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L’expression de positions autonomes vis-à-vis des cadres hiérarchiques et normatifs.

N. B : En gras, ce qui n’est pas explicitement posé en termes de compétences dans le discours A travers ces énoncés, il est possible de repérer la référence privilégiée aux savoir-faire et

4. Enjeux croisés d’autonomie.

4.1. Les enjeux d’autonomie professionnelle.

4.1.3 L’expression de positions autonomes vis-à-vis des cadres hiérarchiques et normatifs.

L’autonomie est une thématique présente à la fois dans le discours des aides-soignantes et des aides à domicile quand on les questionne sur leur choix d’exercer à domicile : « Oui, c’est dur mais, j’aime bien le domicile parce qu’on travaille un peu plus librement. Enfin, on travaille de la façon dont on veut travailler, on travaille toute seule, on travaille avec sa façon de travailler » (Mme Achard), « Travailler à domicile c’est plus dur qu’en institution il faut être autonome… C’est intéressant dans le travail de ne pas avoir de chef sur le dos parce que c’est un signe de confiance et on peut vraiment organiser nos tournées comme on veut c’est une certaine liberté » (Mme Belangier), « moi ce qui me plait à domicile c’est qu’on est assez autonome tout ça assez et quand même on a toujours la hiérarchie au cas où » (Mme Uberto). Ces propos font apparaître plusieurs dimensions dans lesquelles se retrouvent parfois les deux niveaux d’interventions, aidant et soignant.

Une autonomie revendiquée à travers un refus des cadres institutionnels connus.

La majorité des aides-soignantes ont, dans leur parcours antérieur, exercé en structures hospitalières ou en EHPAD où elles disent avoir connu des soins routiniers, peu respectueux des personnes soignées. Elles ne se sentaient ni satisfaites ni reconnues dans leur travail. A domicile, il devient possible de gérer son temps librement, de ne pas être interrompue par des tâches périphériques ou plus urgentes, d’inscrire la relation dans la durée : ces éléments sont pour les aides-soignantes des éléments de qualité : « c’est une qualité de travail, on se sent bien même si le travail est difficile, la qualité du travail à domicile je pense que c’est la meilleure, il n’y a pas de sonnette qui interrompt le soin, on est avec eux du début à la fin, on est avec eux, en Ehpad on ressort on n’est pas content ! à domicile on fait attention ! on a bien travaillé » (Mme Nolin). Cette autonomie professionnelle renvoie alors à leur capacité à pouvoir s’éloigner des cadres normatifs représentés par leurs savoirs acquis en formation et dans leur expérience de travail en institution. Le domicile représente en effet un espace privé dans lequel le professionnel arrive avec des compétences qui vont demander à être fortement aménagées. Formées dans la perspective d’un exercice hospitalier, les aides –soignantes, apprennent en effet des techniques d’hygiène de soins protocolarisées. A domicile, elles doivent s’adapter à des conditions d’exercice éloignées des normes sanitaires : « Ça m’est arrivée de faire faire pipi dans une boite de conserve parce que je n’avais pas autre chose, l’asepsie à domicile on l’oublie on ne peut pas faire autrement » (Mme Videlier), « Parfois des choses nous heurtent nous on est des soignants alors on est dans l’hygiène et forcément à domicile il y a moins d’hygiène » (Mme Belangier). Ces adaptations s’inscrivent dans un cadre d’exercice où l’intervenante se trouve seule dans la sphère privée de la personne, et l’exercice d’une autonomie professionnelle à distance des cadres normatifs qui régissent leur fonction devient alors une nécessité.

Le même constat se retrouve dans les propos des aides à domicile qui ont une vision majoritairement négative du travail en institution. La part d’humanité dont nous avons souligné qu’elle est volontairement mobilisée, bien que toujours « sous contrôle », par les professionnelles dans le but d’offrir une qualité de service qui entre en conjonction avec la prise en compte de la qualité de vie de la personne est gommée par la spécificité du travail en institution. Du point de vue des aides à domicile, ce dernier est assimilé à l’image du travail en usine, le fonctionnement des structures d’hébergement les obligeant à « travailler à la chaîne ». Le respect de la personne, une prise en

charge globale et la prise en compte de l’environnement de la personne, de ses souhaits et de son histoire de vie sont impossibles : « moi je ronchonnais au niveau de comment ça se passait quoi, fallait toujours faire vite, et moi j’aime pas travailler comme ça. Tandis que là, dans ce métier là, vous êtes chez les gens, vous avez une relation particulière, les gens vous aiment bien, ils savent qu’on vient… quand on travaille une heure ou deux heures chez eux, ils savent qu’on leur consacre vraiment du temps, on s’amuse pas quoi. C’est pas le travail à la chaine comme en maison de retraite » (Mme Matthieu, 50 ans). Au-delà de la non prise en compte de la personne aidée, c’est la vision de ce que doit être leur travail qui est bousculée. Le domicile permet aux aides à domicile, comme aux aides soignantes, à l’inverse de ce qui se passe en maison de retraite, de développer une approche plus individualisée des personnes accompagnées, laissant une plus large place à l’exercice relationnel, et permettant de s’abstraire des cadres normatifs et protocolaires, dont il est souhaité par leur hiérarchie qu’ils soient respectés.

