• Aucun résultat trouvé

La situation d’évaluation des besoins comme expérience problématique pour la personne âgée.

PARTIE II : Non recours et non adhésion

12 Mme Garche

2. L’« évaluation des besoins » par les référents sociaux d’un conseil général : la non-adhésion à

2.1. La situation d’évaluation des besoins comme expérience problématique pour la personne âgée.

prise en charge), deuxièmement que ces moments institutionnels peuvent être les prémisses (ou les indices ?) d’une non-adhésion plus durable de la part de l’usager potentiel de l’APA et troisièmement que la réaction du professionnel face aux comportements de l’individu peut conforter ce dernier versus l’éloigner d’une posture durable de non-adhésion.

2.1. La situation d’évaluation des besoins comme expérience problématique pour la personne âgée.

L’observation des situations d’évaluation montre que, de manière récurrente, certaines personnes âgées (usagers potentiels), manifestent le fait, in situ, qu’elles expérimentent de manière

13

Nous insistons sur le fait que, compte tenu de notre questionnement (Les formes et les facteurs de non- adhésion), l'analyse ci-dessous se focalise sur les situations d'intervention dans lesquelles on peut observer des formes de résistance, de mécontentement de la part des personnes âgées. Mais il doit être clair que, dans d'autres situations d'évaluation, les personnes ne manifestent aucune forme de non-adhésion.

problématique les attentes exprimées par le professionnel, ses modes de faire, ou encore ce que ces personnes perçoivent comme étant la logique de fonctionnement de l’APA. On peut distinguer différentes formes d’expérience problématique, i.e. différentes manières dont ces personnes âgées font l’expérience in situ d’un décalage être – devoir être quant à leur rapport à l’institution (l’agent qui l’incarne, le dispositif en général…)14.

2.1.1 .L’expérience problématique comme divergence manifeste de perspectives.

La forme la plus visible, la plus nette (pour l’observateur) de cette expérience problématique se donne à voir dans les moments où la personne âgée à partir d’une présentation de soi et / ou de l’affirmation d’une identité pour soi positive (« je vais très bien », « je n’en ai pas besoin »…) s’oppose, plus ou moins frontalement, aux attentes, aux recommandations du professionnel (ou encore aux éventualités que ce dernier évoque). Cette divergence de perspectives peut porter par exemple sur le mode d’engagement de la personne âgée requis par l’agent institutionnel dans le cadre de cet entretien d’évaluation, en l’occurrence la mise en récit de soi, à la demande du professionnel (et ce à des fins d’évaluation de la situation quotidienne et de la dépendance de la personne âgée). C’est ce qu’illustre l’extrait ci-dessous :

Caroline : « Je vais vous poser tout un tas de questions ».

Mme Pinet : « Pas trop quand même », répond-elle avec le sourire. Jusque là, la fille et la petite fille ne sont toujours pas intervenues.

Caroline : « Je suis obligée de vous poser des questions, pour vous connaître ». Mme Pinet : « Oui, mais ce qu’il y a, c’est que j’ai des trous de mémoire ».

La personne âgée peut aussi exprimer son désaccord avec un jugement porté par l’agent institutionnel, à partir d’une compétence professionnelle, sur les « territoires du moi »(Goffman, 1973) de la personne âgée : les caractéristiques de son espace domestique, de ses routines quotidiennes, la manière dont elle prend soin de soi, de son corps, de sa santé… Ainsi, Monsieur P., il proteste contre l’idée évoquée par l’agent institutionnel d’une aide pour la toilette : « Non. J’aime pas bien me laver. J’ai fait trois ans de guerre, on se lavait une fois tous les deux mois. Me laver c’est pas mon fort ».

La divergence de points de vue peut aussi porter sur les modalités pratiques de mise en œuvre de l’aide. Ainsi, la personne peut préférer l’éventualité d’une aide financée par les chèques emploi service, quand l’agent institutionnel lui conseille de « s’adresser à l’ADPA pour avoir des aides à domicile professionnelles ».

