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Dans Maria la maléfique, le tic-tac symbolise la stagnation temporelle, la répéti- tion en boucle d’une même action qui n’évolue pas, à l’image de la trotteuse du réveil toujours en mouvement, mais pour revenir incessamment au même point. Cette forme

241 HENRY, Pierre. Le Voyage (d’après « Le Livre des Morts » tibétain) - Souffle 2 [en ligne]. [s. d.]. [Consul-

té le 19 mars 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=7hGRfP11P7Q&hd=1.

242 SOLOMOS, Makis. De la musique au son : L’émergence du son dans la musique des XXe-XXIe siècles. Rennes :

rythmique émerge dès la séquence d’exposition. Entre autres séquences, nous verrons qu’elle est présente dans celle du rêve, mais qu’elle n’intervient plus après que Maria a mis fin à sa routine quotidienne.

L’exposition

Dans ce film, le tic-tac est associé au réveil posé sur la table de nuit. Il se fait en- tendre dès la séquence d’exposition qui commence par différents éléments visuels significa- tifs du film qui défilent en plan serré, à l’image du début de Fenêtre sur cours (1954) d’Alfred Hitchcock : une photo de Maria adolescente et sa statue fétiche en très gros plans suivis d’un plan plus large des éléments posés sur le buffet. Ensuite, la caméra se balade dans l’appartement, de l’aquarium du salon au lit de la chambre à coucher, pris en plongée, sur lequel Heinz, le mari, effectue des va-et-vient sur Maria qui regarde intensément le lustre suspendu au plafond. Nous entendons également des éléments sonores récurrents du film : la note de string pad aiguë, les chuchotements qui s’estompent lorsque nous nous rappro- chons de la chambre, laissant place aux soupirs de plaisir d’Heinz, une note de piano qui s’insère par moments, suivant une montée diatonique et enfin le tic-tac du réveil posé sur la table de nuit.

A titre indicatif, la chambre du père située à l’étage comporte bien un réveil. Ce- pendant, contrairement à la chambre de Maria, nous n’entendons pas de tic-tac. L’ambiance sonore y est très différente. Nous n’entendrons pas non plus le tic-tac du réveil de cette même chambre conjugale lors du flashback dans lequel Heinz dépucelle Maria, à 1h 08mn 30s du film, qui s’inscrit davantage dans l’idée d’un temps qui s’arrête, de sa mise en abyme par l’utilisation du silence, tel que nous l’avons déjà observé. Le son du tic-tac demeure spécifique à une Maria adulte inscrite dans une routine perpétuelle.

Le tic-tac ouvrira la séquence durant laquelle Maria se réveille avant l’heure, à 1h 12mn 54s du film. Cette séquence débute par un écran noir. Un travelling haut, partant du bas du lit, nous fait découvrir Heinz qui dort et Maria qui se réveille, se lève et sort en ouvrant la porte précautionneusement, geste qui contraste avec le volume du tic-tac que nous entendons, qui laisse supposer que les protagonistes sont habitués à ce bruit et, par voie de symbolisme, à la routine de leur existence.

Le rêve

Maria rêve que sa statuette tombe du buffet, se dirige vers la chambre et monte sur elle, couchée dans son lit. Le son de tic-tac se fait entendre dès le début de la séquence, à 1h 25 mm 52s, alors qu’à l’image nous ne nous trouvons pas dans la chambre mais dans le salon. Par conséquent, la présence du tic-tac nous indique que, contrairement à ce que nous voyons, nous ne nous situons pas dans le salon mais bel et bien dans la chambre, plus exactement dans l’esprit de Maria en train de rêver, allongée dans son lit, la tête non loin du réveil posé sur la table de nuit. Nous voyons la statuette tomber en gros plan du buffet. Une

fois au sol, nous passons en caméra « subjective », suivant son parcours. Nous nous dépla- çons furtivement jusqu’à la porte de la chambre. Ensuite, nous contournons le lit pour arriver du côté de Maria. Puis nous prenons de la hauteur et nous fonçons sur Maria qui se réveille en sursaut, face caméra, reprend ses esprits et se lève, le tic-tac ayant été toujours présent en fond sonore, durant ce parcours.

Fin du tic-tac, fin de la routine

La dernière séquence durant laquelle Maria se trouve dans la chambre à 1h 34mn 20s du film, nous permet précisément de comprendre le rôle qu’aura tenu la sonorité de tic-tac durant le film. Dans la scène précédente, elle aura fini par tuer son mari, Heinz. Dans le plan qui précède, Maria trimbale le lourd cadavre dans l’appartement pour l’enfermer dans le buffet.

Cette séquence est filmée en un plan. Par un travelling avant, nous la découvrons allongée seule sur le lit conjugal, sa statuette fétiche posée contre sa poitrine. Au son, la séquence s’ouvre par un coup de timbale sourd que nous entendrons toutes les deux mesures, auquel s’ajoutent deux notes de string pad tenues, jouées en même temps, l’une grave, l’autre aiguë fluctuant en portamento vers le bas et vers le haut. Une piste d’accords arpégés de notes au timbre de harpe synthétique se joint aux autres. De plus, au fur et à mesure que la caméra s’approche du visage de Maria, les yeux rivés au plafond, les chucho- tements s’amplifient crescendo, ce qui paraît logique puisque cette sonorité correspond à

l’activité cérébrale du personnage, et un tintement de cloche précède le moment où elle ferme les yeux. Le seul son que nous devrions entendre mais qui est absent, c’est le tic-tac.

En effet, à partir du moment où elle a tué son mari, rien n’est plus comme avant. Nous constaterons par la suite que son père, qui l’aura forcé à épouser Heinz alors qu’elle était encore adolescente, est également décédé. L’absence du bruit de tic-tac, spécifique- ment dans cette séquence, alors qu’il était présent à tous les autres moments routiniers, est significative du changement de vie. Maria ne sera plus jamais soumise à ce tic-tac.

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