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Une faible pratique de négociation chez les professionnelles de proximité.

2. Eléments endogènes : la qualité définie « in situ » 1 Réponse aux attentes et qualité de l’aide.

2.2. Ajustements vs « arrangements ».

2.2.3. Une faible pratique de négociation chez les professionnelles de proximité.

Dans le discours portant sur les pratiques des aides soignantes au domicile des personnes âgées, il apparait que ces professionnelles du soin entretiennent des rapports de force visant à protéger leur fonction à plusieurs niveaux. Leur souci premier est de sauvegarder un confort de travail dans un environnement privé. En effet, travailler seule à domicile auprès de personnes dont les dépendances physiques peuvent être importantes, s’il permet une relative autonomie professionnelle (voir infra point 4.1.3.), est aussi une source d’insécurité pour les aides-soignantes. « A domicile il faut savoir s’imposer et à domicile on est seule ce n’est pas toujours évident » (Mme Bélangier). « On est toute seule quand même. A l’hôpital tout de suite tu as l’ide ou l’interne même s’il ne vient que faire sa visite le soir on sait qu’on va l’avoir sous la main » (Mme Bertholet). La relation de face à face, si elle est signifie également pour les aides soignantes comme pour les aides à domicile la possibilité de s’éloigner des cadres hiérarchiques et de mettre en avant leurs qualités personnelles, d’humanité, d’écoute (voir infra 3.3.3), peut à l’inverse mettre en difficulté la professionnelle, qui dès lors, n’envisage plus la relation comme un espace de négociation mais comme plutôt comme un rapport de force lors duquel il faut « s’imposer » : ce terme met en avant la difficulté à aller plus loin encore dans la co-construction de la prestation d’aide.

Les aides soignantes utilisent un matériel spécifique du fait des soins devant être dispensés ou du fait d’incapacités physiques de la personne âgée. Dès lors elles vont chercher à ce que l’aménagement du domicile leur facilite le travail alors que par ailleurs elles cherchent à respecter le domicile comme une continuité de la personne. Il n’y a sur ce point pas de négociation possible pour la personne âgée même si on lui laisse le temps de se résigner : « Parfois ils refusent le matériel médicalisé par exemple quand c’est un couple et qu’on leur dit faut vous séparer de votre lit marital c’est dur quand on dit il faut un lit médicalisé pour votre mari et vous vous irez dormir dans une autre chambre parce qu’on n’aura pas la place quand il faudra le lever quelque part on détruit quelque chose. - Et les gens l’acceptent ? Oui mais des fois c’est avec vive haleine faut vraiment discuter prendre le temps que la personne fasse le deuil puis le lit médicalisé ce n’est pas joli (Mme Belangier) », « depuis que je suis là en fait tant qu’on a pas à intervenir à faire de toilette au lit les gens ils gardent leur lit après bon le jour ou il faut bon on en parle les gens acceptent à un moment donné je ne dis pas que ça se fait comme ça il faut en parler il faut du temps puis ils acceptent » (Mme Bertholet).

Un autre élément de tension apparaît en ce qui concerne les horaires de passage. Les personnes âgées essaient de négocier mais si elles disent les comprendre, les aides-soignantes ne sont pas prêtes à revenir sur une organisation qui les sécurise et qui de plus, est basée sur le respect de certains protocoles de soins. Il s’agit alors de sauvegarder la souplesse des horaires : « Les gens se plaignent plus par rapport aux horaires. Ils veulent plus d’horaires fixes comme les auxi. La chef elle dit ce n’est pas possible. Elle donne une trame de deux heures les gens téléphonent « elle n’est pas encore arrivée ». Les gens restent butés sur les horaires. C’est souvent pour s’organiser c’est vrai c’est pas facile je peux comprendre mais on n’a pas le choix le valrex on le fait refait il faut un début une fin on a beau tourner le problème dans tous les sens (Mme Nolin).

Ne pas fixer d’horaires permet une latitude dans l’organisation des aides-soignantes au détriment parfois de la maîtrise que peut souhaiter garder la personne sur sa vie. L’organisation par roulement de durée variable (de 1 à 15 jours dans notre échantillon) permet d’installer une barrière affective sous couvert de sécurité. Les aides-soignantes savent pourtant que les repères sont importants pour les personnes âgées : « On est dans un système où il faut qu’on voit tout le monde, tout le monde est riche dans son expérience, ses valeurs. Pour une personne ce qui est le mieux c’est qu’elle voit beaucoup de soignants. - Moi j’aurai cru justement que c’était mieux pour leurs repères que se soit souvent les mêmes ! Non pas forcément mais pour leurs repères oui c’est difficile parfois notre fonctionnement n’est pas adapté à certaines personnes parce qu’ils ont du mal, d’autres au contraire

apprécient beaucoup ça parce que moi peut être je vais pas penser alors que ma collègue si, une autre va penser à un truc j’aurai pas pensé on est complémentaire (Mme Belangier) », « Toutes, on préfère tourner tous les jours. Au début ils sont réticents ils voudraient toujours avoir la même c’est un repère mais finalement ils aiment bien on est différentes on apporte une présence une discussion différente (Mme Videlier) ».

