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Marchands nord-américains en voyage en Grande-Bretagne (1776-1815) : transferts culturels et identité nationale

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Submitted on 14 Apr 2017

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Marchands nord-américains en voyage en

Grande-Bretagne (1776-1815) : transferts culturels et identité nationale

Maud Gallet

To cite this version:

Maud Gallet. Marchands nord-américains en voyage en Grande-Bretagne (1776-1815) : transferts culturels et identité nationale. Histoire. Université Sorbonne Paris Cité, 2015. Français. �NNT : 2015USPCA134�. �tel-01508514�

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UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE - PARIS 3

ED 514 – EDEAGE – Etudes Anglophones, Germanophones et Européennes Etudes du Monde Anglophone

Thèse de doctorat

Maud GALLET GUILLON

Marchands nord-américains en voyage en Grande-Bretagne

(1776-1815) Transferts culturels et identité nationale

Volume 1

Thèse dirigée par Madame le professeur Suzy HALIMI Soutenue le 24 novembre 2015

Jury composé de

Madame le professeur Isabelle BOUR (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3) Madame le professeur Suzy HALIMI, directrice de recherche

(Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3) Madame le professeur Marie-Jeanne ROSSIGNOL

(Université Paris-Diderot - Paris 7)

Monsieur le professeur Bertrand VAN RUYMBEKE (Université de Paris 8 – Saint Denis)

et Monsieur le professeur Jean VIVIES (Université d’Aix-Marseille)

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ... 9

PREMIERE PARTIE : LES VOYAGEURS ET LEURS TEMOIGNAGES ... 27

CHAPITRE 1 :TYPOLOGIE DES VOYAGEURS ... 29

I- Portrait général des voyageurs ... 34

II- Activités commerciales ... 46

III- Motivations du voyage ... 71

CHAPITRE 2 :LES CONDITIONS MATERIELLES DU VOYAGE ... 83

I- La préparation du séjour ... 83

II- Durée et itinéraire ... 94

III- Transport ... 104

IV- Hébergement, nourriture et accueil ... 114

V- Une fois de retour ... 120

CHAPITRE 3 :LE RECIT DU VOYAGE ... 127

I- La forme du témoignage ... 127

II- Les raisons du récit et les destinataires ... 134

III- La figure du voyageur et son évolution... 138

IV- La publication ... 148

DEUXIEME PARTIE : L’IMAGE DE LA GRANDE-BRETAGNE, ENTRE FASCINATION ET REJET

...

169

CHAPITRE 1 :DE LADMIRATION AUX PREMIERES FRICTIONS (1760-1783) ... 171

I- La Grande-Bretagne, un modèle économique ... 172

II- La Grande-Bretagne, un modèle culturel ... 180

III- Les premières condamnations se dessinent ... 194

IV- Sous la tutelle de la métropole ? Les transferts dans les années 1760-1780 203 CHAPITRE 2 :LA RUPTURE EST CONSOMMEE (1780-1790) ... 227

I- Un portrait de la Grande-Bretagne empreint de ressentiment ... 227

II- Un nouveau regard sur l’Europe ... 235

III- Les débuts de l’émancipation : les transferts dans les années 1780-1790 .... 250

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CHAPITRE 3 :PRISE DE DISTANCE AVEC LA « VIEILLE ANGLETERRE » ET L’EUROPE (1800-

1815) ... 271

I- En pays étranger ... 271

II- La terre des ancêtres ... 282

III- En route vers l’autonomie : les transferts entre 1800 et 1815 ... 297

TROISIEME PARTIE : DU SUJET BRITANNIQUE AU CITOYEN AMERICAIN, L’EMERGENCE D’UNE CONSCIENCE NATIONALE

...

317

CHAPITRE 1 :L’IDENTITE COLONIALE, DE LACCEPTATION A LA REMISE EN QUESTION ... 319

I- Une identité multiple : sujet de l’empire, gentleman anglais et colon américain ... 324

II- “I do not wish to exchange Boston for London” : un sentiment d’aliénation croissant ... 347

III- “I am an American” : la prise de conscience d’une identité collective ... 355

CHAPITRE 2 :LA NAISSANCE DUN SENTIMENT NATIONAL ... 377

I- Un portrait glorieux de la nation américaine ... 380

II- La quête d’une reconnaissance internationale ... 393

III- Les obstacles à la création d’un sentiment national ... 406

CHAPITRE 3 :L’ENRICHISSEMENT DE LIDENTITE NATIONALE ... 425

I- L’adoption d’une norme américaine ... 427

II- Vers la consolidation du sentiment national ... 444

III- Tirer des leçons du passé pour se projeter dans un avenir triomphal... 487

CONCLUSION

...

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A mes parents, pour leurs encouragements, leur aide ô combien précieuse, et pour m’avoir transmis l’envie de partir à la découverte de nouveaux mondes,

A mes filles Olivia et Louise, qui m’apportent tant de joie et d’amour,

A mon mari Julien, qui illumine mon quotidien, pour son soutien sans faille et pour tout l’amour dont il me témoigne.

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier très chaleureusement ma directrice de thèse Suzy Halimi pour son accompagnement tout au long de cette belle aventure. Je lui adresse mes plus vifs remerciements pour sa gentillesse et sa disponibilité malgré ses nombreuses responsabilités, mais également pour sa compétence, son expérience, sa rigueur, ses conseils avisés, ses lectures toujours attentives, et son soutien indéfectible, qui m’ont guidée et m’ont permis de faire aboutir ce travail. Merci de m’avoir accueillie dans sa grande famille de doctorants et de m’avoir fait découvrir de passionnants voyageurs !

J’exprime également tous mes remerciements à l’ensemble des membres du jury, Mesdames Isabelle Bour et Marie-Jeanne Rossignol, et Messieurs Bertrand Van Ruymbeke et Jean Viviès, pour le temps qu’ils ont accordé à la lecture de cette thèse et pour leur contribution aux discussions lors de la soutenance. J’ai beaucoup apprécié de pouvoir m’entretenir avec chacun d’entre eux à diverses étapes de ma recherche.

D’autres aides m’ont été précieuses. Je tiens à remercier tous les membres de l’équipe du centre de recherche et d’études anglaises sur le XVIIIe siècle (CREA XVIII), dont l’ambiance chaleureuse et stimulante, ainsi que le dynamisme ont largement contribué à faire avancer ma recherche. J’ai tout particulièrement apprécié les séminaires du samedi matin à l’Institut du Monde Anglophone, ainsi que les nombreux colloques et journées d’études qui ont été l’occasion de partager des connaissances et de découvrir de nouvelles pistes de recherche. Je remercie tous les doctorants et les chercheurs dont j’ai pu croiser la route et dont les discussions m’ont beaucoup apporté. Merci à mon école doctorale l’EDEAGE d’avoir financé plusieurs déplacements à des colloques, ainsi qu’un séjour de recherche à Londres et un autre aux Etats-Unis. Merci à la SAES de m’avoir octroyé une bourse pour financer ce même séjour d’études. Je n’oublie pas l’Education Nationale, qui m’a accordé un congé de formation d’un an, qui m’a permis d’avancer de manière significative dans mon travail. Merci également à tout le personnel des bibliothèques et des sociétés historiques françaises, britanniques et nord-américaines, pour leur aide et leurs conseils.

