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La suite aristocratique de Marie-Fortunée d’Este

A. Des intermédiaires cruciaux

Pour accéder à la maison princière, l’appui d’un réseau, d’une parentèle est indispensable. Ces réseaux peuvent être mis en évidence par les actes notariés, à l’instar du contrat de mariage, par l’analyse des témoins77, et à chaque étape de la vie sociale nobiliaire -l’étude des parrains et des marraines78 a par exemple montré tout son intérêt - et notamment lors de la démonstration des preuves de noblesse pour intégrer un ordre, une école. L’analyse de cette documentation offre la possibilité de voir comment le noble sollicite dans son entourage79 des appuis efficaces pour accéder à la maison princière. Ces réseaux d’entraide doivent être identifiés afin de saisir comment ces hommes jouent un rôle décisif de relais entre des impétrants nobles et la maison princière.

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Laurent ROUSSEL, La maison des Orléans, fidélités et réseaux, 1649-1791, thèse de doctorat d’histoire sous la direction de Jean-François Labourdette, Université de Paris IV Sorbonne, 2000, 5 vol.

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Katia BEGUIN, Les Princes de Condé, rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle, Paris, Champ Vallon, 1999, 463 p.

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Ariane BOLTANSKI, Les ducs de Nevers et l’Etat royal :genèse d'un compromis (1550-1600), Genève,

Droz, 2006, 580 p. 74

K. BEGUIN, op. cit., p. 202. 75

Mathieu da VINHA, Les valets de chambre de Louis XIV, Paris, Perrin, 2004, 515 p. 76

SOPHIE de LAVERNY, Les domestiques commensaux du roi de France au XVIIe siècle, Paris, Presses de

l'Université de Paris-Sorbonne, 2002, 557 p. 77

Scarlett BEAUVALET et Vincent GOURDON, « Les liens sociaux à Paris au XVIIe siècle : une analyse des contrats de mariage de 1660, 1665 et 1670 », Histoire, économie et société, Année 1998, Volume 17, Numéro 4, p. 583-612 ; Maurice GARDEN, « Mariages parisiens à la fin du XIXe siècle : une micro-analyse quantitative »,

Annales de démographie historique, 1998, p. 111-133. 78

Agnès FINE, Parrains, marraines. La parenté spirituelle en Europe, Paris, Fayard, 1994, 389 p. 79

C. BONVALET et E. LELIEVRE, « La notion d’entourage, un outil pour l’analyse de l’évolution des réseaux individuels », Dossiers et recherches, INED, 52, avril 1996.

1) Le patronage de nobles puissants

Plusieurs nobles tiennent le rôle d’introducteur à la maison princière et leur patronage est visible à plusieurs occasions. Pour les pages, le processus est souvent le suivant : les familles confient leurs précieuses preuves de noblesse à un mandataire chargé de les transmettre au généalogiste du roi. Les de Thianges jouent ce rôle pour faire entrer un des fils Lebel page auprès du prince de Condé en 178580

, puis pour l’ensemble de la fratrie81

. Le père de Maximilien de Salvador confie ses preuves de noblesse au duc de Crillon82

. Toutefois, les difficultés du noble provençal pour obtenir du duc qu’il remette les documents montrent combien les petits nobles sont dépendants des Grands dans ces démarches. Le patronage revêt également une importance symbolique. Il se concrétise par la présence du protecteur lors des grands actes et cérémonies qui marquent l’insertion dans la société princière. La présence lors de la signature du contrat de mariage montre qu’il apporte sa caution et sa protection à la nouvelle union : le comte de Thianges représente la mère du marquis de Rochedragon lors de la signature du contrat de mariage avec Adélaïde de Sailly qui marque l’entrée du marquis dans la maison princière83. Le patronage féminin peut être souligné : Marie-Jeanne de Talleyrand-Périgord marquise de Mailly présente la marquise de la Fresnaye Saint-Aignan aux souverains, le 10 mars 1775 et la duchesse de Duras, la comtesse de Sabran le 14 avril 1762. Elles marrainent la cérémonie d’introduction au monde curial et au service princier.

