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La sonorité des battements de cœur accompagne la découverte des odeurs par Jean-Baptiste et se poursuit lorsque Madame Gaillard, tenancière de l’orphelinat dans lequel se trouve le garçon, vend ce dernier au tanneur Grimale. Gaillard et Grenouille entrent par le coin bas-gauche d’un plan d’ensemble de la rive de la Seine montrant les ouvriers tanneurs à leur tâche, à 12mn 21s du film. Le garçon s’arrête un moment et observe le lieu. C’est alors que le thème du renouveau se fait entendre, chanté par une voix de soprano très douce prononçant la syllabe « ouh » dans une forme de pureté marquant un fort contraste avec cet endroit resplendissant de saleté. Cette séquence musicale, dont le caractère aérien et pur fait référence à la progression de Jean-Baptiste, menée par la pulsation constante du cœur, donc un désir de découverte, autrement dit de plus de vie, suit l’évolution de Grenouille durant son enfance et son adolescence. Grimal négocie avec Madame Gaillard le prix de l’enfant. Puis la veille femme se fait assassiner et détrousser au détour d’une rue.

La petite scène séquentielle qui suit nous montre Jean-Baptiste effectuer diffé- rentes tâches au sein de la tannerie, toujours sur le même rythme cardiaque et la même musique enrichie d’un accompagnement joué par un idiophone évoluant autour de la mélodie. Il sort une peau d’un bassin, en décroche une autre, en étend une troisième, retire les poils d’un cuir, prend des seaux et va chercher de l’eau dans le fleuve.

La scène se termine sur trois plans. D’abord, nous voyons Jean-Baptiste en ¾ face, transportant les seaux et regarder au loin. Ensuite, la mélodie du renouveau, chantée par la soprano, conclut sur un plan rapproché poitrine de Jean-Baptiste de dos, situé au milieu de l’écran, face aux contours de la ville qui se dessine au loin sur les paroles du narrateur : « Petit à petit, il prit conscience d’un monde au-delà de la tannerie… ». Les battements de cœur, qui l’auront mené jusqu’à cette prise de conscience, prennent alors fin sur le dernier plan de cette scène séquentielle nous ayant exposé un Jean-Baptiste qui survit,

se construit et aspire à la vie. Nous le revoyons de face, sous les paroles du narrateur qui termine : « … là où un paradis de senteurs inexplorées s’offrait à lui ». Ce dernier plan est synchronisé avec le dernier accord de la séquence musicale, un Rév joué entre autres par des

notes arpégées de harpe, quelques notes soprano et les dernières notes de hautbois sur Jean-Baptiste qui se retourne et s’éloigne vers la tannerie en transportant les seaux.

I.B.2.d Du souffle pour Thanatos

Dans ce paragraphe nous exposerons quelques cas de figure où la sonorité du souffle est associée à la destruction, la perte, l’involution et globalement les situations défavorables aux personnages ou simplement pesantes.

Cette sonorité s’exprime en ce sens dans une pléthore de séquences. Elle est no- tamment particulièrement présente autour du personnage de Bodo dans La princesse et le

guerrier, imprégné du souvenir de la mort de sa femme et rongé par un sentiment de

culpabilité. Nous pensons au montage du début du film, Tykwer enchaînant subtilement, par un fondu au blanc, de Steini à Bodo, sachant que le premier tentera s’assassiner le second, ainsi qu’à la scène de la préparation du cambriolage qui causera, en effet, la mort de Walter, frère de Bodo, celle où Sissi est rapidement transportée à l’hôpital après un accident qui a failli lui coûter la vie, celle où Bodo, sur le point de se faire licencier, attrape son patron à la gorge, porté par son instinct de mort, ou encore lors de l’épilogue du film, quand Bodo, en fuite en compagnie de Sissi, retrouve par hasard la station d’essence où sa précédente compagne est décédée.

Elle se manifeste dès que Lola est abattue par inadvertance par un policier à la fin du premier scénario de Cours Lola, cours et après que, dans le deuxième, son petit ami Manni se fait écraser par une ambulance en traversant la route pour rejoindre sa dulcinée qui lui amène les 100 000 marks. De même, en ce qui concerne Maria la maléfique, nous pouvons, entre autres, mentionner la séquence durant laquelle Maria tue une mouche à l’aide d’une tapette, ou encore, s’agissant de L’enquête, la subtile sonorité de souffle, lorsque le Consultant passe discrètement derrière Thomas Schumer, collègue de Salinger, pour lui injecter une aiguille de poison qui le foudroiera dans les minutes qui suivront.

Pour l’heure, nous prendrons comme exemples la séquence où Maria anxieuse évoque simplement la mort, celle durant laquelle le docteur annonce l’hémiplégie de son père et celle du rêve dans lequel elle accouche d’elle-même, songe symbolisant le passage de son ancien mode de vie à une forme de renaissance, dans Maria la maléfique. Nous verrons aussi que cette allégorie du souffle est employée comme symbole mortuaire dans

L’enquête pour spécifier l’assassinat de Monsieur White, ainsi que pour exprimer le brutal

anéantissement de l’espoir de Sissi à susciter l’enthousiasme de l’homme qu’elle aime, dans

La princesse et le guerrier.