Mes derniers remerciements, mais non des moindres, vont à mes proches. J’adresse toute ma gratitude à mes parents, qui ont été d’une aide précieuse et indispensable tout au long de ma recherche, mais également à mes beaux-parents, ma sœur, et tous les membres de ma famille qui m’ont encouragée et qui ont contribué chacun à leur manière à l’aboutissement de ce projet. Merci enfin à Julien, mon soleil, pour son soutien, ses encouragements, et son amour infini qui font de moi une femme épanouie, au sein d’une belle et heureuse famille.

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CONVENTIONS D’ECRITURE

Les citations brèves de quelques mots sont traduites en français et intégrées à l’intérieur du texte. Lorsqu’elles sont plus longues, elles sont reproduites en anglais dans le corps du texte.

Les sources manuscrites sont retranscrites en l’état, sans que l’orthographe ait été corrigée ou de termes modifiés. Ont été gardées les majuscules ajoutées à certains noms propres, comme c’était souvent l’usage à l’époque. En revanche, lorsque la ponctuation nuit à la bonne compréhension de la phrase, elle a été changée.

Certains documents (illustrations ou extraits des récits de voyage) ont été inclus dans le corps de la thèse lorsqu’ils donnaient lieu à une étude approfondie. Dans le cas contraire, ils sont reproduits dans les annexes.

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INTRODUCTION

« Never did I feel so much of an American, & never did my own country seem so dear to me, as on this night when I first stepped on this land of splendour &

greatness [England] » (Mary Sargent Torrey, Journal, 16 June 1814).

Ce commentaire que Mary Sargent Torrey, épouse d’un marchand de Boston, rédige au cours de son séjour en Grande-Bretagne alors que la deuxième guerre d’indépendance s’achève, suggère que la jeune République nord-américaine est parvenue à se forger un véritable sentiment national. C’est là une prouesse : en moins de quarante ans, treize colonies pour le moins disparates, ayant pour seul point commun leur appartenance à l’empire britannique, ont réussi à s’unir et à mettre en place des institutions politiques, ainsi qu’un système économique et une organisation sociale, qui permettent à la jeune nation d’entamer en 1815 une période de croissance et de prospérité exceptionnelles, et qui la feront accéder au statut de grande puissance. Au terme du conflit, le pays impose davantage le respect sur la scène internationale et a su se détacher progressivement de l’héritage colonial pour embrasser une identité collective qui fait la fierté de ses habitants.1

On ne saurait aborder la naissance d’un sentiment national nord-américain sans la replacer dans une perspective plus large, celle d’une sphère atlantique qui met en contact l’Europe, l’Amérique et l’Afrique, et dans laquelle se multiplient des échanges de nature tant commerciale, que politique et culturelle.2 A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, on assiste tout particulièrement à un renforcement des liens entre la Grande-Bretagne et ses colonies nord-américaines, qui conduit à une anglicisation croissante de ces dernières. Les relations tissées de part et d’autre de l’Atlantique jouent un rôle essentiel dans la construction d’un sentiment national américain, car, comme le rappelle Henry Steele Commager, c’est en

1 Gordon Wood, The Rising Glory of America, 1760-1820, revised edition, Boston, Northeastern University Press, 1971, 1990, 1-2 ; Joyce Appleby, Inheriting the Revolution : The First Generation of Americans, Cambridge, Harvard University Press, 2000, 4-5.

2 Dans Europe/Amérique du Nord, Cinq Siècles d’intéraction, Cécile Vidal et Marie-Jeanne Rossignol regrettent l’américano-centrisme de l’historiographie de la révolution américaine et appellent à adopter une perspective plus large, celle d’une « révolution atlantique » (Jacques Portes, Nicole Fouché, Marie-Jeanne Rossignol, Cécile Vidal, Europe/Amérique du Nord, 73). Voir également Bernard Bailyn, Atlantic History, Concept and Contours, 2005 ; Silvia Marzagalli, « Sur les origines de l’ ‘Atlantic History’ : paradigmes interprétatifs de l’histoire des espaces atlantiques à l’époque moderne », Dix-huitième Siècle, n°33, 2001, 17 ; ou encore Eliga Gould et Peter Onuf, Empire and Nation : The American Revolution in the Atlantic World, 2004. Pour une analyse économique de la sphère atlantique, se référer à Kenneth Morgan, « Business networks in the British export trade to North America, 1750-1800 », John McCusker and Kenneth Morgan, eds., The Early Modern Atlantic Economy, 36-60 ; David Hancock, Citizens of the World, London Merchants and the Integration of the British Atlantic Community, 1735-1785 ;

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grande partie dans la confrontation avec l’ “Autre” britannique que l’identité américaine se précise et se renforce :

It was Britain that provided Americans with a meaningful standard either for comparison or for contrast ; it was in the approximation to or the departure from things British that the Americans discovered their character.3

Il ne fait aucun doute que la relation anglo-américaine a de tout temps été “spéciale", pour reprendre la célèbre formule de Winston Churchill, mais ces liens sont nourris d’ambiguïté, mélange d’hostilité et d’affection, de répulsion et d’attraction, vis-à-vis d’une nation à la fois parente et ennemie, même et autre.4

Dans cette étude, nous nous proposons d’examiner les témoignages de marchands nord-américains – ainsi que de quelques femmes les accompagnant - en voyage en Grande- Bretagne entre la fin de la période coloniale et la deuxième guerre d’indépendance.

Par “marchand”, il faut ici entendre une personne se livrant au commerce de marchandises avec l’étranger, un négociant.5 Les artisans et les commerçants ont donc été écartés, ainsi que ceux dont le commerce ne constituait pas l’activité principale.6 Cependant, pour la plupart, l’importation et l’exportation de produits ne constituent pas la seule occupation professionnelle : ils sont également planteurs, gentlemen farmers, industriels, banquiers, ou encore hommes politiques. Tous sont nés sur le sol nord-américain,7 et

3 Henry Steele Commager, ed. , Britain Through American Eyes, London, The Bodley Head, 1974, 32.

4 Ibid., 18. Cette analyse est partagée par Robert Ernest Spiller dans The Americans in England during the First Half Century of Independence, New York, Henry Holt and Co., 1926, VII. Voir également Stephen Spender, Love-Hate Relations : a Study of Anglo-American Sensibilities, London, H. Hamilton, 1974, 3.

5 Pour expliciter cette définition, on peut se référer au Dictionnaire royal françois-anglois et anglois-françois de Abel Boyer qui, dans son édition de 1796, différencie le simple marchand qui tient boutique (“tradesman, shopkeeper, seller of anything”) du “marchand grossier, négociant” (“merchant, one who traffics to remote countries”).

6 Par exemple, Washington Irving (1783-1859) et son frère Peter (1771-1838) ne font pas partie du corpus principal car c’était leur frère William qui dirigeait les affaires de l’entreprise familiale new-yorkaise. Cela n’empêche pas le jeune Washington de faire de fréquentes observations d’ordre commercial lors de son premier séjour en Europe en 1804-1806, qu’il destine à son frère William qui finance son voyage. Voir Notes and Journal of Travel in Europe, 1804-1805, Washington Irving, William P. Trent, ed., St Clair Shores, Michigan, Scholarly Press, 1971. Gabriel Manigault (1758-1809), planteur et marchand de Charleston, a également été écarté du corpus principal car il part en Europe de 1775 à 1779 pour son éducation, y fait des études de droit, et ne se lance dans le commerce que plus tard dans sa carrière.

