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Aider au quotidien : apprivoiser la personne âgée et instaurer une bonne distance.

N. B : En gras, ce qui n’est pas explicitement posé en termes de compétences dans le discours A travers ces énoncés, il est possible de repérer la référence privilégiée aux savoir-faire et

4. Enjeux croisés d’autonomie.

4.1. Les enjeux d’autonomie professionnelle.

4.1.2. Aider au quotidien : apprivoiser la personne âgée et instaurer une bonne distance.

De ce fait, « en plus » de ce contrat officiel, la prise en charge des personnes âgées au quotidien se fait au travers de « tactiques d’affiliation » développées par les agents institutionnels. Ces « tactiques » vont permettre (ou pas) au professionnel et à l’usager de trouver, de conserver et de restaurer la bonne distance relationnelle (au regard d’exigences en tension : normes de l’institution et liberté de l’individu dans la sphère privée). La bonne distance relationnelle consiste alors pour la professionnelle à ne pas trop imposer ses normes (ordinaires ou professionnelles) pour se rapprocher des attentes propres de la personne âgée, sans pour autant « se perdre », durablement, dans le point de vue d’un autrui vulnérable, posture inconciliable avec les règles institutionnelles ainsi que génératrice de souffrance au travail (épuisement, tension affective...).

On observe ainsi des tactiques de « réduction de la distance » dont l’enjeu est d’ « apprivoiser » la personne âgée, méfiante ou réticente lors des premières interventions, afin de rendre la relation d’aide et de prise en charge des besoins propres de la personne ne serait-ce que possible.

Par exemple, juste avant de se rendre chez Madame R., Régine nous explique que « c’est seulement la troisième intervention… mais la première fois, elle a à peine voulu que je

rentre chez elle… et au début, je n’ai rien pu faire… mais chaque jour, je gagne des points… de la confiance… hier par exemple j’ai pu balayer… par contre la plaque de cuisson ne marchait pas, mais j’ai pas voulu la braquer en allant le faire cuire chez la voisine hein ! Il faut y aller par petites touches ». A la fin de l’intervention, Régine pose des questions à Madame R. à propos des photos de famille exposées au mur, la personne âgée « se prend au jeu » et se met à parler de son fils ou de ses petits- enfants ; cet engagement du bénéficiaire dans un « dévoilement de soi » consenti et « mesuré » permet de « créer du lien interpersonnel » à travers le partage d’informations biographiques. Toutefois, comme le reconnaît Régine, si certaines tactiques peuvent s’avérer payantes pour gagner la confiance de la personne âgée et entamer ainsi le travail d’aide proprement dit, tout n’est pas, loin de là, maîtrisable. La réaction de la personne âgée n’est jamais acquise et tient par exemple à des impondérables tels que des traits biographiques singuliers. (extrait de journal d’observation).

Plus, tard dans la « carrière du bénéficiaire de la relation », le maintien d’une relation de proximité peut passer par des « petites attentions » de la part de l’aide à domicile au regard de sa connaissance des singularités de tel ou tel bénéficiaire ; par exemple, une aide à domicile (Sandrine) en même temps qu’elle fait le ménage (la salle de bain) chez Madame Vogel m’explique : « Par rapport à Madame Vogel, elle ne voit pas très bien… donc je fais très attention que ça brille et que ça sente bon… parce que sinon, il y aurait un problème de confiance… donc je passe du temps à briquer les robinets… pour que ça brille vraiment ».

Conjointement ou au fil du temps, on observe aussi des tactiques de conservation et de maintien de la distance de la part des aides à domicile qui visent à dépersonnaliser la relation, en rappelant pratiquement, lorsque c’est nécessaire les statuts officiels des interactants. Cela peut passer, par exemple, au quotidien, par le fait, pour l’aide à domicile, de rappeler, la nécessité pour le bénéficiaire de se conformer à certaines normes de la vie quotidienne.

* + Après avoir passé la serpillière, l’aide dit à Monsieur T. : « vous voulez prendre un bain de pied comme mardi dernier ? »

Monsieur T., très calmement et avec un joli sourire : « non ça va très bien » L’aide répond : « bon alors mardi on le fait !? »

Monsieur T. « d’accord » *petit sourire+. (extrait de journal d’observation).

Les aides à domicile développent aussi des tactiques pour contrecarrer ce qu’elles perçoivent comme des tentatives de personnes âgées isolées de s’accaparer leur « aide à domicile », de « profiter » au maximum de sa présence et ce, en contradiction avec ses obligations professionnelles : « il y a des personnes âgées qui essaient des combines, ils nous demandent quelque chose à la dernière minute de l’intervention, il faut être clair avec eux, mais c’est pas toujours facile de dire stop, par exemple une personne qui enclenche une discussion à la dernière minute, j’arrive pas à l’interrompre, donc c’est parti, les minutes défilent… ».

L’enjeu de ces tactiques, qui émaillent la relation d’aide, est bien, pour les aides à domicile, de trouver ou de conserver une certaine « constance » au fil des interactions avec le bénéficiaire. Mais comme le souligne une aide à domicile « avec certaines personnes, il y a toujours une incertitude… des bénéficiaires avec qui on n’a pas trouvé encore de constance… ça peut aller très bien un jour et le jour d’après qu’il y ait beaucoup d’agressivité ».

Cette « bonne distance relationnelle », condition nécessaire (mais pas suffisante) d’un engagement en situation acceptable pour les deux protagonistes n’est donc pas un état stable, sur lequel les interactants pourraient éternellement compter une fois qu’ils l’auraient trouvée. Cette bonne

distance est avant tout un processus pratique, contingent et chaotique, à travers lequel les aides à domicile, en se coordonnant avec chaque bénéficiaire, produisent, confirment cette bonne distance, au besoin la restaurent en cas d’incidents, de disputes, d’épreuves au fil de la prise en charge… Ainsi, la nature même des tâches demandées aux aides à domicile et leur position professionnelle paradoxale (un agent institutionnel au domicile privé de l’usager) les obligent à « prendre des libertés » avec les règles et normes censées déterminer leur travail si elles veulent espérer produire en situation une « action qui convient » (Thévenot, 1990) et apporter, in fine, une aide qu’elles puissent considérer comme de qualité.

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