de la princesse fait appel à tous les sens, et traduit la diffusion des théories sensualistes de la fin du XVIIIe siècle. Les plantes charment le regard avec des arbustes réputés pour la couleur de leurs fleurs comme l’oranger128, les pêchers « à fleurs doubles », les altéas « des trois couleurs » ou les multiples rosiers129. L’odorat est sollicité avec orangers, amandiers, jasmins, lilas, chèvrefeuilles, magnolias ou encore romarins.

La plantation de nouvelles plantes traduit les modes. L’exotisme oriental se retrouve avec l’acquisition de « 6 arbres de Judé », « 20 tuyas de la Chine », « 4 vernis du Japon » 130. L’anglomanie est présente avec les rosiers achetés en grand nombre en 1788 et encore 1789 que l’on retrouve dans de nombreux jardins aristocratiques. La connaissance des roses devient

122

Arch. nat., O1/1578/319, élévation du treillage dans le fond du jardin. 123

Voir pièces justificatives 4, figure 40. 124

Gabrielle JOUDIOU, « Jardins du XVIIIe siècle à Paris », dans J.-M. CONSTANS (dir.), Jardins à

Paris…op. cit., p.157-177, p.159. 125

Arch. nat., R3/184, recettes et dépenses de sa caisse, 1788-1790, pièce n°3, Etat de ce qui est dû à SA provenant de la démolition du treillage du jardin de son hôtel.

126

Florent QUELLIER, Des fruits et des hommes. L’arboriculture en Ile-de France, vers 1660-vers 1800, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, 464 p., p.70.

127

Monique MOSSER, « Les jardins pittoresques 1760-1820 », dans J.-P. BABELON (dir.), Le château en

France…op. cit., p. 347. 128

DEZALLIER D’ARGENVILLE, La pratique du jardinage par M. l'abbé Roger Schabol, ouvrage rédigé

après sa mort sur ses mémoires, Paris, Debure père, 1770, 2 vol., p. 254 129

Arch. nat., R3/181, dépenses particulières 1788, pièce n°53, mémoires des arbres et arbustes, mars 1788. 130

« Vernis du Japon : l’arbre qui donne le véritable vernis du Japon s’appelle l’urusi […]. Cet arbre a peu de branches […] son bois est très fragile […] ses fleurs […] sont fort petites, d’un jaune verdâtre », Encyclopédie, article vernis, p. 347.

un véritable art comme le montre l’exemple de la comtesse de Genlis131

. L’anglomanie est étendue à l’américanophilie avec l’achat d’« un peuplier de la Caroline », « deux cèdres de Virginie », « 2 pins du Lord Virmouse [Weymouth]»132

.

L’aménagement du jardin de la princesse de Conti répond donc aux nouveaux goûts de la fin du XVIIIe siècle. Le modèle du jardin à la française est abandonné au profit de nouvelles sources d’inspiration : l’exotisme et l’anglomanie tout particulièrement. Néanmoins, les réalisations sont limitées en raison des contraintes financières qui pèsent sur la princesse. En 1788, la princesse dépense 1 846 livres pour l’embellissement de son jardin sans compter les appartements du jardinier et de l’architecte. Les transformations sont modérées, il n’y a ni kiosque, ni serre, ni orangerie ou pavillon chinois, comme chez la princesse Kinsky133

, pas de ruines ou de moulins comme au parc Monceau ou de chaumières comme au Petit Trianon.

* * *

La princesse de Conti transforme régulièrement son hôtel et ces aménagements répondent à plusieurs objectifs. Il faut adapter l’hôtel à la maison princière tout particulièrement en 1776. Elle doit meubler ses appartements selon son rang et en fonction des modes extrêmement fluctuantes à la fin du XVIIIe siècle. L’intérieur princier doit satisfaire les exigences de sa condition comme en témoigne l’attention particulière portée à l’embellissement des appartements de parade. Néanmoins, si les travaux sont longs et fréquents, ils demeurent limités. La princesse de Conti dépense 60 000 livres pour meubler et peindre son nouvel hôtel en 1776 soit moins que la somme consacrée par la duchesse de Mazarin à son seul salon d’assemblée. Les travaux traduisent l’ambivalence de la position de Marie-Fortunée d’Este. Elle doit tenir son rang par des appartements et un hôtel répondant aux critères de la vie princière. Son logement doit être magnifiquement décoré et meublé. Mais, son budget est restreint et elle ne peut réaliser que des rénovations limitées. Seule la chambre de la princesse bénéficie d’un renouvellement régulier et son aménagement traduit la diffusion des nouvelles normes qui régissent l’organisation spatiale des hôtels et en particulier l’affirmation de l’intimité.

131

La comtesse de Genlis dans sa Botanique historique et littéraire en 1810 écrit qu’elle fut la première à la fin du XVIIIe siècle à avoir introduit la « rose mousseuse » qu’elle avait obtenue en Angleterre.

132

Pin venu d’Amérique et introduit d’abord en Angleterre. 133