7 Les marchands de nationalité britannique n’ont pas été retenus car, même s’ils partent s’installer en Amérique au cours de leur carrière, combattent aux côtés des insurgés pendant la révolution et se définissent comme des Américains, il s’agit d’analyser les réactions de visiteurs découvrant pour la première fois la Grande-Bretagne.

Ont été exclus les voyageurs suivants : le marchand George Folliot né en Irlande qui s’installe à New York dans les années 1750 avant de fuir en Grande-Bretagne au moment de la guerre d’Indépendance ; le planteur et marchand John Lloyd (1735-1807) né à Bristol et émigré en Caroline du Sud, qui soutient les patriotes dans leur lutte contre la métropole ; le marchand Mathew Ridley (1746-1789) né en Angleterre, qui s’installe à Baltimore vers 1770 en tant qu’agent de l’entreprise londonienne Stewart & Campbell, qui soutient lui aussi la cause américaine et devient agent du Maryland en Angleterre, en France et à Amsterdam de 1777 à 1784 ; enfin, le marchand de Charleston Joseph Dulles (1751 ?-1829) né en Irlande, qui émigre en Caroline du Sud vers 1778 et

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appartiennent à l’élite de la société nord-américaine, car un séjour outre-Atlantique implique des moyens financiers importants, ainsi que le loisir nécessaire à une absence de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Leur profil n’en reste pas moins varié : quelques-uns sont des

“princes marchands” comptant parmi les premières fortunes du pays et à la tête de vastes réseaux s’étendant aux quatre coins du monde, quand d’autres, beaucoup plus modestes, peinent à financer leur séjour et connaissent de sévères revers de fortune.8 De la même manière, certains ont côtoyé les citoyens les plus illustres de la période et navigué dans les hautes sphères du pouvoir, alors que d’autres sont restés dans l’ombre.

Le terme “voyage” inclut tout autant des séjours d’affaires, de formation et de loisir, que des mobilités contraintes, comme celles des Loyalistes qui se réfugient en métropole pendant le conflit révolutionnaire. Même si les conditions de voyage ne sont pas comparables, ces exilés n’ont pas été écartés, car, comme le rappelle Nicolas Bourguinat, « l’errance et la fuite n’empêchent pas l’Emigré d’avoir la sensibilité d’un voyageur. La décision de quitter son pays ne lui évite pas l’épreuve du déracinement et de l’altérité. »9 Le corpus final se compose d’une quarantaine de voyageurs, parmi lesquels huit femmes, filles ou épouses de marchands qui accompagnent ces derniers.

Les sources sont multiples et empruntent à plusieurs catégories littéraires, reflétant ainsi la nature hybride qui caractérise le genre du récit de voyage :10 elles incluent des journaux intimes et des correspondances rédigés depuis l’étranger au cours du séjour, qui mêlent des informations d’ordre professionnel et privé,11 mais également des récits de voyage plus organisés, souvent écrits ou du moins retravaillés une fois de retour au pays, et parfois publiés. Elles comportent aussi des récits autobiographiques rédigés plusieurs dizaines d’années plus tard en s’inspirant des documents d’origine, et intégrés à des mémoires qui paraissent de manière posthume. On dispose donc dans certains cas de plusieurs versions successives du même voyage, véritable palimpseste, ce qui nous permettra de mettre en lumière le travail de réécriture auquel se livrent les auteurs. Dans la presque totalité des cas,

s’installe à Philadelphie après un séjour en Europe en 1808-1810. D’autres nés sur le territoire américain n’ont pas été inclus dans le corpus principal, soit par manque de sources, soit parce qu’ils ne fournissent pas de description détaillée de leur séjour dans les Iles britanniques. Par exemple, le marchand de Boston Nicholas Ward Boylston (1747-1828) consacre son journal de voyage de 1773 à 1775 à l’Italie, la Turquie, la Palestine et l’Egypte mais ne fait aucun commentaire sur son séjour en Angleterre de 1775 à 1800.

8 Pour davantage de détails, se référer au portrait général des voyageurs et à celui de leurs activités commerciales (Première partie, Chapitre 1, I et II).

9 Nicolas Bourguinat, “Un temps de rupture dans l’histoire des pratiques du voyage,” Voyager en Europe de Humboldt à Stendhal, contraintes nationales et tentations cosmopolites, 1790-1840, sous la direction de Nicolas Bourguinat et Sylvain Venayre, Nouveau Monde Editions, 2007, 10.

10 Voir Roland Le Huenen, « Qu’est-ce qu’un récit de voyage ? », Les Modèles du Récit de Voyage, Littérales, n°7, 1990, 11-27, en particulier 13-15.

11 Toby L. Ditz, « Formative Ventures : Eighteenth-Century Commercial Letters and the Articulation of Experience, » Epistolary Selves: letters and letter-writers, 1600-1945, Rebecca Earle, ed., Aldershot, Singapore, Sydney, Ashgate, 1999, 59-78, 66-70.

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les témoignages sont manuscrits, seuls cinq récits ayant été publiés du vivant des voyageurs.

Certains textes sont fragmentaires et inachevés, témoignent de peu de talent littéraire, et comportent de nombreuses erreurs d’orthographe et de syntaxe ; d’autres au contraire font l’objet d’un travail sur le style et regorgent de personnages, de péripéties et d’anecdotes dignes d’un roman d’aventures ;12 ceux qui sont destinés à la publication se veulent savants et multiplient les informations d’ordre commercial, les analyses socio-économiques, les commentaires politiques, ou encore les citations littéraires et les réflexions philosophiques.

Même si leur formation professionnelle ne permet pas à ces marchands de rivaliser avec des auteurs tels que Laurence Sterne, James Boswell, ou encore Washington Irving, par la qualité de leur plume, ils font néanmoins œuvre d’écrivains lorsqu’ils sélectionnent les faits, remanient les événements, et se mettent en scène à travers la figure d’un narrateur dans un récit empruntant tantôt au réel, tantôt à l’imaginaire.13 Si les sources rédigées au fil du séjour et n’ayant fait l’objet d’aucune relecture se révèlent plus spontanées et authentiques que les oeuvres publiées, toutes allient les deux objectifs propres au récit de voyage : une finalité documentaire et informative, ainsi qu’une volonté de divertir, afin de joindre l’utile à l’agréable selon la formule horacienne.14 C’est pour cette raison que les récits fictifs et les guides de voyage n’ont pas été inclus dans le corpus.

