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Des années 1790 à l’embargo de 1807 : neutralité et prospérité

VOYAGEURS DU CORPUS :

E) Des années 1790 à l’embargo de 1807 : neutralité et prospérité

L’adoption de la Constitution américaine en 1788 simplifie grandement les échanges avec l’étranger en instaurant une monnaie, des unités de mesure et des droits de douane et de

152 « I have long been of opinion that a Commercial Connection between this Country & the United States, on term of perfect Reciprocity, would be of Advantage to Us” (Letter to Thomas Willing, London, December 29th 1783, William Bingham Papers).

153 William Bingham, A Letter from an American Now Resident in London, to a Member of Parliament, on the Subject of Restraining Proclamation, & Containing Strictures on Lord Sheffield’s Pamphlet on the Commerce of the American States, Philadelphia, printed and sold by Robert Bell, 1784, 15. Le pamphlet a été publié la même année à Londres, par l’imprimeur J. Stockdale. Comme son titre l’indique, c’est une réponse aux Observations on the Commerce of the United States publié en juillet 1783 par Lord Sheffield.

154 Une analyse plus détaillé de sa démarche est proposée plus loin (p.413).

155 Thomas Blount to John Gray Blount, Liverpool, August 25th 1785, The John Gray Blount Papers, ed. Alice Barnwell Keith, vol.1, 1764-1789, Raleigh, State Department of Archives and History, 1952, 209.

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navigation communs à tout le territoire. Néanmoins, les Fédéralistes et les Républicains s’affrontent sur la politique économique à adopter. Ces derniers, menés par Thomas Jefferson et James Madison, désirent instaurer un commerce plus libre et rompre tout lien de dépendance avec la Grande-Bretagne, et ils prônent des sanctions économiques si le gouvernement britannique refuse de conclure un traité commercial. Face à eux, les Fédéralistes, Alexander Hamilton en tête, souhaitent maintenir des relations économiques privilégiées avec la Grande-Bretagne, estimant que les Etats-Unis ne peuvent pas se passer d’une alliance commerciale avec l’ancienne métropole pour gagner en puissance. Ils concluent donc en 1794, par l’intermédiaire de leur envoyé John Jay, un traité de commerce avec la Grande-Bretagne, selon lequel l’Amérique s’engage entre autres à ne plus commercer avec les ennemis des Britanniques, ce qui déclenche la colère de leur ancien allié français. En 1792 ont également débuté les guerres européennes et George Washington, qui désire tenir son pays en dehors de tout conflit international, proclame en 1793 la neutralité des Etats-Unis.

Lorsqu’en 1800 Thomas Jefferson accède à la présidence, il poursuit la politique d’isolationnisme initiée par ses prédécesseurs.156

Grâce à leur neutralité dans les guerres révolutionnaires, les négociants américains connaissent une expansion de leurs profits sans précédent de 1792 jusqu’à l’embargo de 1807.157 En effet, dès 1793, la flotte française, en guerre contre la marine britannique, ne peut plus assurer les échanges avec ses colonies des Antilles, ce qui permet aux Américains de s’emparer du marché de la réexportation. En 1794, c’est au tour de l’Angleterre de confier aux Américains son commerce colonial, suivie par l’Espagne en 1796.158 Cette neutralité ne préserve pas l’Amérique de vives tensions avec les puissances européennes et n’empêche nullement la prise de nombre de ses bâtiments par les deux principaux belligérants.159 Les relations commencent par se détériorer avec la France : le traité de John Jay avec la Grande-Bretagne de 1794 est perçu par le pays comme une trahison, remettant en cause l’alliance franco-américaine de 1778. Les corsaires français s’adonnent alors sans relâche à la course de navires marchands américains, qui aboutit en 1798 à une guerre navale larvée ou «

156 Washington réitère sa position dans son discours d’adieu en 1796, recommandant aux Américains de se garder de toute alliance permanente et contraignante avec des puissances étrangères (Marie-Jeanne Rossignol, Le Ferment nationaliste, 130-147). Sur l’action de Thomas Jefferson en faveur du commerce américain en France, voir Merrill D. Perterson, «Thomas Jefferson and Commercial Policy, 1783-1793, » The William and Mary Quarterly, Third Series, Vol. 22, No. 4 (Oct. 1965), 584-610 ; Nicole Fouché, « Benjamin Franklin et Thomas Jefferson, » 41-53.

