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PARTIE II : Non recours et non adhésion

13 Mme Suret,

4. Qualité de l’aide et qualité de vie : disjonctions et conséquences L’hypothèse centrale de notre projet de recherche postulait une « disjonction des notions de qualité

4.1. Des approches diverses de la qualité de l’aide.

Au cours de notre travail, nous avons été amenés à rencontrer tous les acteurs engagés dans le système d’aide à domicile : évaluateurs et prescripteurs, responsables d’organismes de formation, responsables de services d’aide à domicile, professionnels directement intervenants et personnes aidées. Il apparaît que pour chacun de ces acteurs, la qualité de l’aide à domicile est diversement définie et appréciée. Le premier élément de différenciation est la place faite à la prescription et a- contrario à la construction endogène, in-situ de la qualité. En conséquence mais secondairement, c’est aussi la part de l’organisation et du fonctionnement général du service et celle de l’interaction en situation d’aide qui sont plus ou moins centrales dans les définitions de la qualité proposées. Ainsi deux dynamiques opposées interviennent dans les définitions de la qualité : d’une part, une dynamique de prescription, que nous avons ici qualifiée d’exogène, dans le sens où elle se manifeste a-priori, en dehors du domicile et de la présence de la personne aidée, dans une mobilisation de critères qui ont vocation à être valides toujours et partout, en dehors de toute relativité contextuelle ; d’autre part une dynamique d’ajustements et d’arrangements, qui fonctionne in situ, au domicile des personnes aidées, dans un espace de rencontre qui est aussi celui de l’exercice professionnel. De la part laissée dans la définition de la qualité à un ensemble de normes exogènes dépend la part proposée à l’usager dans le processus de définition du contenu et de la forme de la prestation.

Le terme générique de « qualité de l’aide à domicile » tel qu’il est proposé dans l’appel à projet de la CNSA recouvre trois niveaux de réalité différents pour les différents acteurs des systèmes d’aide. Le premier niveau est celui de l’organisation générale du service, le deuxième celui de la prestation fournie et le troisième celui des interactions et des échanges relationnels entre le personne aidée et l’intervenante. Ces trois niveaux sont diversement pris en compte, commentés, critiqués en fonction de la position de la personne qui s’exprime. Cette « position » peut se comprendre tout à la fois en tant que degré de proximité avec les usagers, place dans un organigramme institutionnel hiérarchique mais aussi position sociale, statut, liés à une formation initiale et à la plus ou moins grande notoriété de la profession.

A travers la mise en exergue de critères de qualités à chacun de ces niveaux, c’est également la part de l’usager, au sens de marge d’autonomie, de négociation et de décision, qui se donne à voir.

4.1.1. Les trois dimensions de la qualité de l’aide à domicile, diversement appréciées.

Nous avons relevé au fil de notre travail diverses définitions de la qualité de l’aide à domicile qui s’exprime selon trois dimensions : qualité du service, qualité de la prestation et qualité des intervenants. Ces niveaux sont appréhendés diversement par les protagonistes du système d’aide. Alors que les professionnels engagés dans l’évaluation de la dépendance mettent l’accent sur la qualité des services prestataires, et soulignent la nécessité d’une bonne gestion, d’un encadrement performant et rigoureux, de la formation des personnels, les personnes aidées ne soulignent que rarement cet aspect du système et s’appesantissent davantage sur la qualité de la prestation et de l’intervenante, qualifiée et estimée à partir de trois éléments essentiels : son insertion dans un réseau d’interconnaissance, sa méticulosité et son ardeur au travail et ses qualités humaines.

Entre ces deux points de vue éloignés, les responsables de service et les organismes de formation, déclinent une palette de critères de qualité qui prennent en compte tout autant les caractéristiques de l’organisation, que celles des intervenantes, envisagées ici en termes de compétences professionnelles. Enfin, les intervenantes de proximité sont sans doute celles dont les positions s’approchent le plus des personnes aidées, comme si leur proximité et leur entrée dans la sphère intime des personnes leur permettaient une plus grande réception, des éléments de qualité susceptibles de faire sens pour les usagers. Elles paraissent ainsi se situer dans une position de médiation entre deux mondes : le monde profane des usagers dans lequel l’affectivité trouve à s’exprimer et le monde de l’expertise professionnelle soumis aux référentiels nationaux de qualité. A partir des entretiens et des résultats de questionnaires, il est possible d’identifier pour chacun des acteurs, une hiérarchie dans le classement de ces trois niveaux en fonction de leur ordre d’importance dans la qualité de l’aide à domicile. Nous soulignons ici ce que cette classification doit à la « position » des répondants. En effet, il apparaît que les acteurs situés le plus en haut dans la pyramide organisationnelle des systèmes de l’aide à domicile sont le plus attachés aux références normatives exogènes et aux dimensions de qualité des services, mettant en évidence l’importance des organisations rationnelles et économes. De même les intervenantes les mieux formées sont celles qui accordent le plus de crédit aux protocoles et processus d’intervention, s’attachant alors à une définition de la qualité de la prestation, plus qu’à la qualité des échanges relationnels, ce niveau étant présenté en termes de compétences professionnelles et inscrit comme élément clef de la prestation. En revanche, les intervenantes les moins qualifiées et les plus proches des personnes aidées, occultent la dimension organisationnelle et de service de leur intervention et situent la qualité exclusivement du côté de la relation engagée avec le demandeur d’aide, et fortement en lien avec leurs aptitudes vs caractère personnel.

