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Les finances d’une princesse du sang

C. Des revenus annexes obtenus par la princesse

En sus des revenus obtenus par la dissolution de la communauté maritale, la princesse obtient deux ressources supplémentaires. La première, prévue dès novembre 1775 et intégrée à la pension versée par son époux, est fournie par le placement de la succession maternelle. Mais la pension de 150 000 livres semble insuffisante pour la princesse et elle cherche à accroître ses revenus en obtenant une pension du roi.

1) L’héritage maternel

Si par son mariage, la princesse de Modène et son mari renoncent à toute prétention sur l’héritage paternel42

, elle reste héritière de sa mère la duchesse de Modène, Charlotte-Aglaé d’Orléans, une des filles du Régent. Celle-ci décède à Paris en 1761. La succession est partagée entre les héritiers, la comtesse de la Marche et le duc de Penthièvre, également exécuteur testamentaire, veuf de Marie-Thérèse Félicité d’Este, pour ses deux enfants Adélaïde et le prince de Lamballe. Le partage43

accorde à la comtesse de la Marche une somme de 346 118 livres. Cette somme est administrée par Louis-François-Joseph de Conti qui l’investit dans des rentes affermées.

Au total, les pensions versées par le prince de Conti forment un ensemble de 150 000

40 Idem. 41

Arch. nat., V4 1117, 12 juin 1777, « 3) que les trente mille livres par an que le demandeur a payé jusqu’au premier avril 1776, époque à laquelle ladite pension annuelle de 150 000 livres a commencé à courir à madame la princesse de Conty pour ses menus plaisirs, chambre et garde-robe seront et demeureront compris à l’avenir comme ils l’ont été depuis ledit mois de juillet 1776 dans ladite pension de 150 000 livres ».

42 Arch. nat., K545, n°9, article 17 et acte de renonciation du 6 janvier 1758.

43 Arch. nat., 300 A.P., I, 82, succession Conti, pièce n°169, succession de Charlotte-Aglaé d’Orléans, acte du 20 juin 1763 ; ET/XXXV/734, partage des biens de la duchesse de Modène, 20 juin 1763.

livres par an44

qu’il donne à la princesse de Conti par quartier (article 2 de la convention de séparation).

2) La pension royale

La pension de 150 000 livres ne semble pas suffisante à la princesse de Conti. Elle tente alors d’obtenir une pension royale. Or, celle-ci ne peut être accordée qu’aux princesses du sang veuves ce qui n’est évidemment pas son cas. Elle fait alors intervenir sa nièce, la princesse de Lamballe, pour plaider sa cause auprès des monarques et tout particulièrement de Marie-Antoinette. Les efforts déployés sont rapportés dans la correspondance entre la reine, sa mère l’impératrice et Mercy-Argenteau. Ce dernier relate l’affaire dans une lettre du 17 décembre 1775 adressée à Marie-Thérèse :

« Le comte de la Marche étant au moment de se séparer d’avec la princesse son épouse, la princesse de Lamballe s’est donnée beaucoup de mouvements pour déterminer la reine à faire accorder à la comtesse de la Marche la pension de princesse du sang qui n’est donnée qu’aux veuves dans le cas où, par grâce particulière, le roi veut bien s’y résoudre […] J’ai obtenu que Sa Majesté reste dans l’indécision »45.

Pour Mercy-Argenteau comme pour l’impératrice, la reine doit rester très prudente et éviter une nouvelle occasion de paraître trop dispendieuse. Elle se justifie même auprès de sa mère : « Pour la comtesse de la Marche, je n’ai pu refuser de dire la demande qu’on m’en avait faite mais je n’en ai parlé qu’une fois [au roi] et n’ai fait nulle instance »46. Finalement la comtesse de la Marche obtient sa pension par brevet du roi du 21 mars 177647 et non comme l’indique le journal de Bachaumont parce que son époux lui donne généreusement la sienne48. Cette pension royale, de 50 000 livres à ses débuts, est grevée de différentes taxes et la princesse de Conti n’obtient en réalité que 30 000 livres à raison d’un versement mensuel de 2 500 livres.

Cette pension obtenue grâce à la faveur royale peut être vue comme une compensation en lien avec son statut particulier. Princesse étrangère, elle n’a pas reçu à son mariage la pension royale de 50 000 livres accordée aux princesses du sang de naissance. Le versement est destiné à assurer à la princesse des revenus suffisants pour qu’elle puisse tenir son rang.

44

Arch. nat., V4 1117, 12 juin 1777, « 1) Que les intérêts desdites deux sommes seront et demeureront compris dans ladite pension annuelle de 150 000 livres ».