Pourquoi avoir choisi les marchands en tant qu’objet d’étude ? Moins connus que des diplomates tels que Benjamin Franklin, John Adams ou Thomas Jefferson, et moins étudiés que les hommes politiques, les artistes ou encore les écrivains nord-américains qui voyagent en Grande-Bretagne à cette période, les marchands ont toutefois été au cœur des relations anglo-américaines, non seulement en tant qu’intermédiaires commerciaux mais également en tant que passeurs culturels, comme le souligne Michel Espagne : “Tous les groupes sociaux susceptibles de passer d’un espace national ou linguistique, ethnique ou religieux, à l’autre,

12 Une publicité vantant le récit de voyage de Joseph Sansom paru en 1805 met en avant le style “alerte” de l’auteur, qui semble bien convenir à “un lecteur américain” : “Though there is perhaps not a great deal of information communicated which may not be found in other books, that information is compressed [...] and communicated in a sprightly style, which will be more likely to engage and inform the American reader than more profound and ponderous productions” (Review of Joseph Sansom’s Letters from Europe, The United States Gazette, 31Dec. 1805, Vol. XXIX, Issue 4166, p.2, America’s Historical Newspapers).

13 Jean Viviès, Le Récit de voyage en Angleterre au XVIIIe siècle, de l’inventaire à l’invention, Interlangues literatures, Presses universitaires du Mirail, 1999, 19.

14 Roland Le Huenen, « Qu’est-ce qu’un récit de voyage ? », 13. Une publicité pour le récit de voyage de Joseph Sansom paru en 1805 rappelle ces deux finalités : “In traversing the wild, picturesque mountains of Switzerland, or the romantic fields of classic Italy, he [the traveller] constantly instructs, by the correctness of his observations, and amuses by the vivacity of his remarks” (Review of Joseph Sansom’s Letters from Europe, New-York Commercial Advertiser, 26 March 1806, vol. IX, Issue 3415, p.2. America’s Historical Newspapers).

La publicité est reproduite dans les annexes, vol. 2, p.34.

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peuvent être vecteurs de transferts culturels. Les commerçants transportant des marchandises ont toujours véhiculé également des représentations ou des savoirs.”15

Les marchands se distinguent des autres catégories de voyageurs de plusieurs manières. A une époque où les échanges commerciaux reposent sur des liens personnels et des alliances étroites, il apparaît qu’ils entretiennent une relation particulière et privilégiée avec la Grande-Bretagne.16 Ils bénéficient de multiples contacts outre-Atlantique et, grâce à leur expérience professionnelle, ont davantage de facilités à organiser leurs déplacements. Leurs réseaux commerciaux, qui s’étendent parfois jusqu’en Afrique, en Europe centrale, en Moyen-Orient et en Asie, leur permettent également d’avoir une vision plus globale et une meilleure compréhension du monde. On se demandera s’ils se montrent pour autant plus ouverts et plus tolérants vis-à-vis des autres nations. Dans quelle mesure peuvent-ils être qualifiés de « citoyens du monde »,17 c'est-à-dire de visiteurs cosmopolites appartenant à une communauté transcendant toute frontière nationale ? Peut-on aller jusqu’à affirmer, comme Adam Smith dans La Richesse des Nations, qu’ils « ne sont attachés à aucun pays en particulier »18 ?

Ils se démarquent également par l’attention toute particulière qu’ils portent à la Grande-Bretagne en tant que puissance commerciale, industrielle et agricole. Elle s’exprime à travers la visite de nombreuses boutiques et manufactures, la description de machines et de processus de fabrication des produits, la rencontre avec des négociants, des industriels, des scientifiques et des inventeurs, ainsi que l’observation des toutes dernières avancées en matière d’agriculture scientifique. Grâce à leur réseau professionnel, ils ont un accès plus aisé aux sites industriels et parviennent à obtenir des informations que des non initiés ne sauraient exploiter, autant de savoirs techniques qu’ils transfèrent à leur retour.19 Certains se comportent même en espions, rapportant des croquis de machines ou tentant de faire émigrer

15 Michel Espagne, « La notion de transfert culturel », Revue Sciences/Lettres [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 01 mai 2012, consulté en août 2015, http://rsl.revues.org/219, 5.

16 Cela amène même le chercheur William Brock à les considérer comme une catégorie de citoyens à part dans son étude sur le nationalisme américain au milieu du XIXe siècle (William Brock, « The Image of England and American Nationalism », Journal of American Studies, 5, Dec. 1971, 225-45, 229). Sur l’importance des relations de confiance entre marchands au XVIIIe siècle, voir Peter Mathias, “Risk, credit and kinship in early modern enterprise,”, 15-31 ; Toby L. Ditz, “Formative ventures : eighteenth-century commercial letters and the articulation of experience,” Epistolary Selves, 60-61.

17 C’est l’expression qu’utilise David Hancock pour qualifier les marchands britanniques de la période (Hancock, Citizens of the World). On retrouve la même vision chez Joseph Addison, qui décrit les marchands de la manière suivante, dans un article du Spectator en 1711 : « Factors in the Trading World are what Ambassadors are in the Politick World; […] [Merchants] knit Mankind together in a mutual intercourse » (Joseph Addison, The Spectator, n°69, Saturday, May 19 1711, London, J. Nunn, 1816, 264).

18 Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, A Penn State Electronic Classics Series Publication, The Pennsylvania State University, 2005, 697: «The proprietor of stock is properly a citizen of the world, and is not necessarily attached to any particular country».

19 John Hancock, Citizens of the World, 32 ; Tamara Plakins Thornton, Cultivating Gentlemen, The Meaning of Country Life among the Boston Elite, 1785-1860, New Haven, London, Yale University Press, 1989, 74.

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illégalement des artisans qualifiés.20 De quelle manière leurs activités professionnelles influencent-elles leur vision de la Grande-Bretagne ? Sachant que le pays représente un partenaire commercial de première importance et constitue la source principale de leurs revenus, ont-ils tendance à défendre la position britannique et à appeler à un maintien des rapports avec l’ancienne métropole après l’indépendance, ou au contraire souhaitent-ils une rupture des liens pour bénéficier d’une plus grande liberté ? Que pensent-ils de la variété et de la qualité des produits manufacturés, des villes industrielles et des conditions de travail des ouvriers, sachant que certains ont eux-mêmes fondé des manufactures sur le territoire nord- américain, et que la plupart y investissent d’importants capitaux ? Alors que d’autres sont propriétaires d’esclaves ou sont directement impliqués dans la traite, quelle vision livrent-ils de Liverpool et de son implication dans le commerce des esclaves ? Enfin, de quelle manière leur profession et leur mode de vie orientent-ils leur perception des différentes classes sociales britanniques, et quelles idéologies et valeurs défendent-ils à travers leurs témoignages ?

Leur séjour ne saurait toutefois se réduire à une prospection de nouveaux marchés, à des signatures de contrats, ni même à la visite des grands centres industriels. Dignes représentants de l’époque des Lumières, ce sont des voyageurs éclairés, tour à tour philosophes, scientifiques, amateurs d’art ou hommes de lettres, animés d’un profond désir de connaissances et curieux de tout. Férus de culture et d’histoire, ils souhaitent se former au contact de la civilisation britannique et plus généralement européenne, afin de devenir de parfaits gentlemen et de confirmer leur appartenance à une élite. Ils se pressent donc au théâtre et à l’opéra, visitent les monuments des grandes villes et les curiosités locales, ainsi que les grandes demeures aristocratiques britanniques et leurs célèbres jardins paysagers. En touristes pittoresques, ils partent à la recherche du beau et du sublime sur les traces de William Gilpin dans la vallée de la Wye et le Lake District. Bercés depuis leur plus tendre enfance par la littérature britannique, ils revivent les épisodes de leurs romans préférés en se rendant dans les lieux dépeints par les auteurs, et s’ingénient à en reconnaître certains personnages. Tous aspirent à s’entretenir avec les grandes figures de l’époque, qu’il s’agisse d’hommes politiques, de philosophes, de scientifiques, d’artistes, d’acteurs ou encore d’écrivains, et leurs contacts avec les négociants britanniques, membres influents de la société, facilitent de telles rencontres.

