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Nous distinguons deux types de situations statiques, l’immobilité dans l’action et en musique, et la rupture de registre impliquant une immobilité après action. Nous aurions pu illustrer l’immobilité dans l’action et en musique avec la séquence du sursaut de Maria et du meurtre de son mari lors du petit déjeuner dans Maria la maléfique, par exemple, ou

avec le moment d’inertie durant lequel le tueur à gages nommé « Consultant » remarque que l’agent Salinger le surveille, dans la scène se déroulant au musée Guggenheim de New York, dans L’enquête. Nous nous appuierons simplement sur la séquence de l’émission télévisée dans 3, durant laquelle Hanna a des nausées, et sur la scène du deus ex-machina de L’enquête, située à la toute fin du film. Quant aux exemples d’immobilités par rupture de registre, aurions pu nous référer à la scène durant laquelle Théo l’agriculteur lâche son chien sur Marco qu’il croit responsable de la mort de sa fille dans Les rêveurs, ou encore celle du test de grossesse effectué par Hanna et se révélant positif dans 3. Nous choisissons les séquences respectives de l’ambulance qui brise la glace et le moment d’inertie surréaliste de Lola jouant au casino dans Cours, Lola, cours.

3 : l’émission télévisée

Pour rappel, Hanna et Simon formant un couple, tombent séparément amoureux d’Adam. A la fin de l’intrigue, après avoir découvert, à son grand dam, qu’elle est enceinte sans savoir duquel des deux (Adam ou Simon), Hanna reçoit deux invités dont une docto- resse en psychologie qui évoque le besoin des hommes à être dominés, dans l’émission télévisée qu’elle présente à 1h 35mn 00s du film. Durant cette entrevue, Hanna se sent mal et reste comme paralysée devant l’invitée qui continue à parler tout en se rendant compte du malaise qu’éprouve la présentatrice.

L’émission est d’abord filmée froidement : personnages assis sur leurs fauteuils respectifs, captés par les caméras numériques de plateau, sous quatre axes fixes et un décor pauvre, abstrait, à dominance grise. Hanna ne bouge déjà plus quand la psychologue débute son discours. Au moment où la psychologue arrête de parler, attendant la question suivante,

Hanna, totalement immobile, ne dit rien. La doctoresse constate l’état de léthargie dans lequel se trouve la présentatrice et recommence à parler subrepticement, feignant d’ignorer le malaise installé sur le plateau par la catalepsie apparente d’Hanna. Jusqu’alors, la froideur de la scène est totale, tant par la mise en images, le décor et le jeu des personnages, que par l’absence d’aménagement sonore extérieur. La suite l’est beaucoup moins.

Pendant que la psychologue continue à parler, Hanna, inactive, laisse perler quelques larmes sur son visage. Tykwer enchaîne par fondu, du plan rapproché taille de la doctoresse en image numérique 16/9 de caméra de plateau, à un plan rapproché poitrine d’Hanna filmée en 35 mm, cinémascope. Ce changement d’image, associé à l’apparition d’une onde analogique grave, sourde et texturée, amorce une mise en scène se centrant sur l’immobilité de la protagoniste, à travers la séparation des personnages dans le cadre, l’éloignement de la psychologue et le rapprochement du spectateur vers l’état psychique d’Hanna. Protagoniste et psychologue sont filmés dans un champ contre-champ sans amorce, respectivement en plan rapproché poitrine, par un très léger zoom avant, Hanna de face puis de ¾ face. Le volume de la sonorité analogique grave formant une sorte de vrom- bissement pulsatif, augmente crescendo, couvrant de plus en plus la voix de l’invitée. D’ailleurs, quelques sonorités analogiques aménagent l’onde grave qui se transforme, vibre de plus en plus et s’éclaircit à travers d’autres effets de type analogique, jusqu’à marquer un tempo, rappelant la résonance d’un marteau piqueur. Enfin, la voix de la femme s’éloigne

par un effet de réverbération, jusqu’à disparaître totalement sous la sonorité de vrombisse- ment mécanique sur Hanna, immobile, pleurant en gros plan. Cet aménagement de sonori- tés électroniques est directement en corrélation avec l’état de torpeur du personnage et son immobilité, sous une mise en abyme du temps chez Hanna.

