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Introduction de chapitre

I. A.1.c Du silence dans la continuité

Comme premier exemple de mise en situation du silence dans la continuité d’une narration, nous pensons à la fin de la première attaque du requin, durant laquelle la jeune fille est emportée par le fond, dans Les dents de la mer (1975) de Steven Spielberg. La musique qui rythmait le massacre, se tait. Le silence accompagne le plan large de la mer devenue calme. Ici aussi le silence symbolise la mort.

Chez Takeshi Kitano, la notion de fatalisme est généralement alourdie par le si- lence. Cela peut paraître évident face aux tragédies dans Hanna Bi (1997) ou Sonatine (1993). Cependant, nous remarquons qu’il fonctionne aussi à travers le gag. Alors que, dans le cinéma burlesque, la musique est souvent utilisée pour souligner l’effet comique, parfois sous forme de mickeymousing, dans L’été de Kikujiro (1999), c’est du silence que naît le comique. Pour rappel, Masao, petit garçon de neuf ans, part à la recherche de sa mère avec l’aide d’un ancien yakuza nommé Kikujiro. Dans la séquence où Kikujiro casse la vitre d’un camion, nous ne le voyons pas agir. Nous entendons juste le bruit de la vitre qui éclate entre deux moments de silence. Aucun autre son n’accompagne la scène. Le comique de la situa- tion est ainsi renforcé par cette sorte de mépris sonore sur l’action. Une musique additive aurait comblé cette ignorance du son du coup sur la vitre et aurait affaibli la cocasserie de la scène. De même, quand Kikujiro se trouve devant la maison de la « supposée » mère et que celle-ci sort de chez elle, c’est le silence qui crée l’émotion. La musique de Jô Hisaishi n’apparaît que plus tard, accompagnant la déception par des violons en tonalité mineure, puisque la femme qui sort n’est pas la maman du petit garçon. La musique n’est présente que pour apporter l’émotion à certains passages « libres » de ce road movie, à la manière d’un Wim Wenders. Ni musique ni bruitages explicatifs n’escortent une action significative. Nous retrouvons le même procédé lorsque l’oncle découvre la vraie mère du Kikujiro. Le silence s’installe d’abord, avant de laisser place à la musique.

Autre exemple, 2001, l’odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick est un film dans lequel plane un vaste silence, ample, spacieux. Cette sensation est totalement inexis- tante dans La guerre des étoiles (1977) de Georges Lucas par exemple, et les épisodes suivants dans lesquels nous entendons le bruit des vaisseaux spatiaux traversant l’espace indépendamment de toute vraisemblance scientifique sur le plan sonore. D’ailleurs, pour les

besoins du mythe développé par le film, l’espace est naturellement réduit. L’univers est habité et on ne s’y perd pas, contrairement au film de Kubrick. Les personnages passent d’une planète à l’autre comme nous passerions réellement d’un quartier à l’autre. On change de galaxie comme on changerait de ville. Cette impression d’espace restreint est particulièrement patente dans la deuxième trilogie (épisodes I, II et III) réalisés en studio avec une grande part de décors virtuels.

Inversement, dans 2001, la notion d’immensité de l’espace est présente grâce au travail effectué sur le silence ponctué de bruitages et de très peu de dialogues qui, plus que

Le beau Danube bleu de Johann Strauss, donne ce sentiment d’infini à l’univers. En ce qui

concerne les bruits mis en valeur par le silence, le compositeur Damien Deshayes note que :

« L’impact de la musique dans 2001 : a space odyssey est très largement dû aux nom- breux silences qui la mettent en valeur (les passages dramatiques ne sont pas soulignés par de la musique)... Résonances sourdes de l’espace, respiration lancinante de Dave, sons de pas, de cuisine réverbérés dans les dernières séquences, ces bruits de fond qu’on doit également appréhender comme une musique (les inspirations et expirations de Dave « rythment » la séquence dans l’espace et amplifient l’angoisse […]), acquièrent une importance capitale en meublant les silences et en permettant à la musique de se développer dans toute son ampleur lorsque le film le nécessite » 61.

Dans la séquence où Frank est jeté dans l’espace, nous atteignons résolument le vide auditif. Frank se débat en l’absence de propagation sonore la plus complète. Lorsque nous retrouvons Dave dans le vaisseau, le silence est présent avec ce léger bourdonnement intérieur. Quand Dave se trouve à l’intérieur de la sphère (petit véhicule spatial) pour aller récupérer Frank, nous entendons un autre bourdonnement et les « bip » internes. Chaque fois que la caméra se trouve à l’extérieur, nous situant dans le vide intersidéral, nous sommes confrontés au néant sonore. Le véhicule avance à vive allure, sans son.

Kubrick obéit ainsi à la logique scientifique. Quand Dave rentre par l’écoutille de secours, la porte s’ouvre en l’absence de son, et lorsqu’il y est poussé brutalement par appel d’air, il n’y a toujours pas de bruit puisque notre point de vue vient du vide spatial. Le son n’arrive que lorsqu’il réussit à fermer la porte derrière lui, avec la pression de l’air qui rentre.

61 DESHAYES, Damien. 2001, l’Odyssée de l’Espace - la BO / Trame sonore / Soundtrack - 2001, A Space Odyssey

- Musique de Variés [Critique de la BO] : Cinezik.fr. Dans : Cinezik.fr [en ligne]. 2008. [Consul-

té le 30 octobre 2016]. Disponible à l’adresse :

Dans le vaisseau, quand HAL tue l’équipage en hibernation, le silence, justifié par le léger bruit sourd de l’intérieur, est uniquement rompu par le bruit d’alerte. Tout se déroule sous trois silences différents : celui du vaisseau dans lequel HAL se trouve, celui de la sphère dans laquelle Dave se situe et celui du vide sonore de l’espace.

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