20 David J. Jeremy, « Transatlantic Industrial Espionage in Early Nineteenth Century : Barriers and Penetrations », Textile History, vol. 26, no. 1, Spring 1995, 95-119. Pour des exemples concrets de transferts de technologie industrielle, se reporter à la deuxième partie de cette étude, chapitre III, III-Vers des transferts plus équilibrés.

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Il s’agit donc ici d’analyser le rôle – souvent négligé ou réduit à sa seule dimension commerciale – de ces marchands dans l’élaboration puis le renforcement d’un sentiment national américain, ainsi que de détailler les éléments qui le composent. On montrera dans quelle mesure le contact avec la société britannique, et plus globalement avec d’autres sociétés européennes, encourage les visiteurs à se détacher de l’héritage britannique, à s’ouvrir à de nouvelles influences, et à forger une culture ainsi qu’un caractère national distincts. Avant tout observateurs outre-Atlantique, ils deviennent acteurs à leur retour en Amérique. En y transférant des biens matériels, des connaissances techniques, des traditions culturelles, et parfois même des personnes, ils s’efforcent de faire progresser leur jeune nation et de lui donner les moyens de rivaliser avec les plus brillantes civilisations de l’époque. Ces hommes de terrain et d’action, sans cesse à la recherche d’innovation et poussés par un esprit d’initiative, une foi dans le progrès et la promesse d’un avenir grandiose pour leur terre natale, bénéficient d’une influence et d’un poids financier qui leur permettent de participer à et même d’initier de nombreuses transformations dans la société américaine.21 Le portrait que fait David Hancock des négociants londoniens s’applique parfaitement à leurs homologues outre- Atlantique :

[These merchants were men] who, after becoming successful in business, moved beyond commercial ventures into the realms of art, agriculture, science, and public affairs, carrying their amelioration ideas about economically and socially viable communities with them [in accord with] “practical Enlightenment.” [...]

They were not philosophers; they did not rule in the grand realm of ideas. All the same, they were as caught up in innovative, investigative efforts, and as confident of the possibilities of human reason and endeavour in controlling the environment as those in the intellectual sphere. They were opportunistic seekers of advantage, careful implementers and coordinators, and quick adherents of ideas and plans devised by others. These were the men who made things work. (David Hancock, Citzens of the World, 396).

Le fait de choisir une catégorie spécifique de voyageurs permet d’autre part d’étudier la diversité de leurs réactions face aux crises qui ponctuent la période, et de mesurer combien la population américaine était divisée. Dans ce contexte apparaît toute l’ampleur de la tâche qui attend la nation américaine dans sa quête d’une conscience nationale : grâce au recul que le séjour outre-Atlantique offre au visiteur, il encourage ce dernier à dépasser ses attaches locales et ses partis pris pour appeler au rassemblement du peuple américain.

Le choix du corpus présente néanmoins plusieurs limites. Les marchands appartiennent à une catégorie sociale aisée, et, au sein de cette élite, ceux qui ont les moyens

21 Joyce Appleby, “New Cultural Heroes in the early national period,” The Culture of the Market, Historical Essays, Thomas L. Haskell, Richard F. Reichgraeber III, eds., Cambridge, CUP, 1993, 163-188, 163.

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de voyager ne constituent eux-mêmes qu’une minorité. Ils sont par ailleurs tous blancs. Il sera donc intéressant d’observer quelle place ils réservent aux Noirs et aux Amérindiens, deux groupes traditionnellement “exclus” de la définition nationale. Tous les marchands sont des hommes, mais nous avons pu contrebalancer leur perception en incluant huit récits de femmes les accompagnant. Il est une dernière limite d’ordre géographique : à mesure qu’on progresse dans la période, on constate une nette prédominance de voyageurs originaires de Nouvelle- Angleterre et des états du centre, au détriment de ceux du Sud. Par ailleurs, aucun ne réside dans les territoires de l’Ouest au moment du séjour, même si plusieurs s’y installent plus tard dans leur vie.

Qu’en est-il des dates qui délimitent notre étude ? Dans leur majorité, les témoignages sélectionnés ont été rédigés entre 1776 et 1815, même si la première source date de 1746 et la dernière paraît en 1877. Les sources antérieures et postérieures nous permettent, pour les premières, d’avoir un aperçu de la situation avant que n’apparaissent les dissensions conduisant au conflit révolutionnaire, et pour les secondes, d’observer comment l’identité nationale se renforce et change de nature après le conflit de 1812, notamment au moment de la guerre de Sécession. Les récits autobiographiques rédigés par certains marchands dans les années 1820-1840, puis publiés de manière posthume dans les années 1850-1870, offrent la possibilité de comparer des versions successives du voyage outre-Atlantique et d’analyser le travail de réécriture effectué au gré du contexte personnel et historique.

Notre période principale débute en 1776, une date clé pour étudier l’émergence d’une identité américaine, puisqu’elle correspond à la déclaration d’indépendance et donc à la naissance officielle de la nation. L’année 1815 marque quant à elle la fin de la deuxième guerre d’indépendance, et s’avère tout aussi décisive pour la construction d’une identité collective : la jeune République commence à s’affirmer dans la sphère internationale, et entame une période de croissance sans précédent. Elle a réussi à se forger un caractère national spécifique, qui va davantage de soi et n’a plus besoin d’être systématiquement défendu. Pour reprendre une image couramment utilisée à l’époque, en 1815, l’adolescente rebelle s’est affranchie du modèle maternel et entre dans l’âge adulte. Tournant le dos au vieux continent, l’Amérique peut alors se consacrer tout entière à sa montée en puissance et à la conquête des vastes terres de l’Ouest.

Ces dates correspondent donc à la naissance d’une identité nationale américaine, puis à son renforcement et à son enrichissement progressif. C’est une époque de profonds bouleversements, secouée par deux guerres contre la Grande-Bretagne, ainsi qu’une quasi- guerre contre la France. En 1776, tout ou presque reste à faire pour la jeune nation qui doit se

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définir sur les plans politique, économique, social et culturel. Elle entame un long et complexe processus de construction d’une âme nationale et se heurte à quantité d’obstacles, dont beaucoup ne sont toujours pas résolus au lendemain du conflit de 1812. C’est également une période de transition entre deux idéologies, puisqu’au républicanisme classique succèdent des valeurs libérales et un individualisme triomphant. Dans le même temps, le cosmopolitisme de la fin du XVIIIe siècle cède la place à un nationalisme de plus en plus puissant, marqué par un isolationnisme vis-à-vis de l’Europe et par le sentiment d’être unique.22

Ces dates sont également déterminantes en ce qui concerne les voyages. A partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les échanges se multiplient entre la métropole et ses colonies nord-américaines, conduisant un nombre plus important de colons, dont de nombreux marchands, à traverser l’Atlantique. Par ailleurs, les conditions de voyage s’améliorant progressivement,23 il devient relativement plus aisé, plus sûr et plus confortable de se rendre en Grande-Bretagne et en Europe, ce qui explique que certains se déplacent même en famille.

