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Les finances d’une princesse du sang

A. Les comptes : une source précieuse

Les documents comptables de la princesse de Conti séquestrés à la Révolution sont d’une exceptionnelle richesse alors que bon nombre de documents tels les comptes de son époux ont été perdus avec les événements révolutionnaires.

Les comptes princiers présentent plusieurs particularités. Leur organisation matérielle, les distingue des livres de comptes à double entrée que l’on trouve dans nombre de maisons princières. Leur large période, leur ampleur et leur précision en font une source remarquable pour étudier la consommation d’une princesse et la gestion d’une maison princière féminine.

1) L’organisation matérielle des comptes

Le séquestre révolutionnaire a permis la conservation de ces mémoires, factures, reçus, de feuilles de comptes volantes qui recèlent des informations très variées. Ils sont comparables aux papiers extraits des séquestres révolutionnaires des cinq familles de

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François-Charles MOUGEL, « La fortune des princes de Bourbon Conty. 1655-1791 », Revue d’histoire

moderne et contemporaine, t. XVIII, janvier-mars 1971, p. 30-49 ; Jean DUMA, op. cit. ; Daniel ROCHE,

« Aperçus sur la fortune et les revenus des princes de Condé à l’aube du XVIIIe siècle », Revue d’histoire

moderne et contemporaine, XIV, juillet-septembre 1967, p. 217-243 ; Sandrine BULA, L'apanage du Comte d'Artois (1773-1790), Paris, Ecole des chartes, H. Champion, 1993, 260 p.

l’aristocratie parisienne étudiées par Natacha Coquery55

.

Matériellement, les comptes de la dernière princesse de Conti diffèrent de ceux des princes de sa famille56

qui se présentent sous la forme de gros ouvrages reliés de maroquin rouge57

. Ce sont des feuillets volants rassemblés ensuite dans des cartons. Il n’y a aucun document relié même s’il semble qu’existaient des livres de comptes dans la maison princière comme le prouvent les dépenses de conciergerie qui font état d’achat de livres de comptes pour la garde-robe. De même, le système de comptabilité à double entrée qui se retrouve dans de nombreux comptes aristocratiques comme chez les princes de Conti ou dans les 59 années de comptes d’Elizabeth Berkeley Somerset, duchesse de Beaufort58

, n’apparait ici que pour trois années, de 1788 à 1790.

Les comptes permettent de suivre les dépenses de Marie-Fortunée d’Este du printemps 1776 à juillet 1790 pour les comptes généraux et jusqu’à décembre 1789 pour les mémoires et les factures. Certaines dépenses antérieures à 1776 sont conservées. Il s’agit principalement des mémoires de tissus et du parfumeur qui débutent en 176359 et 1766 lorsque la princesse doit honorer les factures antérieures à 1776 qui n’ont pas encore été acquittées.

Au cours de ces quatorze années, les dépenses de la princesse sont extrêmement précises et détaillées. La tenue des comptes se fait de manière quasi-quotidienne. Au total, comptes et factures marchandes représentent quatorze références d’archives60

ce qui représente un volume de 1 954 pièces. Ces pièces sont de tailles variables. La majorité occupe une seule page ; certaines en comptent plus d’une dizaine comme le mémoire des travaux de menuiserie effectués à l’hôtel de la princesse en 1776 qui comporte 45 pages61

. En définitive, les comptes, factures et mémoires rassemblent 3 000 pages et font de ce document un témoignage particulièrement dense de la vie de Marie-Fortunée d’Este. Cependant, des feuillets sont incomplets. Tous les mémoires des fournisseurs n’ont pas été conservés et certaines années -1782 et 1783- sont moins renseignées. Les dépenses de bouche sont lacunaires ; parfois il ne reste que la première page du mémoire62

. Il manque de nombreuses

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N. COQUERY, op. cit. 56

BHVP, CP 4584 à 4599, comptes Manscourt 1770-1786 ; CP 4600 à 4602, comptes de Dubosc, trésorier des princes de Conti. 1737. 1740 et 1742.

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Bien décrits par Christophe GICQUELAY, Louis-François de Bourbon-Conti et les Lumières, mémoire de maîtrise sous la direction d’Alain Cabantous, Paris X, Nanterre.

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Les comptes de cette duchesse ont été étudiés par Maura Henry dans sa thèse (PhD), voir la recension de Craig LAMBERT « Keeping up with the Beauforts : Consuming passions », Harvard Magazine, sept-oct 1997. 59

A.N, R3/172, dépenses particulières 1777, pièce n°79, Mémoire des dépenses de tissus fournis par Buffault de 1763 à 1771.

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Principalement, les comptes sont composés des documents suivants : Arch. nat., R3/172 à 185. 61

Arch. nat., R3/173, dépenses particulières 1776, pièce n°35, mémoire du menuisier, novembre 1776.

62 Arch. nat., R3/175, la première pièce est intitulée « Menus des dîners et soupers pour le mois d’octobre 1777 » la pièce n°2 concerne les dépenses pour janvier 1785.

informations sur les comptes généraux de la princesse de Conti et il existe peu de bilan mensuel ou annuel de l’ensemble des charges pesant sur la maison, sauf à partir de 178863

. Globalement, les dépenses personnelles de la princesse sont mieux connues que les dépenses générales et elles représentent un nombre de pages nettement majoritaire. Néanmoins, toutes les années et toutes les dépenses ne sont pas restituées avec la même ampleur comme le montre le tableau 1.