Maria la maléfique

« Où allons-nous quand nous mourrons ? »

Cette scène séquentielle fait suite à la séquence où Maria, encore adolescente, a ses menstruations pour la première fois. Par la voix off, elle nous fait part de ses préoccupa- tions de jeune fille dans une suite de travellings successifs qui s’enchaînent par fondu, à partir de 51mn 36s du film, où on la voit écrire une lettre dans son lit, introduire l’enveloppe derrière le buffet du salon, endroit lui servant de journal intime, et s’assoupir, la tête posée sur le meuble, devant sa statuette fétiche. Par fondu enchaîné, nous accédons à la matériali- sation de son rêve : le sol de la cour séparant les immeubles, couvert de feuilles mortes, filmé en plongée totale et travelling avant, la caméra effectuant une rotation incessante sur elle-même. C’est sur cette image représentative de l’anxiété de la jeune fille, dernier plan de la scène séquentielle, et sur le bruit de souffle du vent, que Maria termine : « Où allons-nous quand nous mourrons ? ».

L’annonce de la paraplégie du père

La séquence durant laquelle le médecin annonce à Maria que son père est deve- nu paraplégique, à 58mn 37s du film, est caractérisée par un plan unique, travelling avant sur Maria et le docteur, partant de l’horloge accrochée au plafond et située en haut du cadre, en premier plan, la jeune fille assise sur un banc dans le couloir, en second plan. Quand le médecin entre dans le champ par une porte ouverte du couloir, la caméra amorce sa descente et son avancée vers les personnages de profil. Le médecin se rapproche de Maria qui se lève et reste debout face au docteur, immobile, le regard vague. Ce plan, illustrant l’annonce de la tragédie, est couvert par une sonorité de souffle bien particulière puisqu’il s’agit d’un bruit de réacteur d’avion accompagnant le mouvement de la caméra. Le bruit s’entend légèrement au moment où la caméra commence à descendre vers les per- sonnages. Puis il monte crescendo, tel un avion qui se rapproche, jusqu’au fondu au blanc lorsque la caméra atteint les personnages, clôturant la séquence.

Le rêve d’accouchement

Nous retrouvons l’ambiance sonore de souffle du vent dans la séquence où Ma- ria rêve qu’elle accouche d’un œuf dans la salle à manger. Cette métaphore de l’accouchement annonce la « renaissance » de Maria qui changera définitivement de vie. La sonorité de souffle présage la mort de son mari, suivie de celle de son père et, globalement, de tout ce qui représente l’ancien mode d’existence de la protagoniste.

Au début de la séquence, Maria réussit à entrer chez elle et à se trainer jusqu’à la cuisine en rampant au sol à partir de 1h 27mn 47s, sous une ambiance sonore constituée de

strings pads graves. Assise à terre au centre du cadre, adossée contre le mur de la cuisine,

elle soupire, gémit et suffoque, alors que son ventre grossit à vue d’œil. Du sang s’écoule de son aine, suivi d’une sorte de cocon ensanglanté qui semble sortir de son corps. Elle expulse l’œuf, qui atterrit au pied du mur d’en face, et expire. Les string pads cessent alors de meubler le son et laissent place au bruit d’ambiance de souffle. Cette façon d’accoucher rappelle la naissance de Jean-Baptiste Grenouille dans le premier acte du Parfum, histoire

d’un meurtrier, à la différence que Tom Tykwer met en scène l’expulsion de Grenouille du

ventre de sa mère, par le son et le hors champ.

La suite est filmée sous deux champs opposés, intercalés au montage. D’une

part, nous suivons la dilatation du cocon en gros plan, d’où une Maria enfant sort en déchi- rant la paroi, se lève et commence à marcher en direction de la chambre. D’autre part, la Maria « senior » est prise en plan serré, sous un mouvement de caméra s’accordant à son regard qui suit le déplacement de la jeune fille vers la chambre. Filmée sous différentes échelles de plan, dans l’axe du regard de Maria adulte, l’enfant prend au passage le verre de lait posé sur la table de la cuisine, s’arrête devant la porte de la chambre ouverte et lâche le

récipient au ralenti. Par un raccord mouvement, caméra au sol, ce n’est pas le verre mais la statuette fétiche qui atterrit bien droit sur le lino de la cuisine devant la porte de la chambre. Au moment où elle entre dans la chambre, à 1h 30mn 02s, et qu’elle se couche sur le lit conjugal, filmée de l’extérieur à travers l’encadrement de la porte, le bruit du souffle est couvert par une note de string pad tenue, des montées diatoniques rapides et répétitifs avec effet de delay, et des notes de harpe répétitives au rythme faisant penser au tic-tac. Ensuite, un fondu enchaîné sur un travelling avant vers le lit met fin au rêve et nous montre une Maria adulte qui dort. A ce moment, le son du souffle est totalement couvert et nous entendons le tic-tac du réveil, ce qui nous ramène progressivement à la réalité. Les notes synthétiques au timbre de harpe s’agrègent, s’amplifient et la musique s’arrête, laissant le réveil sonner et réveiller la protagoniste en sursaut.

Sur un plan ontologique, rien ne justifie le souffle sourd de vent que nous enten- dons tout le long de cette séquence, qui d’ailleurs disparaît lorsque Maria se réveille. Notons toutefois qu’une fois levée, Maria se rendant dans la salle de bain dans un plan en forte

plongée où nous voyons essentiellement le sol, la caméra effectue un travelling avant allant de la chambre à la cuisine et s’arrête sur la statuette debout sur le lino de la cuisine, qu’elle centre dans le cadre. La figurine est dressée derrière la chaise sur laquelle Heinz s’assied quand il prend son petit déjeuner. Le travelling avant est caractérisé au son par le bruit de souffle qui prend de l’ampleur au fur et à mesure que l’on se rapproche de cette statuette disposée ainsi dans le rêve de Maria et associée au destin funeste de son mari qui, en tombant à la renverse, sera transpercé par cette figurine.

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