La deuxième moitié du XVIIIe siècle représente également un tournant pour le genre du récit de voyage, un « point de passage entre deux esthétiques » comme le souligne Jean Viviès, marqué par la fin de l’ère de la raison, et l’avènement du culte de la sensibilité et du romantisme.24

La date de 1815 est tout aussi significative car on assiste dès les années 1810-1820 à un changement de style dans les voyages, qui rejaillit sur les témoignages. La mise en place des premiers services transatlantiques réguliers à la fin de la guerre de 1812 rend la traversée plus accessible, et cette démocratisation – toute relative – entraîne une importante augmentation du nombre de visiteurs.25 Cette tendance s’accélère encore dans les années 1830-1840, conduisant au développement d’une industrie du tourisme : les guides de voyage et les premières agences de voyage apparaissent, la vitesse des déplacements s’accélère avec le développement des bateaux à vapeur et des chemins de fer, et le séjour en lui-même se transforme en un rituel de plus en plus conventionnel. Les visiteurs sont alors contraints de se démarquer des « touristes » superficiels et de redoubler d’originalité pour séduire leurs lecteurs.26 Dans ses mémoires, le marchand de Boston Samuel Breck se fait le témoin

22 Gordon Wood, The Rising Glory of America, 1760-1820, 1-3 ; Marie-Jeanne Rossignol, Le Ferment nationaliste, Aux Origines de la politique extérieure des Etats-Unis: 1789-1812, Paris, Belin, 1994, 323-329.

Nous reviendrons sur une définition de ces concepts au cours de notre étude.

23 Katherine Turner, British Travel Writers in Europe, 1750-1800, Authorship, Gender and National Identity, Studies in European Cultural Transition, vol.10, Aldershot, England, Ashgate, 2001, 25.

24 Jean Viviès, Le Récit de voyage en Angleterre, 36-39.

25 Foster Rhea Dulles, Americans Abroad: two centuries of European travel, Ann Arbor, Univ. of Michigan Press, 1964, 26-31.

26 James Buzard, The Beaten Track: European Tourism, Literature, and the Ways to Culture, 1800-1918, Oxford, Clarendon Press, 1993, 18-81.

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nostalgique de ces transformations. Il ne cache pas son dégoût vis-à-vis de la démocratisation des voyages qui l’oblige, dans les années 1830, à côtoyer une foule vulgaire, et regrette amèrement de ne plus avoir le sentiment d’être « un gentleman » lors de ses déplacements :

Everything now is done in vast crowds. Caravans move in mobs, and he who goes abroad nowadays must submit to the hugger-mugger assemblage of a steamboat on the water and a procession of ten or twelve coaches on the land. (Breck, Recollections of Samuel Breck, 181)

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Il convient à présent de situer notre étude par rapport aux travaux déjà effectués sur le sujet. On s’est essentiellement intéressé aux marchands nord-américains d’un point de vue économique. Leur rôle au moment de la guerre d’indépendance a notamment donné lieu à plusieurs interprétations. Les historiens progressistes du début du XXe siècle, tels Arthur Schlesinger ou Charles Beard, ont envisagé la révolution américaine comme un conflit avant tout motivé par des raisons sociales et économiques. Selon leur analyse, l’élite coloniale, et tout particulièrement les marchands, a manipulé les masses afin qu’elles rejoignent un mouvement de protestation contre des mesures qui menaçaient directement les intérêts financiers d’une minorité.27 A partir de la deuxième moitié du XXe siècle, les Neo-Whigs, menés par Bernard Bailyn et Gordon Wood, ont insisté au contraire sur l’importance de l’idéologie, présentée comme principale source de motivation des révolutionnaires.28 Dans des études plus récentes, on s’accorde sur l’importance à la fois de l’aspect économique et idéologique dans le conflit révolutionnaire puis la mise en place de la jeune République.29

27 Parmi les travaux des historiens progressistes, citons Arthur Schlesinger, The Colonial Merchants and the American Revolution, 1763-1776, New York, Columbia University, 1918 ; Carl L. Becker, History of Political Parties in the Province of New York, 1760-1776, Univ. of Wisconsin, 1909 ; Charles A. Beard, An Economic Interpretation of the Constitution, New York, Macmillan, 1913 et An Economic Interpretation of Jeffersonian Democracy, New York, 1915 ; Charles M. Andrews, The Boston Merchants and the non-importation movement, Cambridge, J. Wilson and son, 1917 ; ou encore Franklin Jameson, The American Revolution Considered as a Social Movement, Princeton University Press, 1926.

28 L’importance de l’idéologie politique en tant que motivation principale des patriotes est développée par Bernard Bailyn dans son célèbre ouvrage de 1967, The Ideological Origins of the American Revolution, HUP.

Voir également Jack P. Greene, qui considère les valeurs de liberté, les traditions de justice et d’égalité héritées de l’histoire anglo-saxonne comme un élément clé de la définition nationale nord-américaine (voir par exemple Greene, “Empire and Identity from the Glorious Revolution to the American Revolution,” The Oxford History of the British Empire, William Roger Louis, P.J. Marshall and Alaine Low, eds., Volume II, the Eighteenth Century, Oxford, OUP, 1998, 208-209).

29 Ainsi, John McCusker tempère l’analyse de Bailyn en suggérant que les aspects économique et idéologique ont tous deux joué un rôle essentiel dans le conflit révolutionnaire, puis dans la construction de la nation américaine (John McCusker and Russell R. Menard, The Economy of British America, 1607-1789, Chapell Hill and London, The University of North Carolina Press, 1985, 1991, 351-358). Voir également Lawrence Kaplan,

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Notre étude permettra de déterminer quelle place occupent les considérations politiques et économiques au sein de la classe marchande de l’époque, et à travers quels éléments s’incarne alors la nation américaine. Il s’agira tout particulièrement de vérifier si, comme l’affirment Elise Marienstras ou encore Jack P. Greene, la jeune Amérique se construit dans un premier temps autour de ses nouvelles institutions et d’une idéologie politique.30 Nous examinerons également si, comme l’affirment certains chercheurs, ces marchands sont moins « vulnérables à l’idéologie politique ».31 Nous avançons l’hypothèse que, même si les intérêts économiques l’emportent généralement sur leurs convictions politiques, ils ne restent pas insensibles aux conflits et luttes idéologiques qui secouent alors la jeune Amérique, sont nombreux à prendre clairement position, et expriment des sentiments patriotiques avec autant de force que le reste de leurs compatriotes.