Bien insérés dans le milieu curial, ces nobles exercent un patronage actif pour des nobles qui cherchent à intégrer le service princier. Ces hommes relais ont une logique d’insertion de familles ayant les mêmes attaches provinciales qu’eux. Cela est particulièrement vrai avec le comte de Thianges, maître de la garde-robe du comte d’Artois, issu d’une puissante famille bourbonnaise qui protège les Rochedragon et les Lebel de Bellechassaigne issus de la même province. Ces liens peuvent être doublés par des liens de parenté : Amable Gaspard de Thianges se déclare cousin du marquis de Rochedragon lors de son mariage84

en dépit de liens familiaux fort ténus. De même, à la proximité géographique avec les Lebel, vient s’ajouter un lien symbolique avec ceux-ci. En effet, le 2 septembre 1726, lors de la bénédiction d’une cloche Claude à Chamblet85

, le parrain est le comte de Thianges

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BNF, Mss français, Chérin 21, preuves de noblesse pour l’admission de Charles Lebel de Bellechassaigne aux pages du prince de Condé, 20 janvier 1785.

81

Cependant, seuls les garçons sont acceptés, la fille, trop âgée est refusée à Saint-Cyr. 82

BNF, Mss français, Nouveau d’Hozier, 299. 83

Arch. nat., ET/II/666, 8 octobre 1774, contrat de mariage entre Jean-François marquis de Rochedragon et Adélaïde de Sailly.

84

Voir annexes 2, généalogie 5. 85

Georges MICHARD, « Les registres paroissiaux de Chamblet, reflet de la vie rurale au XVIIIe siècle »,

tandis que la marraine est Barbe Lebel de la Vaureille issue de la branche aînée des Lebel. Le sentiment d’appartenir à une communauté symbolique et spirituelle avec les Lebel a pu inciter les comtes de Thianges à jouer un rôle de protecteur pour le jeune Claude. Des liens familiaux ténus se retrouvent entre la marquise de Mailly dame du palais et famille de Saint-Aignan86

ou encore entre la famille de Durfort87

et les Sabran. Les parentèles parfois extrêmement suggestives constituent un réseau d’entraide auxquelles se superposent des solidarités géographiques avec l’ouest pour les Mailly, le Bourbonnais pour les de Thianges, le sud-est pour les Durfort. Même intégrés à une maison parisienne, ces familles ont une logique d’insertion de leurs cousins restés en province ce qui est une manière pour eux de renforcer leur sphère d’influence sur leur province d’origine. Cette idée se retrouve dans l’étude des différents bassins de recrutement de la suite nobiliaire de la princesse de Conti : l’entrée d’un noble au service de la princesse comme dame ou écuyer semble entraîner l’entrée d’un page de la même région. Ces nobles qui ont réussi à intégrer le groupe curial jouent alors un rôle de redistributeur des bienfaits de la protection princière dont ils bénéficient désormais.

2) Des protégés qui deviennent protecteurs

En étudiant les origines des membres de la suite nobiliaire de la princesse, on remarque une corrélation entre les provinces d’origine des dames suivantes ou de leurs époux, de l’écuyer, et celles des pages. Cela est très net pour les nobles originaires de Normandie, du Comtat Venaissin ou du Bourbonnais. Les de Villereau originaires du Perche deviennent pages de la princesse lorsque la marquise de la Fresnaye Saint-Aignan, issue d’une famille normande, a intégré le service princier. Maximilien de Salvador originaire d’Avignon peut compter sur la double protection provençale, du duc de Crillon et du comte de Laincel du Bousquet qui intervient pour la remise des certificats de noblesse au généalogiste du roi.

L’exemple de l’écuyer provençal montre que les nobles intégrés à la maison princière sont désireux de protéger des familles issues de leur province. Cela se retrouve particulièrement avec le marquis de Rochedragon. Après avoir intégré la maison de Marie-Fortunée d’Este, il devient protecteur. Doublement originaire du Bourbonnais et du Berry88

, il parraine de jeunes nobles berrichons lors de leur entrée aux écoles militaires. La présence d’un jeune page bourbonnais auprès de la princesse laisse penser à une intervention du marquis d’autant que les familles de Rochedragon et Lebel sont voisines à Montluçon, même si cela n’a pu être vérifié par les sources.

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Voir Annexes 2, généalogie 9. 87

Voir Annexes 2, généalogie 12. 88

Ainsi, pour intégrer la maison princière, des relais sont activés. Les nobles les mieux insérés dans les maisons de la famille royale, tel le comte de Thianges particulièrement actif, patronnent des nobles de second rang afin qu’ils intègrent la suite adulte de la princesse du sang. Pour s’insérer dans la maison princière, le ou la jeune noble s’appuie sur un réseau familial très lâche de parents déjà au service d’un prince. A partir des premiers relais, se met en place une redistribution du patronage. Les membres de la maison princière, à l’instar du marquis de Rochedragon, parrainent de jeunes nobles issus de leur province et de famille de rang plus modeste pour intégrer le service princier et notamment les pages. Cet exemple atteste au-delà de l’importance de la proximité avec les maisons princières.