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De la signature des traités de paix à la fin de la Confédération (1783-1789)

VOYAGEURS DU CORPUS :

D) De la signature des traités de paix à la fin de la Confédération (1783-1789)

John McCusker, Russell Menard ou encore James Shepherd ont montré que les changements économiques induits par la révolution américaine sont moins radicaux que sur le plan politique, et que les années 1780 constituent une période de transition et d’ajustement

143 Elkanah Watson to John Brown, Nantes, Oct. 1st 1779, Elkanah Watson Papers.

144 Elkanah Watson ne croit pas si bien dire lorsqu’il écrit qu’il est “à son zénith" car il fait faillite l’année suivante, suite à la décision de la Banque de France de suspendre ses paiements pendant un an.

145 Edward Papenfuse, In Pursuit of Profit, The Annapolis Merchant in the Era of the American Revolution, 1763-1805, Baltimore and London, The John Hopkins University Press, 1975, chapitre 3, en particulier 98-116.

146 William Lee to Richard Henry Lee, Nantes, 1st September 1777 and 18 September 1777 ; William Lee to Richard Henry Lee, Bruxelles, 30 October 1779 (Letters of William Lee, Sheriff and Alderman of London, Commercial Agent of the Continental Congress in France, and minister to the courts of Vienna and Berlin, 1766-1783, Worthington Chauncey Ford, ed., Vol. I, Brookly, NY, Historical Printing Club, 1891, 250 ; Vol. III, 761).

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avant la mise en place d’une économie nationale à partir de 1790.147 Dirigeants et négociants nord-américains étaient nombreux à espérer que la guerre d’indépendance inaugurerait de nouvelles relations commerciales avec l’Europe sur la base du libre échange, mais le gouvernement sous la Confédération ne s’avère pas assez puissant pour peser face aux grands empires mercantilistes européens, en particulier tant que les états nord-américains continuent à imprimer leur propre monnaie, à fixer le montant de leur dette et à décider des lois qui régissent leurs échanges, et qu’ils se font parfois directement concurrence.

Le commerce extérieur connaît une récession de 1783 à 1785, due à une surabondance de produits britanniques après la guerre. Il repart ensuite, en particulier les exportations de céréales qui s’envolent en 1786-87 suite à de mauvaises récoltes en Europe, mais ce n’est qu’au début des années 1790 que l’Amérique retrouve le même volume d’importations depuis la Grande-Bretagne qu’avant la guerre. Ce n’est pas le cas pour les exportations, qui souffrent de la perte de l’accès privilégiés aux marchés de l’empire,148 ce qui oblige les marchands à partir à la conquête de nouveaux marchés, parfois jusqu’en Asie. Les premiers contacts avec Canton sont ainsi initiés par des négociants de New York en 1783, qui sont bientôt imités par ceux de Boston, comme par exemple Thomas H. Perkins : en association avec ses frères (« James Perkins & co. »), il investit une partie des bénéfices générés par leur commerce avec les Antilles françaises dans l’affrêtement en 1789 d’un premier navire à destination de Batavia (Jakarta) et Canton. Ils échangent des produits manufacturés avec les Indiens de l’Orégon contre des fourrures, qu’ils revendent en Chine et achètent en retour de la soie, du thé, du coton, des épices et de la porcelaine.149 Un critique de ses Mémoires observe que, comme

147 McCusker and Menard, The Economy of British America, 367-376 ; Sellers, The Market Revolution, 21-22 ; Shepherd, “British American and the Atlantic Economy,” 23-34 ; Lee and Passell, A New Economic View of American History, 41-45 ; Nettels, The Emergence of a National Economy, 205.

148 Les navires américains sont en effet désormais exclus du commerce avec les Antilles britanniques et le Canada. L’Espagne a elle aussi rétabli l’interdiction de commercer avec ses colonies, les Américains se tournent donc vers les ports des Caraïbes françaises, y exportant des denrées à destination principalement des esclaves, ainsi que du matériel militaire et du bois de construction. Ils exportent en retour sucre et café. Chaque région américaine a plus ou moins bien résisté au conflit. Ainsi, les industries de la pêche de Nouvelle-Angleterre se rétablissent petit à petit, mais les ventes d’huile de baleine sont pénalisées par les tarifs douaniers britanniques.

Les états centraux s’en sortent bien et réalisent de bons volumes d’exportation au début des années 1790. New York en particulier amorce une forte croissance démographique et expansion territoriale qui se poursuivront dans les années 1790. Le commerce du tabac de la Virginie et du Maryland se remet progressivement du conflit mais stagne après 1786, conséquence des fortes taxes britanniques qui font chuter la demande et du monopole des Fermiers Généraux en France. Les chantiers de construction navale de la Caroline du Nord voient leurs commandes de la marine britannique s’effondrer. Quant aux exportations de riz et d’indigo de Caroline du Sud et de Géorgie, elles ne retrouvent pas le niveau d’avant la guerre, suite à la destruction de nombreuses plantations, à la perte de main d’œuvre et là encore, aux tarifs douaniers britanniques.

149 Memoir of Thomas Handasyd Perkins, 11-42. Voir également Seaburg et Paterson, Merchant Prince of Boston, en particulier le chapitre V ; Mark Peterson, « Boston à l’heure française : religion, culture et commerce à l’époque des révolutions atlantiques, » Annales historiques de la Révolution française, n °363 (janv/mars 2011) : 7-31, ainsi que les extraits de lettres et de journaux de voyage de James Perkins, le frère de Thomas Handasyd Perkins, dans « Memoir of James Perkins, » Proceedings of the Massachusetts Historical Society, vol.