Alors que l’histoire atlantique suscite un regain d’intérêt depuis les années 1990 et 2000, dans le domaine des études nord-américaines, Richard Bushman, Thomas H. Breen, Hack P. Greene ou encore John Murrin, ont montré qu’on ne pouvait pas parler de la jeune République sans faire référence à ses relations avec la Grande-Bretagne et, plus globalement, avec l’empire britannique et l’Europe. Suivant cette approche, certains chercheurs comme Kenneth Morgan et David Hancock se sont intéressés aux liens tissés par les marchands au sein de la sphère atlantique,32 et notre étude s’inscrit dans la même perspective : il s’agit de montrer le rôle de ces marchands en tant qu’exportateurs et importateurs de marchandises, et, au-delà, passeurs de savoirs et ambassadeurs sur le plan culturel.

Les voyageurs en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ont toujours suscité un grand intérêt et donné lieu à de nombreuses études.33 On constate toutefois que les marchands y sont

« Economic Republicanism and the relative autonomy of the state,” L’Amérique et la France, Deux Révolutions, Textes réunis par Elise Marienstras, Publications de la Sorbonne, 1990, 124-126.

30 E. Marienstras, Mythes Fondateurs de la Nation américaine, essai sur le discours idéologique aux Etats-Unis à l’époque de l’Indépendance (1763-1800), Paris, Editions Complexe, 1976, 14 ; J. P. Greene, “Empire and Identity”, 208-209.

31 Voir John Murrin, “The Great Inversion,” Three British Revolutions: 1641, 1688, 1766, J.G.A. Pocock, ed., Princeton, Princeton University Press, N.J., 1980, 396. Voir également David Hancock, qui écrit dans son étude des marchands britanniques entre 1735 et 1785 qu’ “être marchand n’impliquait pas de fortes convictions politiques.” Il souligne que seulement un tiers des marchands composant son corpus occupaient une fonction politique (Citizens of the World, 42).

32 Kenneth Morgan, « Business networks in the British export trade to North America, 1750-1800 », The Early Modern Atlantic Economy, 36-60 ; David Hancock, Citizens of the World. Pour un exemple de cette approche dans l’étude de voyageurs nord-américains, britanniques et français et d’échanges des idées au sein de la sphère atlantique à l’époque de la révolution américaine, voir Stuart Andrews, The Rediscovery of America, Transatlantic Crosscurrents in an Age of Revolution, St Martin’s Press, 1998.

33 Entre 1925 et 1980, on dénombre ainsi dix ouvrages portant sur les visiteurs nord-américains en Grande- Bretagne ou en Europe au XVIIIe et au XIXe siècles : Robert E. Spiller, The Americans in England during the First Half Century of Independence, New York, Henry Holt and Co., 1926 ; Lewis Einstein, Divided Loyalties:

Americans in England during the War of Independence, Boston, Houghton and Mifflin, 1933 ; Robert B. Mowat, Americans in England, Boston and New York: Houghton Mifflin Company, 1935 ; Philip Rahv, The Discovery of Europe : the story of American experience in the Old World, Boston, Houghton Mifflin, 1947 ; Michael

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peu représentés : ils font au mieux l’objet d’un chapitre en tant que catégorie spécifique,34 mais on leur préfère les hommes politiques, les artistes et les écrivains, plus connus et plus influents. Dans les recherches parues avant les années 1980-1990, donc précédant les théories qui envisagent l’identité nationale comme une construction culturelle,35 on se contente le plus souvent d’une description factuelle et très générale des visiteurs, et le rôle des voyages dans la création d’une identité nationale américaine y est rarement abordé. Parmi les études plus récentes, plusieurs font un rapprochement entre voyage et identité nationale, mais elles portent pour la plupart sur des visiteurs en Europe dans les années 1820-1840. Une fois encore, les marchands y sont très peu représentés, au profit des intellectuels, étudiants et écrivains américains.36 D’autres ouvrages examinent l’impact des récits de voyage sur la formation d’une identité américaine, mais à partir de séjours sur le territoire national, et non pas à l’étranger.37 Nous nous proposons donc de venir compléter ces analyses, tant sur les plans thématique, que chronologique et géographique.

Kraus, The Atlantic Civilization : Eighteenth-Century Origins, Ithaca, N.Y., Cornell University press, 1949 ; William L. Sachse, The Colonial American in Britain, Madison, The University of Wisconsin Press, 1956 ; Cushing Strout, The American Image of the Old World, New York, 1963 ; Henry Steele Commager, Britain Through American Eyes, New York, McGraw-Hill, 1974 ; Richard Kenin, Return to Albion. Americans in England, 1760-1940, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1979 ; Alison Lockwood, Passionate Pilgrims, 1981.

34 Robert E. Spiller consacre ainsi un chapitre de son ouvrage de 1926 à ceux qu’il appelle les « practical tourists », c'est-à-dire les visiteurs qui s’intéressent aux « arts utiles », aux dernières avancées industrielles et techniques, ou encore aux progrès agricoles, et de nombreux marchands sont cités en exemple. (The Americans in England during the First Half Century of Independence, 153). L’auteur les oppose aux Américains qui voyagent pour leur plaisir, même s’il semble difficile de dissocier les deux. Allison Lockwood utilise la même expression dans son étude de 1981 (Lockwood, Passionate Pilgrims : the American Travelers in Great-Britain, 1800-1914, New York, Cornwall Books, 1981, 28). Elle est inspirée du titre du récit de l’Américain Zachariah Allen (1795-1882), publié en 1832, relatant son voyage en Europe sept ans auparavant, destiné à étudier, entre autres, les industries textiles (Allen, The Practical Tourist, or, Sketches of the State of the Useful Arts, and of Society, Scenery, &c. &c. in Great Britain, France and Holland, Boson, Richardson, 1832).

35 On pense notamment aux auteurs et ouvrages suivants : Benedict Anderson, Imagined Communities:

Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, 1983 ; Ernest Gellner, Nations and Nationalism, 1983 ; John Breuilly, Nationalism and the State, 1994 ; concernant l’identité britannique, Linda Colley, Britons, Forging the Nation, 1701-1837, 1992.

36 Citons les ouvrages d’Ahmed Metwalli, « Americans Abroad : The Popular Art of Travel Writing in the 19th Century », America: Exploration and Travel, Steven E. Kagle, ed., Bowling Green, Bowling Green University Popular Press, 1979 ; Terry Caesar, “ ‘Counting the Cats in Zanzibar’: American travel Abroad in American Travel Writing to 1914,” Prospects 13, 1989, 95-134 ; ainsi que, du même auteur, Forgiving the Boundaries : Home as Abroad in American Travel Writing, University of Georgia Press, 1995 ; James Buzard, The Beaten Track: European Tourism, Literature, and the Ways to Culture, 1800-1918, Oxford, Clarendon Press, 1993 ; William Stowe, Going Abroad : European Travel in Nineteenth-Century American Culture, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1994 ; Lynne Withey, Grand Tours and Cook’s Tours. A History of Leisure Travel, 1750 to 1915, New York, William Morrow and Company, 1997.

37 Sharon Rogers Brown, American Travel Narratives as a Literary Genre from 1542 to 1832: the Art of a Perpetual Journey, Mellen Press, 1993 ; Michel Gauthier, « Le Sud des Etats-Unis dans les relations de voyage britannique (1783-1837)», Thèse de doctorat, Bordeaux, 1995 ; Beth Lynne Lueck, American Writers and the Picturesque Tour: the Search for National Identity, 1790-1860, New York, Garland, 1997 ; John D. Cox, Traveling South: Travel Narratives and the Construction of American Identity, Athens, London, Georgia University Press, 2005 ; Jeffrey Hotz, Divergent Visions, contested spaces: the early United States through the lens of travel, NY, Routledge, 2006.