157 Avec toutefois une courte période d’interruption lors de la paix d’Amiens en 1802-1803. En 1807, le total des exportations américaines représente le quintuple en valeur et le triple en volume de celles de 1792 (Crouzet, 27).

158 Nettel, The Emergence of a National Economy, 324-327 ; Douglas North, The Economic Growth of the United States, 1790-1860, New York, Norton and Company, 1961, 1966, 17-45.

159 Entre 1803 et 1811, Curtis Nettels répertorie 917 navires américains capturés par la Grande-Bretagne et 764 par la France (Nettels, The Emergence of a National Economy, 324).

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guerre ». La situation s’apaise suite à un accord en 1800 mais à partir de 1803, c’est au tour de l’entente américano-britannique de connaître d’âpres frictions. La Grande-Bretagne, jalouse de la prospérité des Américains, décrète de nouvelles lois qui limitent sévèrement le commerce des nations neutres. S’y ajoutent d’innombrables attaques des navires neutres américains par la Navy, qui n’hésite pas à recruter de force des marins américains, sous prétexte que ce sont des déserteurs de la marine britannique. Un tel mépris de la souveraineté américaine provoque la fureur des Américains.

Quels marchands se rendent outre-Atlantique entre 1790 et 1807 et dans quel but ? Certains, comme Thomas H. Perkins et William Lee, vont en France après la Terreur, pour développer les réseaux de réexportation entre les Antilles françaises et la métropole.160 En 1795, Perkins aborde l’avenir des échanges franco-américains avec confiance, comme il le déclare à des membres de la Convention avec lesquels il dîne à Paris :

Pelet [one delegate] was very inquisitive about our commerce, & seemed anxious to know if it was our opinion that we should be largely connected with the French after the war. This, I have no doubt, will be the fact, and it will be advantageous to us in a great degree. He tells me that the quantity of wheat raised in France was never equal to its wants […]. This would give a good peace freight from America.

(Memoirs, 96)

Les échanges se poursuivent par ailleurs avec la Grande-Bretagne. Ainsi, Ebenezer Smith Thomas propose dans les années 1800 toutes sortes de produits manufacturés britanniques dans sa boutique : des papiers peints, des cartes à jouer, des lampes, des chandeliers, des panneaux de verre, des couteaux, des chaussures ou encore « un élégant assortiment » de bijoux, et il profite d’un court séjour en Angleterre en 1800 et d’un autre à Edimbourg en 1803 pour s’approvisionner directement chez les fournisseurs britanniques.

Toutefois, signe du développement des industries américaines, les chaussures et le verre qu’il propose à la vente sont fabriqués dans le Massachusetts. Par ailleurs, un voyageur de la période se comporte davantage en industriel qu’en marchand lors de son Grand Tour d’Europe de 1795 à 1801 : Joshua Gilpin, qui a créé en 1787 une manufacture de papier avec son frère Thomas à Brandywine, dans le Delaware, profite de son séjour en Angleterre pour importer des chiffons - utilisés dans la fabrication du papier - et il visite avec enthousiasme les

160 L’entreprise familiale des Perkins, dont une branche est basée à Saint-Domingue, importe depuis la fin de la guerre d’indépendance du sucre, des mélasses, du rhum et du café vers les Etats-Unis et l’Europe, et exporte des esclaves, des poissons séchés, de la farine, du riz et des chevaux. Quant à William Lee (1772-1840), il est marchand en commissions à partir de 1790. En 1796-1798, il visite la France, le sud de l’Angleterre et la Hollande. Il est ensuite nommé à Bordeaux agent commercial du Congrès puis consul de 1801 à 1816. Il ne détaille pas ses transactions commerciales dans son journal, mais il semble exporter de l’eau de vie et du vin français vers l’Amérique (Lee, Yankee Jeffersonian, 28-29).

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villes industrielles du nord de l’Angleterre, en prêtant une attention toute particulière aux manufactures de papier dont il rapporte maints croquis et schémas.

Si la neutralité des Etats-Unis pendant les guerres européennes permet aux marchands américains de réaliser de coquets bénéfices, il devient de plus en plus compliqué de la préserver, et la jeune République est bientôt entraînée dans une deuxième guerre d’indépendance.