2.1.2. Expérience problématique et formes « déviantes » d’engagement situé.

Dans un certain nombre de cas, la personne âgée ne s’engage pas dans la situation comme il est attendu par l’agent institutionnel, sans pour autant manifester clairement à son interlocuteur son désaccord quant au déroulement de l’entretien, à ses attentes ou modes de faire, aux sujets abordés… Ce non-alignement « discret » sur la définition de la situation opérée par le professionnel peut aussi être vu comme le signe d’une expérience problématique de la situation par la personne âgée. On distinguera quatre formes déviantes (par rapport aux attendus sociaux et institutionnels) d’engagement situé, qui peuvent toutes être considérées comme le signe d’un non-adhésion hic et nunc de la personne âgée au cadrage de la situation par le professionnel du Conseil Général : des

14

Par « expérience problématique », on entend l’expérience in situ d’une personne âgée qui n’adhère pas à ce qui se dit, se joue, se trame, dans telle ou telle séquence de l’interaction ; en particulier elle n’adhère pas à la présence de l’agent institutionnel, à ce qu’il lui demande, à ce qu’il lui propose, etc… (cf. Dewey, 1993)

tactiques de résistance, une gestion « déplacée » de la co-présence des corps, l’expression d’émotions, une communication distordue.

Ainsi des tactiques de résistance (de Certeau, 1980) à l’égard du cadrage de la situation par le professionnel peuvent se manifester par un usage « décalé » (au regard des normes sociales et/ou institutionnelles) voire un non-usage de la parole, comme dans l’exemple ci-dessous :

Laréférente sociale (RS) fait un petit tour avec un vieux monsieur (90 ans) dans le salon, pour évaluer sa capacité à se déplacer. Elle demande en même temps à la fille du Monsieur s’il a des soins infirmiers.

La fille : « non… c’est moi tous les matins à 8 heures qui vient lui donner les médicaments, préparer le petit-déjeuner… mais parfois il le fait seul ».

La RS « et si une infirmière venait, est-ce que vous seriez obligée de venir ? » La fille : « non »

La RS se tournant vers le monsieur : « Monsieur S., votre fille est fatiguée, il faut qu’elle se repose…

Le monsieur, agacé : « et qu’est-ce qui faut que je fasse… ?! » La RS ne semble pas répondre. [ ]

La RS revient et me dit « l’idée c’est de mieux organiser pour préserver sa fille » Le monsieur : « ben on n’a pas le choix hein ! faut faire avec ! » Il hausse les épaules. [ ]

La RS explique à nouveau l’organisation de la journée, mais cette fois à l’attention de Monsieur S: « le matin c’est votre fille, elle prépare le repas ; à 11h une aide vient pour la toilette et le réchauffage du repas, l’après-midi votre fille repasse si vous voulez sortir ou aller jouer aux cartes sinon elle repasse juste le soir. Le changement c’est qu’elle ne passera plus à midi !? » Le monsieur : « elle fait comme elle veut »

La RS : « non !» [ ]

Monsieur S : « comme vous voulez, arrangez-vous comme vous voulez ». Il a les larmes aux yeux.

En d’autres occasions, c’est la manière dont la personne âgée gère la co-présence des corps, en enfreignant les normes interactionnelles communément admises (Goffman, 1973), qui semble pouvoir être interprétée comme une façon pour elle de marquer une méfiance, des réserves face à la présence de l’agent institutionnel et / ou ses attentes :

Nous nous retrouvons tous les trois dans le salon, mais Mme Pinet ne semble pas décider à nous rejoindre à table. Son attitude corporelle n’indique cependant rien d’une mise en retrait, puisque Mme Pinet semble confortablement installée, le dos contre le dossier du canapé, les mains sur les genoux. Ce doit être son lieu de prédilection pour se reposer. Mais lorsque la référente sociale lui demande, sur le mode interrogatif, si elle souhaite nous rejoindre à table pour que nous puissions « discuter », Mme Pinet s’y refuse. Cette fois, la mise en retrait est visible : son dos se détache du dossier pour se rapprocher de ses genoux, sa tête et son regard s’orientent vers le sol.