Une autonomie liée aux conditions de solitude de l’exercice professionnel.

Le fait d’être seule au domicile avec la personne aidée, s’il demande « une distance relationnelle » comme indiqué dans le point 4.1.2, rend aussi possible une distance à l’égard de la hiérarchie. La pression dont parle cette aide à domicile non diplômée (extrait ci-dessous) doit être comprise comme une pression pour le respect d’une « professionnalité » dont il est attesté que les responsables la font entrer dans des critères qui ne laissent pas de place aux arrangements, aux négociations et à une autonomie professionnelle. « Le cadre du domicile, c’est vraiment très agréable, et d’être toute seule avec la personne, on n’a pas la pression de la hiérarchie. On est autonome. Le cadre du domicile ça me plait » (Mlle Sauret, 27 ans). Ainsi, être seule au domicile est un critère qui entre en ligne de compte dans le choix de travailler dans ce secteur : « on est vraiment seules face aux situations, et c’est à nous de gérer » (Mme Gallino). De plus, ces professionnelles ne travaillent pas en équipe, notion abstraite pour elles, à l’inverse des aides soignantes. L’autonomie revendiquée à domicile renvoie les aides-soignantes à la responsabilité du soin dans un environnement qui peut être éprouvant psychologiquement : « il y a aussi l’évolution de la maladie, on avait un monsieur avec beaucoup d’agressivité verbale, j’en pouvais plus des méchancetés, des injures qu’il disait, c’était perpétuel, puis une fois que le soin était fini, qu’il était habillé et tout, c’était un merci, il disait vous avez de la patience, ça c’était un réconfort quand même mais tout le temps du soin, c’était insultée, insultée, sa femme disait : « j’ai honte », alors on lui disait : « on a l’habitude c’est la maladie », mais parfois l’habitude ben on peut plus se faire traiter comme une moins que rien, alors qu’on fait du mieux qu’on peut , parfois c’est difficile » (Mme Treillard admr 73). Habituée dans les organisations institutionnelles à un travail d’équipe qui permet d’éventuels relais lorsque les situations sont trop difficiles, les aides-soignantes à domicile recréent une solidarité qui leur permet de se sentir en sécurité : « On ne part jamais en laissant une aide soignante dehors, on appelle : tu as eu un souci ?» (Mme Belangier), « On est seule oui mais pas complètement on a une équipe très très soudée … on est une équipe éclatée mais qui est très soudée qui travaille dans le même sens c’est formidable » (Mme Videlier).

Cette solitude qui justifie partiellement la revendication d ‘autonomie est cependant plus nuancée du côté des aides soignantes que des aides à domicile. En effet, ces professionnelles du soin bénéficient du regard professionnel d’une infirmière coordonnatrice et également de temps d’analyse des pratiques avec un psychologue. Elles reconnaissant l’intérêt de ces supports individuels ou collectifs pour le développement de leurs compétences et en tant que « garde-fous » nécessaires dans l’exercice à domicile : « on en parle entre collègues, comment ça se passe toi, parce qu’on se remet en question qu’est ce que j’ai fais, pas fait, qu’est ce qui provoque ça on analyse après avec la collègue t’as le même problème, une troisième alors on en parle avec la psy on fait bien remonter ».

Leur autonomie professionnelle s’exerce donc dans un cadre plus sécurisé que celui des aides à domicile.

Une autonomie au service d’un accompagnement individualisé des personnes.