Cette perception de la qualité de l’aide est celle qui s’approche le plus des arguments développés par les personnes aidées.

Ordre de priorité des attentes des différents acteurs. Médecins et Autres évaluateurs Responsables de services Intervenantes de proximité Personnes aidées Niveau 1 : organisation et gestion du service 1 1 3 3 Niveau 2 : prestation 2 2 2 1 Niveau 3 : intervenante 3 3 1 2

4.1.2. Interactions, négociations : la place de l’usager.

In fine, dans ces approches différenciées de la qualité c’est aussi le statut de l’usager qui est diversement défini : en effet, selon les intervenants, il se trouve positionné tantôt comme destinataire d’une aide professionnelle pensée pour lui, de manière experte, à partir d’une approche savante de ce que sont ses besoins, tantôt comme un co-constructeur participant d’une prestation, qui doit lui être adaptée, dans le sens du projet d’accompagnement individualisé prévu par les cadres réglementaires, tantôt comme décideur à part entière de ce qui le concerne, client d’une prestation qu’il a le droit et le choix de contester, voire de refuser. Du bénéficiaire passif au client déterminé, diverses postures sont esquissées, autant par les usagers eux-mêmes que par les professionnels intervenants. Ce qui apparaît ici clairement est la posture et les modes d’agir différenciés des intervenants qui ne se situent pas tous exactement dans une attitude d’écoute des personnes, pour prendre appui sur leurs savoirs profanes afin de mettre en œuvre ce qui est susceptible de leur convenir au mieux. Les observations menées lors des temps d’évaluation de la dépendance pour l’entrée dans le dispositif APA, font apparaître la diversité des pratiques professionnelles des évaluateurs. Les plages d’expression des usagers se trouvent différemment calibrées et encadrées. Plusieurs modes opératoires se distinguent chez les intervenants : les logiques strictes et exclusives d’évaluation, reposant sur un questionnement directif à partir de la grille AGGIR, laissent place parfois à une pratique d’entretien non directif dans lequel la plage d’expression laissée à l’usager est plus importante. Les données recueillies ne sont alors pas identiques : dans un cas, elles se limitent aux cotations des aptitudes à accomplir les actes de la vie quotidienne identifiés dans le cadre de la grille AGGIR, dans l’autre cas, elles prennent en compte les habitudes de vie, le fonctionnement des réseaux sociaux, les goûts et les rythmes des personnes. La notion de projet d’accompagnement individualisé au cœur de la loi 2002.2 qui doit apparaître comme support du projet de vie singulier de chaque personne est ainsi diversement mobilisée par les professionnels rencontrés. Quoiqu’il en soit, la prestation fournie n’est que rarement pensée comme support d’un projet de vie mais davantage comme compensation de déficits face aux exigences normées du quotidien.

L’usager n’apparaît que faiblement, du côté des professionnels, comme possible co-auteur et co- acteur du plan d’aide le concernant, qu’il s’agisse du moment de l’évaluation et de la discussion du plan d’aide ou du moment de l’intervention. Cependant, il n’en demeure pas moins qu’il conserve un certain pouvoir d’orientation de la prestation qui ne peut s’affirmer qu’à condition que subsistent une conviction forte de ce qui est juste pour soi-même, la conscience de pouvoir jouir d’un ensemble de droits et la capacité à s’inscrire dans un rapport de transaction qui se manifeste par des postures d’opposition, de retrait ou de ruse. Même si les temps et espaces de négociation n’apparaissent pas institués par les professionnels -qu’ils soient évaluateurs ou intervenants de proximité-, les personnes aidées mobilisent fréquemment leur énergie restante pour faire entendre leur voix et leur point de vue, à travers des manifestations orales ou des comportements du quotidien. La revendication d’autonomie qu’ils manifestent ainsi se fonde sur le souci de la préservation de leur identité d’une part mais également sur leur volonté farouche de défendre des modes de vie qui fassent encore sens pour eux. La qualité de leur quotidien et de ce qui leur reste à vivre passe par cette lutte contre le non sens d’une existence qui serait définie et organisée à partir de points de vue et de rythmes professionnels normés. Pour ces personnes, la qualité de l’aide à domicile se mesurerait alors à la contribution plus ou moins positive qu’elle apporterait – du point de vue des usagers- à l’équilibre d’un système de vie au cœur duquel il évolue».

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