De même, il semble fréquent que, vers la fin de l’interaction, au moment d’échanger sur les procédures administratives associées à la mise en place d’un plan d’aide (comment remplir le dossier, calcul du coût pour la famille, qui et comment contacter un prestataire…), la personne âgée se mette en retrait (spatialement, verbalement) et se désintéresse (en tournant le dos, en regardant ailleurs ou dans le vide) d’une discussion où désormais seuls sont impliqués le professionnel et un membre de la famille.

Dans le même ordre d’idée, à travers l’expression d’émotions (visibles par l’agent institutionnel), certaines personnes âgées donnent à voir (pas forcément volontairement encore moins

stratégiquement) un malaise, un mal-être face aux questions, à certains thèmes abordés par le professionnel. Par exemple, dans l’entretien entre Inès (référente sociale) et Madame A, l’agent institutionnel enchaîne (de manière quelque peu abrupte) des questions touchant à l’intimité corporelle de la personne, susceptibles d’obliger la personne âgée à donner une image négative, socialement stigmatisante d’elle-même (y compris dans le cercle restreint de l’interaction). Ainsi :

Inès : « ça tombe bien que vous parliez de ça, j’ai une question sur ce domaine là. Incontinences, petites fuites ? ». Le regard fixé sur la toile cirée, et d’une voix presque inaudible, elle répond : « ça arrive ». La belle fille, qui ne semble pas avoir compris ce que voulait dire sa belle mère, dit à Inès : « Non mais pour ça c’est bon, on a mis un rehausseur de WC, on a tout fait pour que ce soit plus facile ». Mme A., toujours d’une petite voix, rectifie auprès de sa belle fille : « ça m’arrive que j’ai pas le temps d’y arriver et je fais dans les pantalons ». Surprise, sa belle fille lui dit : « Mais, tu m’avais jamais dit. Pourtant je t’ai demandé si les odeurs c’était… ». Mme A. lui coupe la parole et se justifie : « C’est pas facile d’en parler, c’est la honte hein ». La belle fille prend alors la main de Mme A., et tout en lui caressant, lui dit d’une voix douce : « C’est pas grave, ça arrive. Nous, il faut qu’on le sache, c’est bien que tu le dises. Mais je t’avais dit qu’à moi tu pouvais tout dire hein ? ».

Un mode d’interaction particulier entre l’agent institutionnel et la personne âgée (et éventuellement un de ses proches présent), que nous qualifierons de communication distordue, semble aussi être le signe d’une non-adhésion située de la personne âgée à la conduite de l’entretien par le professionnel : alors que ce dernier structure (plus ou moins) l’entretien sous la forme d’un questionnaire (il pose des questions, la personne âgée est censée parler seulement pour y répondre), la personne âgée, tout en répondant aux questions posées, s’emploie dans le même temps ou lorsqu’elle en a l’occasion (lors d’un silence du professionnel occupé à renseigner la grille d’évaluation des besoins ou le dossier par exemple) à proposer une mise en récit de soi selon une logique propre : elle dévie sur un sujet, un aspect de sa vie, un problème alors même que le professionnel ne lui a pas demandé d’en parler…. Ce dernier, dans un certain nombre de cas, ne tient pas compte des propos décalés de la personne âgée : il ne la regarde pas, n’acquiesce pas, note autre chose sur sa fiche, l’interrompt pour lui poser une question sans rapport avec son récit… Parfois la personne âgée s’étonne de l’indifférence du professionnel et éventuellement « revient dans le droit chemin » souhaité par l’agent, parfois aussi, la personne âgée poursuit son « monologue ». On parlera alors d’une communication distordue (si ce n’est impossible…).

2.2. L’insensibilité relative de certains professionnels : formes pratiques et bonnes raisons.

Outline

Documents relatifs