1 (1791-1835), 353-368.

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l’illustre parfaitement Perkins, le métier de marchand évolue après la guerre d’indépendance, il devient plus risqué et plus compétitif, et le négociant plus entreprenant :

Thomas Handasyd Perkins holds a pioneer’s place with reference to the mercantile profession as it now is in New England. Brought up under the old regime, he was the founder and for many years the leading mind of the new.

[…] in repeated instances, he followed no precedent, but trusted his fortunes to the sole, and as it proved unerring, instinct of his own mercantile genius, exploring new directions of enterprise, opening untried avenues of intercourse, and mining fresh veins of hidden wealth.150

Malgré les contacts commerciaux établis avec la France pendant le conflit révolutionnaire, il apparaît que le pays ne parvient pas à détrôner l’ancienne métropole dans les échanges avec l’Amérique. Jacques Godechot estime qu’au plus fort de la guerre, en 1781, l’Angleterre exporte toujours deux fois plus de marchandises vers l’Amérique que la France.

Si les exportations connaissent une embellie à partir de 1786, lorsqu’une période de disettes oblige la France à faire venir des céréales américaines, la valeur des importations s’effondre au retour de la paix en 1783, sans donner de véritable signe de reprise : entre 1784 et 1790, elles ne représentent pas plus de 5% des importations britanniques.151 Cette tendance se vérifie chez les marchands du corpus puisque, sur les quatre qui se sont installés à Nantes pendant la guerre, pas un seul n’y reste à l’issue du conflit : Elkanah Watson fait faillite en 1783 et retourne en Amérique en ayant tout perdu, Jonathan Williams n’échappe que de justesse à la liquidation et retrouve lui aussi sa terre natale, William Lee regagne ses plantations de Virginie et abandonne toute activité commerciale, et Joshua Johnson transfère son entreprise à Londres dès 1783, car le prix du tabac y est plus intéressant, les produits manufacturés moins chers et mieux adaptés au marché américain.

En effet, dès le retour de la paix, les marchands américains s’empressent de réactiver les échanges commerciaux avec la Grande-Bretagne : en août 1782, les accords préliminaires de paix ne sont pas encore signés que Elkanah Watson effectue déjà un voyage de reconnaissance à Londres. Il écrit en février 1783 à son frère : “the greatest bulk of American trade must inevitably, in spite of every local national prejudice, bend in the old channel” (10

150 Review of Memoir of Thomas Handasyd Perkins, by Thomas Handasyd Perkins, Thomas G. Cary, ed., The North American Review, Vol. 83, No. 172 (July 1856), pp.218-219.

151 Jacques Godechot, « Les relations économiques entre la France et les Etats-Unis de 1778 à 1789, » French Historical Studies, Vol. 1, No. 1 (1958), 32. Voir également Nettels, The Emergence of a National Economy, 45-60, 222-230 ; Marzagalli, « Guerre et création d’un réseau commercial entre Bordeaux et les Etats-Unis, 1776-1815”, 378 ; Claude Fohlen, « The Commercial Failure of France in America, » Two Hundred Years of Franco-American Relations, Nancy L. Roelker and Charles K. Warner, eds., Papers of the Bicennial Colloquium of the Society for French Historical Studies in Newport, Rhode Island, Sept 7-10 1978, 93-115 ; Allan Potofsky, “Le corps consulaire français et le débat autour de la ‘perte’ des Amérique. Les intérêts mercantiles franco-américains et le commerce atlantique, 1763-1795, » Annales historiques de la Révolution française, 2011, n°363 (janv/mars 2011), 33-57.

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February 1783, Elkanah Watson Papers). Mais si les Américains sont favorables à une reprise des échanges avec l’ancienne puissance coloniale, ils souhaitent néanmoins qu’ils se fassent à égalité, comme c’était le cas avec la France pendant la guerre d’indépendance. Aspirant à un commerce fondé sur la réciprocité,152 William Bingham publie en 1784 un pamphlet à Londres et à Philadelphie, dans lequel il réplique à Lord Sheffield, qui soutient que les Etats-Unis ne peuvent pas se passer des échanges avec la Grande-Bretagne : « Freed from the control of your Navigation Act, and all the fetters of commercial restraint, [the trade of America] will expand itself, as far as seas can carry, or winds can waft it.”153 Il obtient une entrevue avec Lord Shelburne (1737-1805), sympathisant Whig pro-américain et ancien Premier Ministre, pour défendre sa position et amorcer un projet qui pourrait servir de base à un futur traité commercial (Alberts, The Golden Voyage, 134).154Mais en l’absence d’un pouvoir fédéral fort et d’une politique économique nationale, les marchands américains sont bien en peine d’imposer leur point de vue sur la scène internationale. L’Angleterre ignore allégrement leurs demandes et contraint ses anciennes colonies à se plier aux Lois de Navigation, comme s’en plaint Thomas Blount, négociant en tabac de Caroline du Nord, lors de son voyage en Angleterre en 1785 : “The many devices of hampering the American in their trade with England & its Dependents are […] inconceivable – a Captain of an American vessel on coming into a British port must use the utmost caution to save her from seizure.”155

Aucun marchand du corpus ne voyage entre 1788 et 1795, ce qui peut s’expliquer par un contexte politique agité en Europe : la Révolution française éclate en 1789, les guerres européennes débutent en 1792, et le régime de la Terreur est instauré en 1793.