• Aucun résultat trouvé

2. Eléments endogènes : la qualité définie « in situ » 1 Réponse aux attentes et qualité de l’aide.

2.2. Ajustements vs « arrangements ».

2.2.1. Des responsables réticentes aux « arrangements »

Comme nous l’avons précédemment relevé, les propos des responsables sont relativement ambigus en ce qui concerne la nécessité d’ajustements, d’adaptations dans les interventions d’aide à domicile, qui reposeraient sur une appréciation subjective mais professionnelle de la situation. L’absence de qualification des intervenantes à domicile semble faire, pour une part des responsables, obstacle à leur prise d’initiative et à la reconnaissance de ce travail d’ajustement en tant que compétence et mission spécifiques. La possibilité que l’intervention à domicile se constitue comme espace de négociation, dans lequel la prestation se définit entre le bénéficiaire et le professionnel intervenant, n’est pas envisagée de façon égale par toutes les interviewées. Il semble que les «ajustements» de tous ordres qui peuvent s’exercer dans l’intervention d’aide à domicile soient considérées comme relevant de la compétence et de la légitimité des responsables mais non des intervenantes directes, car devant être considérés comme des adaptations de la prestation dans le sens de son individualisation. En ce qui concerne le soin à domicile, il est très clair que le processus d’ajustements

9 Comme nous l’avons vu pour Mme Belangier, aide soignante, mais aussi chez Mme Bouchra, 48 ans, AVS, qui

a reçu lors de notre présence un appel téléphonique de la part de la personne chez qui elle devait intervenir l’après midi, cette dernière émettant le souhait de se faire amener chez le coiffeur. Mme Bouchra a donné son numéro de téléphone aux personnes chez qui elle intervient bien que cela soit interdit par sa structure employeuse.

qui est défini comme élément de qualité renvoie explicitement au travail de l’infirmière coordonnatrice qui ensuite transmet à l’aide soignante sous forme de prescription les rythmes et les modes de faire qu’elle doit adopter : « la qualité c’est justement les interactions entre la norme qui précise les rôles professionnels et la demande de la personne. Ce sont en permanence des ajustements… Le coordo qui fait l’évaluation est au centre : il cherche à comprendre qui est la personne, son parcours de vie, comment elle voit sa situation, son avenir. …L’évaluation peut s’affiner sur trois mois. Après c’est une proposition de soins négociée sur le contenu, les rythmes, les horaires. » (directrice des soins, service 5). Les ajustements sont ici pensés comme relevant d’un processus d’évaluation de longue durée et devant permettre d’aboutir à une formalisation de ce qui est proposé à travers un contrat de prise en charge. L’ajustement précède donc la contractualisation et fait suite à ce qui devrait être un processus d’évaluation/négociation, dans le cadre de la définition du plan d’aide APA. Cette approche se fonde sur la conception d’une qualité qui passe par la « continuité de service » et « les compétences collectives » qui sont perçues comme plus importantes que les compétences individuelles.

Chez les responsables d’aides à domicile, la même réticence s’exprime à l’égard des arrangements entre la personne et l’intervenante en raison d’un manque de qualification et de compétences supposé : « le public des aides à do, ce sont des femmes qui ont peu de qualifications et qui ont des difficultés sociales, elles arrivent, elles disent, j’ai élevé des enfants, je peux faire aide à domicile. Il leur faut de la formation, de l’accompagnement, un tuilage, un suivi : c’est obligatoire pour la qualité des interventions mais aussi pour le confort de leur travail. » (responsable service 1).Ou encore : « Ce sont des professionnelles qui n’ont pas d’acquis en termes de compétences théoriques sur le vieillissement et les personnes âgées. Elles font avec l’image qu’elles en ont. En plus de ça, la plupart du temps, elles n’ont pas un parcours scolaire très avancé, elles n’ont pas de distance, pas d’analyse. Il y a pas de normalisation des compétences. » (responsable service 2).

Ces discours plutôt disqualifiant à l’égard des aide à domicile justifient une volonté de limiter au maximum les possibilités d’arrangements pour « normaliser » au plus la relation et la prestation. « Et puis du côté des bénéficiaires, certains avaient l’habitude d’interrompre la prise en charge temporairement en prévenant et en s’arrangeant directement avec leur aide à domicile…ils leur disaient « oh ben j’ai pas besoin de vos services demain », ça se passait comme ça ! Alors parfois il y avait des plaintes en plus parce que la personne âgée oubliait qu’elle avait dit à l’aide à domicile de ne pas venir. Donc le lendemain elle appelait le service… nous on était pas forcément au courant… Donc des incompréhensions, des conflits… Donc là il n’ya pas de véritable contrat d’intervention, c’est à ça que je veux arriver… » (directrice service 4).

Une norme de contractualisation esquissée à travers ces propos limite les possibilités de faire évoluer journellement le service proposé et qui introduit la responsabilisation du bénéficiaire à part égale avec le service. Chez ces responsables, la prestation offerte oscille sans cesse entre don d’accompagnement et relation consumériste. Mais dans tous les cas, un impératif de mise à distance de l’usager se fait jour, qui paraît devenir le critère essentiel de la qualité de la prestation. Cette mise à distance s’opère par le truchement des responsables qui viennent médiatiser la relation entre l’intervenante à domicile et le bénéficiaire. Ce sont des logiques de « faire pour », -i.e. de prise en charge- qui s’imposent et occultent les possibles dimensions du « faire avec », i.e. des logiques d’accompagnement (Karsz, 2004) que pourraient dérouler les aides à domicile dans leur grande proximité avec les usagers. La responsable devient un « diplomate » essentiel qui « tout en se situant dans le camp de l’institution, est un pragmatique ». Elle « va vers la personne et tente de négocier avec elle sur le site même de l’action le problème à traiter et la réponse à apporter » (Laval, Ravon, 2007). En revanche cette fonction de « diplomate » n’est pas reconnue comme relevant des compétences de l’aide à domicile.

Pour un service enquêté seulement, représenté par deux entretiens -celui de la Présidente et celui de la responsable de secteur-, les arrangements au quotidien sont un élément de qualité à encourager. Les modalités de recrutement sont d’ailleurs liées à ce souci de favoriser les « compatibilités » : « on essaie de favoriser la compatibilité de l’intervenant et de la personne, on a cherché quelqu’un pour une jeune fille handicapée qui ne communiquait presque pas et qui lisait toute la journée des mangas. On a trouvé quelqu’un qui connaissait bien l’univers des mangas et c’est super comme la relation passe maintenant. On est dans l’accompagnement de la vie, pas que dans la technique » (présidente service 6). Pour les responsables de cette association, qui par ailleurs ne fonde pas la compétence sur un diplôme, l’intervention à domicile relève « d’un vrai métier » et d’une grande marge d’initiative et de solitude, qu’il faut savoir accompagner. Elles sortent de la logique du « besoin d’aide » c'est-à-dire « abandonner une conception normative, qui vise à dicter ce que devraient faire les personnes confrontées à des difficultés dans la vie quotidienne pour mener une vie « normale », au profit d’une optique descriptive, attentive aux arrangements pratiques qui permettent à ces personnes de vivre malgré leurs limitations » (Eidelimann, 2008).

Dans cette approche, à travers laquelle les arrangements se jouent in situ et se renouvellent à chaque instant, on pourra peut être envisager la situation d’interaction comme « prescription réciproque » c'est-à-dire que les apprentissages de l’usager seront de nature à modifier ou à réorienter les apprentissages du professionnel (Hatchuel, 2002).

Outline

Documents relatifs