L’autonomie s’exprime alors dans la possibilité de privilégier les aspects relationnels prégnants dans la formation des aides-soignantes mais moins valorisés que les dimensions curatives et techniques à l’hôpital : « En règle générale, dans les stages à l’hôpital, je ne retrouvais pas l’accompagnement, j’ai même eu des doutes à un certain moment sur une équipe de 10, il y en avait qu’un qui m’expliquait l’importance du relationnel sinon les autres c’était très technique, ça m’intéressait, mais pour moi c’était pas dans ma logique ». L’exercice à domicile leur donne la possibilité de rencontrer la personne âgée dans son environnement, son histoire, ses habitudes et de pouvoir accéder à un modèle d’accompagnement personnalisé « (à domicile) on a 5 ou 6 patients on a vraiment le temps de prendre la personne dans sa globalité, en ehpad vous avez douze quinze toilettes à faire vous n’avez même pas le temps de parler avec la personne c’est à la chaine » (Mme Belangier). Etre seule à domicile comporte une part d’inconnu et d’inquiétude largement compensée par le confort de pouvoir être entièrement disponible à la personne et à la situation. Les aides à domicile, par le fait d’être seules, se sentent responsables de la personne et de son environnement, ce qui assure une plus grande estime de soi, de sa fonction : « moi j’aime beaucoup le cadre du domicile. En fait je me sens responsable. Si je viens là pour faire l’entretien, même si des fois je fais pas que l’entretien, je me sens responsable, de l’appartement, je contribue à le garder en bon état. Et ça j’aime bien, c’est agréable. - Vous m’avez dit que vous vous sentez responsable de l’environnement de la personne, de son appartement, mais est ce que vous vous sentez aussi responsable de la personne ? Melle S. : Oui oui complètement. De sa sécurité, de sa santé. -Par ce que vous faites auprès d’elles, vous vous sentez responsable de son hygiène, de sa sécurité, de son état de santé ? Melle S. : Oui totalement. Justement hier je pensais à ça, je faisais la toilette chez un monsieur qui a des grains de beauté. C’est un truc qui m’est venu comme ça, c’est pas lié au monsieur ou à son état de santé, mais je me disais par exemple que s’il y avait une grosseur, comme un cancer ou un kyste, en fait c’est moi la première qui le vois ça, puisqu’il y a personnes d’autres qui peut le voir, donc oui on est responsable » (Mlle Sauret). L’espace d’intimité créé, en dehors des règles très spécifiques de ce métier, en fait pleinement partie et est revendiqué par les professionnelles de l’aide, tout autant car il permet de s’approcher, de leur point de vue, d’une aide de qualité que parce qu’il signifie l’exercice d’une autonomie professionnelle, sans laquelle, une fois encore, l’aidante professionnelle ne serait réduite qu’à la figure de l’exécutante : « Sont opposés deux espaces, celui de l’intime de la personne âgée et celui du praticien représentant la sphère publique. Ce dernier, visant dans l’idéal à une professionnalité absolue, doit refuser et maitriser toute influence, jugée néfaste, de son univers intime sur son intervention. On voudrait contester cette idée dominante. L’accompagnement à domicile n’est possible et n’atteint pleinement ses objectifs qu’à la condition que le professionnel soit impliqué et que son intimité soit judicieusement « exploitée » dans son travail. Son espace intime devient outil professionnel, pourrait-on dire. Cela ne peut se faire autrement, à moins de réduire son rôle à l’exécution, d’une manière purement instrumentale, de tâches ménagères et/ou domestiques » (Djaoui, 2007).

Autonomie et satisfaction professionnelle.

Les aides-soignantes et les aides à domicile ont trouvé semblent-ils, dans l’exercice seule à domicile, un lieu d’expression de leur métier et de leurs valeurs (respect de la personne et de son autonomie) qui leur convient pleinement malgré les difficultés ressenties (lourdeur des déplacements, alourdissement de la dépendance physique et psychique des personnes âgées…) : « j’crois que le boulot qu’on a, on l’a dans l’âme, on est faites pour ça ou pas » (Mme Achard), « A domicile j’ai retrouvé le goût du métier je viens avec plaisir » (Mme Videlier).

Aucune d’entre elles n’envisagent de renouer avec une pratique institutionnelle. Elles se sentent reconnues comme un maillon incontournable du maintien à domicile jusqu’à se décrire parfois comme coordinatrice des actions des différents professionnels : « Le maintien à domicile c’est nous les ide et le kiné » « On est une équipe pluridisciplinaire on met tous les acteurs en relation…Il faut pouvoir gérer son temps gérer son soin avoir une bonne organisation dans son travail c’est pas donné

à tout le monde c’est beaucoup de responsabilités on est en relation avec le médecin les ide libérales les assistantes sociales la famille ; c’est nous les premiers acteurs les premières personnes en ehpad ou à l’hôpital c’est l’ide ou la coordonatrice » (Mme Belangier).

Ces éléments leur permettent de se penser comme étant reconnues et appréciées par les personnes âgées, leurs collègues et leur encadrement. Les aides-soignantes réussissent au domicile des personnes âgées à élever leur métier dans la hiérarchie des métiers du soin et à s’abstraire de la position subalterne qu’elles connaissaient en institution: « ça n’a rien à voir avec l’hôpital ou l’ehpad où on est juste l’aide soignante » (Mme Belangier).

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