La question de la négociation et des arrangements se pose différemment pour les aides à domicile. Les professionnelles de l’aide à domicile, par le fait qu’elles sont au plus près des personnes âgées bénéficiaires de services au quotidien, ont toutes consciences de l’impossibilité de « normaliser » la relation et la prestation : « Il faut s’adapter à chaque personne. Ça dépend, y’a des personnes qui vont être contentes par rapport au travail qu’on va faire, après y’a d’autres personnes ça va être plus le relationnel. Après ça va être un peu des deux. Ça dépend, ça dépend où on va, c’est jamais pareil chez chaque personne (Mlle Alves, 24 ans, AVS).

Si la prestation et la relation ne peuvent être identiques d’un bénéficiaire à l’autre, les aides à domicile revendiquent des possibilités d’arrangements chez chacune des personnes chez qui elles interviennent. Pour elles cependant, arrangements et négociations ne diffèrent pas de la réponse aux attentes des personnes âgées. Elles inscrivent automatiquement la question des négociations sur le registre du relationnel, registre qui transcende tous les discours des aides à domicile interrogées. Du fait d’une mise à distance de l’usager impossible à réaliser in situ, de la même manière que les personnes âgées, les aides à domicile attendent de la situation d’interaction un engagement relationnel. Toutes les professionnelles de proximité interrogées recherchent cette dimension relationnelle qui témoignent de l’humanité de la personne qui se trouve derrière la figure du professionnel : « les personnes sont tout à fait différentes parce que vous allez tomber sur la dame qui est vraiment euh… qui refuse d’être vieille, qui veut plus ci qui veut plus ça, qui en a marre. Et puis vous avez la personne qui veut toujours rester dans le truc, qui veut sortir, qui aime bien rigoler… Il faut savoir s’adapter ouais… Donc ça demande des compétences… oui je vous disais, c’est avec le cœur, il faut de l’humanité ouais » (Mme Pinhel, 52 ans, AVS). Cela rend possible et souhaitable ce qu’elles pensent être des formes d’arrangements pratiques (Eideliman, 2008) qui en retour alimentent une relation de qualité entre aidant et aidé : « Mme X. : Non, je pense pas qu’on puisse suivre le plan d’aide à la ligne. On peut moduler selon ce qu’elle veut. C’est pas arrêté. Pareil dans le ménage, c’est pas arrêté, y’a pas tel jour faut faire les vitres et tel autre faire ceci. C’est en fait vous qui faites en fonction de ce que la personne veut que vous fassiez. - Et concrètement c’est quoi une bonne intervention selon vous ? Mme X. : C’est que les gens déjà vous repartiez de chez eux soient contents de votre intervention et qu’il y ait eu un bon échange et ça, ça se fait avec le temps » (Mme Xavier, 58 ans, agent à domicile). Ces extraits d’entretien témoignent cependant d’une prise en compte des attentes des personnes, ce qui ne veut pas dire qu’un espace de négociation est ouvert entre l’experte professionnelle et l’usager, expert singulier.

Pour éviter de se « faire bouffer » d’après l’expression consacrée par les aides à domicile, ces dernières savent aussi, à la manière des aides soignantes « s’imposer » quand il le faut : « Faut écouter la personne de toute façon, pour connaitre comme on disait tout à l’heure, ses désirs, ses attentes, tout en sachant mettre des limites. Parce que certains vous leur donnez ça, ils vous prennent ça (elle s’aide de son bras pour argumenter). Donc tout en sachant mettre des limites. Au début on se rend compte qu’on en fait un peu trop et qu’on se fait bouffer » (Mlle Gallino). Dès lors que des arrangements directs inscrivent les deux parties dans un rapport de force, les aides à domicile en réfèrent à la responsable de secteur, ce qui traduit bien un espace de négociation plus restreint que ne veulent le montrer les professionnelles de proximité : « Si je suis pas sûre, ou que y’a un doute ou quoi que ce soit, je prends pas le risque. J’appelle ma responsable, ou j’appelle la famille, la fille, le fils, je sais pas, en général y’a toujours une personne qui est plus ou moins référente quoi. En disant « j’ai un souci, qu’est ce qui se passe ? ». Je prends pas des décisions par moi-même. » (Mlle Gallino) ;

« Si il nous arrive de faire des choses qu’on a pas à faire et pour lesquels on prend un risque par rapport à la santé et à la sécurité de la personne, on en réfère à quelqu’un, si ça nous arrive, on le dit. - Vous en référez à qui ? Melle S. : A la responsable. Normalement ça c’est automatique » (Mlle Sauret).

Il apparait clairement qu’entre arrangements et négociations, il y a une différence dans le fait de répondre favorablement ou non, selon que l’on se trouve du côté d’arrangements qui entrent en lien direct avec la prise en compte des habitudes de vie de la personne, ou du côté de négociations qui n’entrent pas dans le cadre de compétences des professionnelles de proximité qui, dès lors, en réfèrent à la hiérarchie, tutelle légitime pour arbitrer ce type de scénario. Plus encore, cette difficulté à négocier in situ ne permet pas une co-construction pleine et entière de la prestation d’aide. Cela est à relier avec ce qui est dit en infra (point 4.1.3) sur les multiples tensions qui traversent la question de l’autonomie : ici la tension entre l’autonomie des personnes âgées et l’autonomie professionnelle des intervenantes de proximité se heurte à l’absence de négociations directes entre les deux parties.

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