L’enquête : le deus ex machina

Salinger, agent d'Interpol, mène une enquête sur le rôle de la banque IBBC dans une affaire de contrat d'armement international. Arrivé au bout de ses investigations, l’agent attrape enfin le PDG de l’IBBC nommé Skarssen, qu’il retrouve en Turquie. Après une course-poursuite musclée dans les rues d’Istanbul, climax du film, Salinger tient Skarssen en joue sur le toit d’une maison et s’apprête à le tuer afin, dit-il au banquier, de « rendre justice », à 1h 49mn 21s du film. Skarssen lui rétorque : « M’exécuter ne changera rien. Cent autres banquiers prendront ma place. Tout continuera. La seule chose que vous réussirez à faire, c’est de satisfaire votre soif de sang ».

A cette parole, Tom Tykwer nous place dans un instant d’inertie totale. Plutôt que de nous montrer ce qui doit être accompli et qui relève du sens même de l’aboutissement de l’intrigue principale du film, Salinger semble réfléchir, tout en pointant son arme sur Skarssen. Les deux personnages restent debout, plantés l’un en face de l’autre.

Cette mise en abyme du temps, alliée à la réflexion du protagoniste, n’est pas alimentée par le silence, comme nous aurions pu nous y attendre, mais par la résonance d’un chant religieux oriental qui se fait entendre en fond sonore et qui augmente crescendo. Ce chant semble d’abord diégétique, mais il s’enrichit d’un fond de résonances provenant d’autres instruments, le tout alimenté par une réverbération donnant l’impression que le son pro- vient d’un tunnel, ou simplement de l’esprit de Salinger, ce qui confirme sa source extradié- gétique. Soudain, un coup de feu coupe brusquement cet aménagement sonore et ce moment d’ankylose, instaurant alors une forme de silence en rupture de registre.

Le coup de feu en question a été tiré sur Skarssen. Il provient d’un tueur à gages qui était situé derrière Salinger, engagé par les frères Calvini. Pour rappel, IBBC avait em- ployé un tueur à gages nommé « Consultant », afin d’éliminer le père de ces derniers, Umberto Calvini, un fabricant d’armes et politicien italien qui ne souhaitait plus faire affaire avec cette banque. Il s’agit d’une intrigue secondaire du scénario, dont nous ne pouvions imaginer sa résurgence à ce moment du film, ce qui confère au tueur à gages des Calvini le rôle du deus ex-machina permettant à Salinger d’accomplir sa mission tout en sauvegardant

son intégrité, puisque Skarssen est bien abattu, mais pas par lui.

Skarssen tombe et s’étale sur le toit. Le tueur à gages menace Salinger afin de ré- cupérer le pistolet de ce dernier. Il prend son arme, s’approche de Skarssen et l’achève d’une balle dans la tête. Bien que le silence ne soit pas totalement établi, toute cette partie

s’exécute dans une grande froideur sonore. Pas de musique, un son d’ambiance négligeable,

quasiment pas de dialogue et un minimum de bruits, à savoir les pas du tueur et le coup de feu. Après avoir tué Skarssen, le tueur à gages dit « Merci » à Salinger et s’en va par où il était venu. Une fois l’action accomplie, le silence s’estompe.

Cours, Lola, cours

L’ambulance brise la glace

Dans Cours, Lola, cours, Tykwer donne vingt minutes à Lola pour trouver et ap- porter cent mille marks à Manni, son petit ami, avant que celui-ci ne dévalise un supermar- ché par désespoir de récupérer cette somme qu’il doit à un gangster. Lola file au secours de Manni avec l’argent en main et croise une ambulance en chemin. Au niveau musical, un pattern 69 de batterie électronique, de bassline, et de riffs synthétiques entrainants, évolue

sur un rythme binaire à un tempo de 136 bpm. Suite à un échange avec le conducteur de l’ambulance, Lola, courant à côté du véhicule, lui demande de la prendre en stop. Distrait par la jeune sprinteuse, l’homme refuse et accélère en ne regardant à nouveau devant lui

que trop tard. L’ambulance se rapproche à vive allure, percute et brise l’immense panneau vitré que portent précautionneusement des vitriers à l’aide de ventouses, en traversant la rue à 49mn 25s du film. Le choc, filmé au ralenti sur trois axes successifs, laisse place à un

