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De la musique séquentielle chez les réalisateurs-compositeurs Même quand les musiques se font entendre tout au long du film, le rapport avec

le principe du leitmotiv nous semble demeurer anecdotique puisqu’elles ont moins tendance à se déployer ou se développer autour de l’évolution dramatique d’un personnage, ceci

autant chez John Carpenter que chez Satyajit Ray ou Clint Eastwood. Ce constat s’avère moins évident chez Alejandro Amenábar qui semble faire figure d’exception puisque ce réalisateur parvient à créer une corrélation entre la progression d’une mélodie et l’évolution d’une intrigue affiliée à un personnage, telle que les retombées dramatiques de la schizo- phrénie du protagoniste César incarné par Eduardo Noriega dans Ouvre les yeux (1997). Cependant, globalement, nos explorations nous indiquent des mécanismes de création connexes et plutôt homogènes, au travers desquels les musiques des réalisateurs- compositeurs peuvent adopter une forme plus ou moins séquentielle, tel que nous l’avions déjà remarqué dans notre étude des relations entre la musique et l’image dans Halloween.

Examinons par exemple Million Dollar Baby (2004) de Clint Eastwood. Ce film ra- conte l’histoire de Maggie, apprentie boxeuse, qui souhaite se faire entraîner par le célèbre coach Frankie Dunn, célibataire endurci qui refuse de mener des femmes sur le ring, mais qui finit par céder face à la détermination de celle-ci. Maggie dispose bien d’une mélodie très douce, dans un rapport très simple de tonique/dominante, dominante/tonique, jouée au piano ou à la guitare, mais cette musique arrive la plupart du temps en fin de séquence sous forme de transition ou sur des scènes séquentielles, et en aucun cas elle ne peut être considérée comme un leitmotiv, faisant écho au sentiment d’Ennio Morricone sur le rôle d’une composition : « je crois que la musique doit être mise quand l’action s’arrête, se cristallise ; comme dans le théâtre musical il y a le récitatif et l’aria, la musique au cinéma fonctionne au moment de l’aria, quand l’action s’arrête et qu’il y a la pensée, l’intériorité du protagoniste, non quand l’action a sa dynamique narrative » 383.

Ce thème d’Eastwood est d’abord joué au piano solo, puis repris avec des ac- compagnements en nappes de cordes à la fin de la séquence durant laquelle Eddie, l’assistant de Frankie, donne quelques conseils d’entrainement à Maggie et que celle-ci recommence à frapper sur le punching-ball dans la pénombre de la salle d’entraînement. La musique continue sur la voix off d’Eddie et fait la transition avec la scène suivante nous exposant Maggie dans le bus, rentrant chez elle. Le thème revient sur Maggie dans une courte scène séquentielle qui tient une fonction de transition, dont chaque plan-séquence expose un moment de vie de la jeune femme : elle ramasse un pourboire sur la table du

383 SOJCHER, Frédéric, BINH, N. T. et MOURE, José. Cinéma et musique : accords parfaits: Dialogues avec des

restaurant où elle travaille en tant que serveuse, elle coupe le réveil et sort de son lit, elle court sur la plage, elle s’entraîne sous le regard de Frankie, enfin elle achète du matériel dans un magasin de sport. Une variation du thème est interprétée par un ensemble de cordes, juste après que Frankie a renvoyé Maggie vers son collègue manager Sally, accom- pagnant le sentiment d’abandon de la jeune boxeuse. Jouée cette fois à la guitare, la mélo- die fait de nouveau la transition entre deux séquences, celle se situant dans le snack dans lequel Maggie travaille, durant laquelle Frankie annonce à sa pouline qu’il refuse qu’elle rencontre les championnes, et la séquence où elle recommence à s’entrainer d’arrache-pied. Le thème revient, joué au piano, suite à la séquence durant laquelle Maggie croit faire un fabuleux cadeau à sa mère en lui offrant une maison avec ses économies. Aucune musique n’accompagne la dispute. Un premier couplet se pose sur Maggie le regard vague, assise sur le siège passager de la voiture de Frankie garée à la station-service. Les deux autres couplets, soutenus par des nappes de cordes, accompagnent l’échange de regard et de sourires entre Maggie et une fillette tenant son petit chien dans un véhicule situé de l’autre côté des pompes à carburant. Voici un exemple de musique qui accompagne tant le visage sombre de la protagoniste que son enjouement à la vue d’un chiot et d’une petite fille, et qui nous renvoie à la contradiction suscitée par l’idée de correspondance images/musique. Le thème reviendra au milieu des notes de guitare accompagnant le rapprochement entre Frankie et Maggie en voiture, ou au piano lorsque Frankie nettoie Maggie à l’hôpital.

Inversement, Clint Eastwood ne mettra pas de musique dans les moments suffi- samment forts dramatiquement. Pas de musique quand Eddie va constater et arrêter la bagarre entre les deux poulains Danger et Shawrelle. Pas de musique pour accompagner le combat entre Eddie et Shawrelle. Pas de musique sur Danger qui s’en va misérablement. Pas de musique lorsque Magie tente de se suicider et que Frankie accourt auprès d’elle. La musique reprend sur la scène elliptique d’après, pendant que Frankie patiente et lorsqu’il se rend à l’église. Enfin, la séquence durant laquelle Frankie va euthanasier Maggie débute par le silence. Seules quelques notes décousues de piano et de cordes se font entendre à partir du moment où il débranche l’appareil et lui injecte le sédatif.

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