Tableau 1 : Des dépenses inégalement conservées

Nature des dépenses Années entièrement

documentées Années partiellement documentées Bouche 1786, 1789 1777, 1781, 1785 Habillement de la livrée 1777, 1779, 1780, 1782, 1784-1788

Soins et santé de la maison 1776-1789

Conciergerie 1782 1779, 1781 Ecurie 1784, 1787, 1789 Aménagement et d'ameublement 1776, 1777, 1779 1788, 1789 Personnelles 1778, 1779, 1780, 1782, 1784, 1786 1776, 1777, 1781, 1785, 1787, 1788, 1789

La description des documents comptables met en évidence l’organisation des débours de la princesse autour de deux pôles : les dépenses générales et les dépenses personnelles de la princesse, alimentées par deux grandes sources de revenus.

2) Les dépenses générales

La pension versée par le prince de Conti par quartier de 37 500 livres est employée à payer les frais liés à la vie de la maison aristocratique sous toutes ses formes. Il s’agit de s’acquitter des gages et des appointements de l’ensemble de la maison, de financer les dépenses récurrentes : la bouche, l’écurie, de régler les travaux concernant l’hôtel de Paris ou le remboursement des différents emprunts.

Seuls trois états généraux des dépenses sont conservés pour les années 1788, 1789 et 1790 et n’offrent qu’un intérêt circonscrit dans la mesure où les dépenses sont biaisées par le départ de la princesse à l’été 1789. Ces états s’apparentent aux comptes à double entrée mais avec quelques nuances. Pour les trois années, sont distinguées, sur des feuilles volantes et différentes, les recettes et les dépenses générales. A la différence des comptes du prince de Conti par exemple, le relevé des débours ou des gains se fait mensuellement. Il n’y a pas de

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division en chapitres thématiques selon le type de dépenses. Celles-ci sont indiquées au moment où elles arrivent. La modestie de la maison et du système des dépenses permet ce genre de présentation qui deviendrait vite malcommode pour une maison plus importante avec des sources de revenus et de dépenses plus variées.

Le trésorier note les dépenses pour chaque secteur au moment où le contrôleur de bouche, le receveur des écuries, le concierge rendent leur mémoire mensuel. Les dépenses de bouche permettent d’avoir une vision très précise et quotidienne de l’alimentation de la princesse et de toutes les personnes qui vivaient avec elle. L’état mensuel des frais d’écurie de la princesse présente successivement : « les Subsistances, gages, habillement, bois, graisse et chandelles en argent », « les nourritures des chevaux à Paris », « les ferrures et pansements des chevaux », « l’entretien des équipages à Paris », « menues dépenses à Paris ». Les dépenses de santé64, d’habillement65 et de chauffage66 constituent des dossiers à part et sont composés de bilans ou mémoires annuels.

3) Les dépenses personnelles de la princesse

La pension royale de 30 000 livres est destinée aux dépenses personnelles de la princesse dans la continuité de celle de même valeur octroyée par le comte de la Marche pour ses « Menus Plaisirs, Chambre et Garde-Robe » pendant le mariage. Dans les comptes, l’appellation change : les Menus plaisirs -qui rappellent l’administration et le fonds que le roi destine aux frais de spectacles et de fêtes- deviennent la cassette. Comme le précise la définition du Dictionnaire de l’Académie, c’est un « Petit coffre où l'on serre ordinairement des choses de conséquence. On appelle La cassette du Roi, La somme que le Garde du Trésor Royal porte au Roi le premier jour de chaque mois. ». Le terme s’il rappelle la filiation royale met en exergue l’idée qu’elle dispose selon son gré des 2 500 livres qui lui sont allouées chaque mois.

Parallèlement, le trésorier note quasi quotidiennement les achats effectués par les domestiques ou par lui-même. Il présente à la fin du mois son « Mémoire des dépenses sur la cassette de madame pendant le mois de… »67

à la princesse qui rembourse les frais avancés. Ce mémoire ne recoupe pas entièrement le quartier de pension versé à la princesse. Une partie des achats effectués directement par la princesse échappe au regard du trésorier.

Une large part des comptes princiers a donc été conservée. L’ampleur et la précision

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Arch. nat., R3/177, dépenses de santé pour elle et ses gens, 1776-1789, 118 pièces ; R3/178, dépenses d’habillement de ses gens, 1777-1789, 115 pièces.

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Arch. nat., R3/178, dépenses d’habillement de ses gens, 1777-1789, 115 pièces. 66

Arch. nat., R3/176, dépenses de bois de chauffage. 1776-1789, 51 pièces. 67

des documents viennent compléter des états généraux lacunaires et mettent en évidence le fonctionnement général de la maison tout autant que les dépenses personnelles de la princesse. L’analyse des dépenses est affinée par la présence de factures marchandes ou des mémoires de domestiques qui confirment et précisent les relevés mensuels pour chaque secteur. Ils attestent du bon règlement des dettes marchandes par le trésorier qui joue un rôle central dans les finances princières.