69 En musique : patron de pistes musicales. « Modèle simplifié d’une structure de comportement individuel ou

collectif (d’ordre psychologique, sociologique, linguistique), établi à partir des réponses à une série homogène d’épreuves et se présentant sous forme schématique », dans: PATTERN : Définition de PATTERN [en ligne]. [S. l.] : [s. n.], [s. d.]. [Consulté le 12 décembre 2016]. CNRTL. Disponible à l’adresse : http://cnrtl.fr/definition/pattern.

moment d’immobilité instaurant une mise en abyme du temps. Un raccord dans l’axe élargit le cadre au centre duquel l’ambulance freine, entouré de part et d’autre des vitriers, ven- touses en mains, qui regardent, stupéfaits, le véhicule s’arrêter.

Sans pour autant s’interrompre, la musique s’appauvrit. Nous n’entendons plus que la bassline aménagée par un riff d’effets synthétiques. Le hors-temps psychologique est manifeste puisque les vitriers, qui en toute logique auraient montré des mouvements de panique, se seraient écartés par prudence, se seraient certainement dirigés vers le conduc- teur de l’ambulance ou auraient au moins constaté les dégâts dans une telle situation, restent strictement à leurs positions respectives et n’en bougent pas, tout comme le véhi- cule qui se stabilise sur ses amortisseurs manifestement usés. De même, Lola, obnubilée par son objectif, aurait pu continuer à courir. Filmée au téléobjectif en plan rapproché poitrine, elle marque également un moment de stupéfaction avant de reprendre sa chevauchée. Le

dernier plan de cette séquence confirme le temps mort issu de cette stupeur générale puisque, dans un plan large filmant l’ensemble de la situation en plongée, Lola traverse le champ, passant d’abord entre les vitriers restés à leurs positions respectives, puis à côté de l’ambulance à l’arrêt.

Au casino

Pour trouver les cent mille marks et sauver Manni, Lola se rend au casino. Suite au comportement rocambolesque de l’héroïne provoquant la stupeur des vigiles et des clients de ce lieu, sous une musique au rythme « tribal » basé sur des percussions à la sonorité nord-africaine évoluant sur un tempo de 115 bpm, Lola gagne et réclame ses gains.

Après un gros plan des mains de Lola qui posent les jetons sur le comptoir de la caisse et un rapide plan rapproché de la caissière ébahie, nous assistons à une image flirtant avec le surréalisme, très représentative des moments de stupeur pratiqués par Tom Tykwer. La caméra effectue un travelling avant, à 1h 08mn 44s du film, allant de Lola à l’horloge située sur un mur en hauteur, en passant entre les figurants statiques, sur un bourdon mélodique répétitif et le frappement d’une timbale à chaque mesure, démarrant pianissimo

et grimpant crescendo. Tout d’abord, Lola en premier plan, debout devant le comptoir situé dans l’espace au sein duquel se trouve la caisse, passe hors-champ. Ensuite, l’objectif se rapproche du second espace, celui des jeux, dans lequel les individus, regards tournés vers la protagoniste, sont littéralement statufiés. Les personnages sont situés en bas du cadre, alors que l’horloge est posée sur le mur en arrière-plan et en hauteur. Puis la caméra traverse la foule inerte, passe sur la table de la roulette et monte vraisemblablement à l’aide d’une grue jusqu’à l’horloge, alors que les coups de timbales finissent fortissimo. Enfin, elle

s’arrête devant les aiguilles en gros plan, marquant « 11h57 », alors que Lola doit remettre l’argent à Manni à midi au plus tard.

I.A.2.b Silence et immobilité conjoints

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