45

Marie-Thérèse d’AUTRICHE, MERCY D’ARGENTEAU, Correspondance secrète entre Marie-Thérèse et le

Comte de Mercy-Argenteau, avec les lettres de Marie-Thérèse et de Marie-Antoinette, Paris, Firmin-Didot frères,

1874, 563 p.

46 Marie-Thérèse d’AUTRICHE et MERCY D’ARGENTEAU, op. cit, lettre du 14 janvier 1776. 47

Arch. nat., O1*123, brevet de pension en faveur de madame la comtesse de la Marche, 21 mars 1776.

48

Ainsi la princesse dispose-t-elle de ressources confortables : au total 180 000 livres par an. Avec ces deux pensions, la princesse de Conti appartient aux 250 familles nobles de France disposant d’un revenu supérieur ou égal à 50 000 livres49

. Il est cependant inférieur à celui de la duchesse de Bourbon qui reçoit chaque année 278 045 livres provenant de sa dot, de différents droits sur le sel, les gabelles, des successions et de la pension royale de 50 000 livres obtenue en 176950

. Cette différence de revenus entre les deux épouses séparées, qui s’accroît lorsque la duchesse de Bourbon hérite de son père le duc d’Orléans et obtient des revenus annuels qui peuvent atteindre plus d’un million de livres annuelles51

, est le reflet de la hiérarchie entre les différentes branches de la Maison de Bourbon. Elle rappelle que Marie-Fortunée d’Este n’est pas princesse du sang de naissance. Elle ne bénéficie pas de successions importantes ou de droits particuliers et ses revenus sont attachés à son statut d’épouse de prince du sang ou à la bienveillance royale.

La princesse de Conti fait donc figure de parente pauvre dans la famille royale élargie comme le signale la comtesse de Genlis au moment où Marie-Fortunée d’Este règle la succession de la comtesse Bagarotti : « Cette action est d’autant plus belle que Madame la princesse de Conti est la moins riche de toutes les princesses ; on peut même dire qu’elle est très pauvre pour l’état que son rang l’oblige à tenir »52. Même si la gouvernante des enfants d’Orléans exagère sans doute pour mieux mettre en évidence la générosité de la princesse, la réflexion suggère que ses revenus semblent modestes aux yeux de l’aristocratie. La séparation semble conduire à une forme de déclassement social et financier. Toutefois, avec ses revenus, elle acquiert -en usufruit- la seigneurie de Triel en 178153

et juge nécessaire de s’entourer de gestionnaires et d’hommes de confiance.

49 GUY CHAUSSINAND-NOGARET, La Noblesse au XVIIIe siècle: de la féodalité aux Lumières, Bruxelles,

éditions Complexe, 1984, 239 p., p. 77.

50

Bibliothèque de Chantilly, Cabinet des titres, 1-A-044, Thérèse-Bathilde d'Orléans, duchesse de Bourbon ; séparation d'avec son mari, décembre 1780 ; revenus, diamants, etc. ; papiers sous la Restauration, testament. 51

Comme en 1787 ou en 1789, Arch. nat., 300 AP, I, 76, succession de la duchesse de Bourbon, récapitulatif et résultat des comptes, 1781-1793.

52

Comtesse de GENLIS, op. cit., t. 9, p. 331

53 Arch. nat., ET/LXXIII/1020, Cession de bail à vie entre la comtesse de la Massais et la princesse de Conti, 5 mai 1781.

II. GERER LES REVENUS PRINCIERS

Avec la séparation, la princesse de Conti possède le droit d’administrer ses biens de façon indépendante. Les ressources et les revenus des princes du sang ou de la famille royale sont désormais relativement bien connus notamment pour le XVIIIe siècle54

et ont montré l’ampleur de leur fortune. A la différence des princes, les revenus de la princesse sont exclusivement constitués de biens mobiliers, il n’y a pas ou guère, de terres à administrer et de ce fait, les finances de la maison princière sont beaucoup moins complexes. La gestion des revenus et dépenses de la princesse est réalisée par un faible nombre de personnes. Le rôle du trésorier est crucial : il rédige les comptes tenus du 1er avril 1776 à juillet 1790 alors que la princesse a quitté la France. Ce document rassemble des données variées dont l’extrême richesse et la précision permettent de serrer au plus près la consommation de la princesse, de comprendre l’organisation des comptes, leur gestion en fonction des différents secteurs. Après une analyse matérielle de cette riche source comptable, le rôle du trésorier sera traité même si l’ombre de la princesse apparaît en filigrane. Si la main de Marie-Fortunée d’Este est présente mais de façon formelle, qu’en est-il de l’œil de la maîtresse de maison ? Quel rôle joue-t-elle dans la gestion de la maison. Son autonomie financière se concrétise-t-elle par une plus grande implication dans l’économie domestique ?