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Par ailleurs, certains chercheurs se sont intéressés aux récits de voyage d’un point de vue littéraire, à commencer par Percy Adams dans Travel Literature and the Evolution of the Novel (1983), qui montre l’influence de la littérature de voyage sur le genre romanesque.38 Si la dimension littéraire des témoignages sera bien entendu prise en compte, les marchands n’étant pas des écrivains professionnels, leurs écrits seront ici avant tout envisagés comme des instruments de propagande, des outils politiques visant à célébrer une « communauté imaginaire » américaine.39

Plusieurs études présentent un intérêt tout particulier. Dans British Travel Writers in Europe, 1750-1800 (2001), Katherine Turner examine les récits de Britanniques en voyage en Europe, et leur impact sur la construction identitaire britannique. Elle montre que, de manière assez inattendue, les auteurs ne consolident pas la cohésion nationale, mais au contraire offrent une figure de l’Autre européen qui remet en question les stéréotypes de l’époque, allant ainsi à l’encontre de la définition nationale qui se construit en grande partie en opposition par rapport à cet Autre. Turner observe également que les auteurs se montrent parfois extrêmement critiques vis-à-vis de leur terre d’origine lorsqu’ils la comparent au pays visité.40 Cette analyse peut-elle s’appliquer aux témoignages américains ? Dans sa comparaison entre plusieurs récits de voyageurs britanniques et américains en France entre 1764 et 1830, Jacques Raynaud semble suggérer que ce n’est pas le cas : il constate que les Américains adoptent un ton plus patriotique, qu’ils mettent davantage en avant leur nationalité que leurs cousins britanniques, et qu’ils s’emploient à vanter – souvent à l’excès - la supériorité de leur terre natale.41

38 Percy Adams, Travel Literature and the Evolution of the Novel, Lexington, Kentucky, University Press of Kentucky, 1983. Il faut également mentionner Jean Viviès, Le Récit de voyage en Angleterre au XVIIIe siècle ; dans le contexte nord-américain : Stephen Spender, Love-Hate Relations: a Study of Anglo-American Sensibilities, London, H. Hamilton, 1974 ; William C. Spengemann, The Adventurous Muse: the poetics of American fiction, 1789-1900, New Haven, Conn., Yale Univ Press, 1977 ; Christopher Mulvey, Anglo- American Landscapes: a Study of Nineteenth-Century Anglo-American Travel Literature, Cambridge, CUP, 1983.

39 L’expression est bien sûr empruntée à Benedict Anderson (Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, 1983).

40 « European travelogues published by Britons in this period are by no means straightforwardly nationalistic, or consistent in their attitudes to ‘abroad.’ [Most] are overlaid with comparative discussions of affaires at home.

Although few if any fail, in the final analysis, to prefer Britain to the Continent, many nevertheless exploit the genre’s potential for social and political critique » (Turner, British Travel Writers in Europe, 10).

41 Dans sa thèse, Raynaud étudie trois récits d’Américains : Letters from Paris (1821) de Franklin James Didier, Journal and Letters from France and Great Britain (1833) d’Emma Willard, et Gleanings in Europe (1837) de James Fennimore Cooper. Il observe notamment que « [les voyageurs nord-américains s’emploient] à faire acquérir à [leurs] lecteurs le sentiment de leur existence, de leur force, de leur supériorité, de leur grandeur à venir, alors que les voyageurs anglais se contentaient de confirmer des opinions déjà ancrées dans l’esprit de leurs concitoyens » (Raynaud, « Ecrivains anglais et américains en France entre 1764 et 1830, évolution du récit de voyage », Thèse de doctorat, Université de Toulouse-Le Mirail, sous la direction de Cassilde Tournebize, 2005, 427).

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Concernant le genre du récit de voyage, deux ouvrages ont apporté de nouvelles perspectives sur les récits de femmes, Discourses of Difference (1991) de Sara Mills, et Women Travel Writers and the Language of Aesthetics (1995) d’Elizabeth Bohls :42 les auteurs montrent de quelle manière les femmes qui voyagent s’approprient, redéfinissent et transgressent le discours des voyageurs masculins. Ces études apporteront un éclairage utile à l’examen des écrits des filles et épouses de marchands qui accompagnent ces derniers : on se demandera notamment si l’on observe une écriture « féminine », dans quelle mesure le séjour est libérateur, s’il les incite à interroger leur place au sein de la société américaine, et les encourage à transgresser les codes masculins. En revanche, les théories de Mary Louise Pratt développées dans Imperial Eyes en 199243 paraissent difficilement applicables au corpus puisqu’on ne peut pas véritablement parler de regard « impérial » de la part des visiteurs nord- américains se rendant en Grande-Bretagne. La relation dominants / dominés semble également excessive pour décrire la perception qu’ont les Britanniques de métropole des colons nord-américains : ces derniers souvent raillés pour leur manque de raffinement et de culture, mais ils ne sont pas considérés comme inférieurs comme pouvaient l’être les Amérindiens ou les Noirs.

Parmi les ouvrages récents portant plus spécifiquement sur les voyageurs américains en Grande-Bretagne à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècles, plusieurs présentent des analyses éclairantes. Concernant la période coloniale, dans The British-Americans : the Loyalist Exiles in England, 1774-1789 (1972),44 Mary Beth Norton observe que les loyalistes américains exilés en Grande-Bretagne prennent conscience au cours de leur séjour forcé qu’ils n’ont pas leur place dans la société britannique et qu’ils ont davantage en commun avec les autres colons qu’avec les habitants de métropole. Les dix témoignages de marchands loyalistes que compte le corpus permettront de vérifier cette analyse. Par ailleurs, dans sa thèse sur les Américains séjournant en Grande-Bretagne entre 1740 et 1776,45 Susan I. Lively relève elle aussi un sentiment croissant d’aliénation chez les visiteurs, ce qui lui permet de souligner le rôle essentiel du voyage en Grande-Bretagne dans l’émergence des prémices d’une conscience nationale. Notre étude s’inscrit dans la continuité chronologique de celle de

42 Sara Mills, Discourses of Difference : An Analysis of Women’s Travel Writing and Colonialism, London, Routledge, 1991 ; Elizabeth Bohls, Women Travel Writers and the Language of Aesthetics, 1716-1818, New York, CUP, 1995.

43 Mary Louise Pratt, Imperial Eyes : Travel Writing and Transculturation, London, Routledge, 1992.

44 Mary Beth Norton, The British-Americans : the Loyalist Exiles in England, 1774-1789, Boston and Toronto, Little, Brown and Co., 1972. Il s’agit de la publication de sa thèse soutenue à Harvard en 1969. Voir également son article “The Loyalists’ Image of England. Ideal and Reality,” Albion: A Quarterly Journal Concerned with British Studies, vol. 3, no. 2, 1971.

45 Susan I. Lively, “Going Home: Americans in Britain, 1740-1776,” PhD Dissertation, Harvard University, Cambridge, Massachusetts, 1997.

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